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Naissance d’une carte nationale

| 13 novembre 2016 | 0 commentaire

Catégorie: Cartographie, Données, Dossier : Élections, les candidats se plient en cartes, Grand public, Livres, Arts, Expos, Recherche

À chaque élection, de nombreuses cartes sont publiées. Alain Garrigou, professeur en sciences politiques et collaborateur régulier du Monde diplomatique s’est interrogé sur l’origine de ces représentations. Nous résumons ici les grandes lignes d’un article qu’il a publié à ce sujet dans Politix.

Pour qu’il y ait carte électorale, il faut d’abord… des élections ! En remontant aux sources du sujet, Alain Garrigou a découvert une première carte datant de 1830, produite sous la monarchie de Juillet, à l’époque du suffrage censitaire.

Carte figurative de la France politique de 1834, l’une des premières cartes électorales trouvées par Alain Garrigou. (Document BnF, en ligne sur galica.bnf.fr)

Carte figurative de la France politique de 1834, l’une des premières cartes électorales trouvées par Alain Garrigou. (Document BnF, en ligne sur galica.bnf.fr)

Outil scientifique et politique

En déroulant les années et les cartes, le chercheur montre bien comment la carte électorale répond à un projet scientifique et politique. Ainsi, quand Gambetta produit en 1874 un ensemble de tableaux et de cartes visualisant les positions du parti républicain, c’est la France comme « théâtre d’opération pour la conquête républicaine » qui est représentée. « L’opération qui consiste à affecter une couleur au département, ensuite à la circonscription, s’apparente à un remplissage ou à un marquage du territoire, » analyse le chercheur. La carte électorale est aussi militante et sa forme a accompagné l’évolution des modes de scrutin. Ainsi, celle de 1834 est illustrée d’une pyramide de la population, dénonçant ainsi la faible proportion de personnes bénéficiant du droit de vote. En 1885, elle sert également à mettre en scène la victoire du camp républicain, avec force majuscules et graphiques prospectivistes sur les reports de voix.

Extrait de la carte de Léon de Montigny sur les élections parisiennes de 1869 qui se présente comme une « application de la géométrie à la statistique ». Au-delà de sa visée scientifique, elle est également militante, enjoignant par exemple les Parisiens à se mobiliser pour s’inscrire sur les listes électorales. Elle est enfin novatrice sur le mode de représentation qui utilise des rectangles proportionnels, mais peu lisibles. (Document BnF, en ligne sur galica.bnf.fr)

Extrait de la carte de Léon de Montigny sur les élections parisiennes de 1869 qui se présente comme une « application de la géométrie à la statistique ». Au-delà de sa visée scientifique, elle est également militante, enjoignant par exemple les Parisiens à se mobiliser pour s’inscrire sur les listes électorales. Elle est enfin novatrice sur le mode de représentation qui utilise des rectangles proportionnels, mais peu lisibles. (Document BnF, en ligne sur galica.bnf.fr)

Outil de communication

Très vite, la carte devient également objet esthétique, en couleurs, vendue ou insérée dans les journaux sous forme de posters, dont la taille ne cesse d’augmenter. « Elle s’apparente de ce point de vue à un tableau d’honneur où les noms des élus encadrent le territoire » note Alain Garrigou. Elle participe aux débuts de la communication politique : portraits, estampes, médailles… accompagnent désormais les élections tandis que les journaux s’emplissent d’illustrations.

Le Verdict de la France de Glucq, vendu 60 centimes, représente les élections législatives de 1885. À la fois tableau d’honneur des députés et illustration de la progression républicaine qui joue sur l’ambiguïté entre nombre de sièges et opinion. (Document BnF, en ligne sur galica.bnf.fr)

Le Verdict de la France de Glucq, vendu 60 centimes, représente les élections législatives de 1885. À la fois tableau d’honneur des députés et illustration de la progression républicaine qui joue sur l’ambiguïté entre nombre de sièges et opinion. (Document BnF, en ligne sur galica.bnf.fr)

Outil pédagogique

« De fait, la carte électorale appartient aux instruments d’une pédagogie politique » résume le chercheur. Dans une France où la circulation des hommes et des idées est limitée, la carte donne à voir la dimension collective et nationale du vote, qui reste enfermé dans sa fonction communautaire. Elle enregistre également la fixation des classements politiques. Entre 1830 et 1834, les cartes sont d’abord centrées sur l’opposition entre constitutionnels et ministériels puis s’affinent au fur et à mesure de l’émergence de différentes tendances lors des débats parlementaires. Mais la nomenclature met plusieurs années à se stabiliser car il faut pour cela « la continuité du positionnement des acteurs politiques et des commentateurs ». Sous la IIIe République, les cartographes n’explicitent pas forcément leur mode de classement. S’impose cependant au cours des années une nomenclature plus idéologique (droite/gauche) que politique (soutien ou non du gouvernement) qui finit par être officialisée en 1877 par une circulaire du ministre de l’Intérieur aux préfets, leur demandant de classer les candidats en « conservateur légitimiste, conservateur bonapartiste, conservateur centre droit, conservateur sans nuance précise, centre gauche, républicain, républicain avancé, radical, douteux ».

Un extrait de La France parlementaire de 1871-1872-1873 de Sirven-Hachette. L’auteur établit sa propre nomenclature politique en six postes. Il laisse également des cases en blanc pour les futures élections. (Document BnF, en ligne sur galica.bnf.fr)

Un extrait de La France parlementaire de 1871-1872-1873 de Sirven-Hachette. L’auteur établit sa propre nomenclature politique en six postes. Il laisse également des cases en blanc pour les futures élections. (Document BnF, en ligne sur galica.bnf.fr)

Alain Garrigou se questionne enfin sur les choix en matière de représentation de ces premières cartes, qui montrent une France confondant sièges à l’Assemblée liés au scrutin majoritaire et opinion politique. La cartographie électorale met enfin quelques décennies à s’autonomiser en matière de fond de carte. En 1830, elle représente des résultats sur un fond classique de la France avec ses fleuves, ses villes, ses départements et même son relief. C’est en 1876 que Glucq publie une première carte présentant les limites des circonscriptions législatives sans aucun autre fond que le découpage départemental.

  • Alain Garrigou, Invention et usages de la carte électorale, in Politix vol 3 n°10-11 (1990). Pour accéder directement à l’article, suivez le lien

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