CaribeWave 2018 : Cartographie très haute résolution de Marie-Galante
Catégorie: CaribeWave2018, Données, Entreprises, Imagerie, Open Data, Reportages, Sécurité/défense
CaribeWave2018 : Episode II
Toute la semaine, nous suivons l’équipe de Hackers Against Natural Disasters (HAND) qui participe à l’exercice mondial d’alerte tsunami dans les Caraïbes. Mardi, découverte des dronistes.
Aeromapper, entreprise fondée en 2012 par un ingénieur aéronautique et un pilote, anciens salariés du groupe FIT (aujourd’hui GeoFIT), a mis au point son propre drone de catégorie S4. Nicolas Sonnet, l’un des fondateurs de l’entreprise et Thomas Schermesser, télépilote, ont fait le voyage avec HAND, deux drones dans leurs bagages. Leur mission ? Produire une orthophotographie à quelques centimètres de résolution d’une bonne partie de l’île de Marie-Galante. Des données qui peuvent s’avérer essentielles en cas de catastrophe majeure.
Les consignes étaient claires, énoncées dès la réunion de préparation à la Paillasse, le QG de HAND, deux semaines avant le départ : arrivée vendredi 9 mars au soir à Pointe-à-Pitre. Transfert à Marie-Galante samedi matin. Montage et installation samedi et dimanche. Lundi, au boulot.
Mais pour Nicolas et Thomas, le binôme de dronistes d’Aeromapper, tout va beaucoup plus vite… et pas forcément comme prévu. En matière de montage, tout s’est bien passé. Les deux drones, la station fixe, les ordinateurs et la trentaine de kilos supplémentaires de matériel électronique, emportés en soute dans leurs caisses de protection sont arrivés en bon état. Les plans de vols ont été validés par la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC) avant le départ et le survol à proximité de l’aérodrome, négocié.
Le programme est ambitieux. Réaliser une orthophotographie de 80 % de la surface de l’île à 2 à 3 cm de résolution, avec un recouvrement de 40 à 45 %, ce qui permettra également de réaliser des modélisations 2,5 D ! Alors, dès 9h dimanche matin, départ sur site pour 6 heures de vol avec l’objectif de couvrir pas moins de 21 km2, soit environ 10 % de la surface de l’île.
De vrais cartographes
Il faut dire que les drones Avem sont totalement optimisés pour la cartographie. En matériaux composites (fibre de verre, mousse, un peu de carbone là où c’est indispensable), ils ont une envergure de 2,13 m et pèsent deux kilos une fois équipés de leur capteur (ici, un Sony Alpha 5 100), de leur centrale inertielle et de leurs batteries. Entièrement conçus et assemblés par la petite équipe d’Aeromapper, ils entrent dans la catégorie S4 (longue portée), ce qui leur permet de voler hors vue, jusqu’à 15 km de leur lieu de décollage, grâce à un fonctionnement sécurisé et automatisé.
Car une fois le plan de vol entré dans le drone (élaboré sur un logiciel maison), ce dernier est totalement autonome, même si le télépilote peut reprendre la main à tout moment en cas de nécessité. Vu la densité d’images acquises, même sans point de contrôle et sans post traitement, la précision des orthophotographies produites se situe autour de 20 cm en planimétrie et de 30 cm en altimétrie. Mais il faut un pilote certifié pour les faire voler, d’où la présence de Thomas, 37 ans de métier. « Plus l’appareil est sécurisé, plus nous avons de liberté » rassure Nicolas. Même si c’est le seul type de drone à avoir le droit de survoler des personnes, il reste bien sûr de nombreuses zones d’exclusion imposées par la DGAC et les deux villes principales de l’île ne seront pas couvertes.
Débuts de mission contrariés
Nous voilà donc sur une piste sillonnant entre les champs de canne à sucre, dont la récolte commence à peine, pour arriver sur un point haut du plateau central de l’île, à la Folle Anse. Au menu de la journée, trois vols de deux heures chacun, pour couvrir une zone d’élevage et de cultures, ainsi qu’un immense marécage, qui descend vers la mer, hautement submersible et très exposé en cas de tsunami.
Mais le vent souffle fort et refuse de mollir. « Si ça souffle à 45 km/h au sol, on peut avoir plus de 70 km/h à 100 mètres d’altitude. Comme c’est la vitesse du drone, il va se transformer en cerf volant, » se désole Nicolas. Thomas déplace la station fixe de communication et assemble les ailes du drone en quelques tours de tournevis, Nicolas teste le capteur, tout le monde scrute les nuages. Mais rien n’y fait. Au bout d’une heure, il faut renoncer et rentrer à la base. « On reviendra cet après-midi si le vent ralentit. » Deuxième essai à 15h : l’équipe fait décoller le drone et mesure la vitesse du vent à 140 mètres d’altitude : 50 km/h. Rien à faire.
Lundi matin, le vent a à peine molli, mais c’est suffisant pour commencer la mission. En une journée et en trois vols, 700 hectares sont acquis, soit trois fois plus qu’en une semaine en 2016. Nicolas est fier de son poulain, qui s’améliore à chaque génération. Malgré les conditions de vol limites, les prises de vue sont exploitables et sont assemblées dans la soirée.
De nombreux usages possibles
Le potentiel des drones longue portée en matière de risques est encore largement à explorer. Faciles et rapides à déployer, capables de couvrir de grandes surfaces, ils offrent une stabilité de vol adaptée à la prise de vue aérienne. « Notre métier, c’est la donnée » insiste Nicolas. Et des données, Aeromapper va en acquérir, si Neptune y met du sien. Orthophotographie, mais également modèle numérique de surface texturé permettront d’affiner la modélisation de la submersion, une connaissance bien utile pour anticiper les impacts probables d’un tsunami. HAND diffusera toutes les données en open data et les chargera sur la plateforme cartographique en développement. Plusieurs utilisateurs potentiels se sont déjà manifestés, notamment à la direction de l’Environnement (DEAL) pour le repérage des décharges sauvages qui sont des nids à moustiques tigre, la cartographie du trait de côte et des algues toxiques (sargasse). Le drone survolera également certaines zones maritimes, jusqu’à dix kilomètres du rivage afin de compter les mammifères marins, grâce à une mobilisation des contributeurs OpenStreetMap. Mardi matin, l’équipe a rencontré les responsables de l’usine de canne à sucre de Marie-Galante. « C’est une première rencontre, plus centrée sur la sensibilisation au risque tsunami. Nous leur avons montré ce que nous faisions et ce que nous pouvions produire comme données. Nous sommes également passé à l’École Simplon pour présenter notre métier aux étudiants, » détaille Nicolas, avant de filer à l’autre bout de l’île pour effectuer un nouveau vol. « C’est l’un des avantages du drone, insiste Thomas, nous pouvons rapidement profiter du moindre créneau météo disponible. »
Jour J
Jeudi 15 mars, jour de l’exercice, le drone prendra également son envol si la météo le permet. Bien sûr, en cas de tsunami réel, il faudrait attendre un jour ou deux, le temps d’arriver sur site. Mais l’idée est bien de profiter de CaribeWave pour tester les possibilités d’évaluation de dommages. En quelques heures de vol, acquérir des images à très haute résolution peut permettre d’identifier les bâtiments détruits, de cibler les secours. L’enjeu sera en outre d’utiliser la caméra basse résolution de contrôle située à l’avant du drone. « Nous allons essayer de récupérer le flux vidéo en streaming et de le transmettre en temps réel par signal radio, » détaille Nicolas. Les données acquises par le capteur optique, seront, quand à elles, traitées le soir même. Ainsi, preuve sera faite que le système peut fonctionner en parfaite autonomie même en situation de crise.
Données de base pour une connaissance fine du territoire, images ciblées pour évaluer les dommages, flux vidéo temps réel pour des premiers comptages et repérages… les images acquises par les drones longue portée ont décidément leur place dans cette mission. Leur diffusion en open data, sous forme de tuiles facilement exploitables, permettra en outre de développer des usages plus classiques de gestion territoriale, et d’autres encore à découvrir… Alors, tout le monde croise les doigts pour que le vent se calme.