Christophe Tourret, fidèle promoteur de l’intelligence géographique
Catégorie: Cartographie, Entreprises, Portraits
Entré chez Esri France en 1989, Christophe Tourret vient d’en être nommé directeur général délégué. Entre affinité profonde, heureuses rencontres et fidélité sans faille, retour sur le parcours d’un promoteur infatigable de l’intelligence géographique.
Bon en physique, Christophe Tourret était plutôt prédestiné à des études scientifiques. Mais c’était compter sans un professeur de 5e, qui lui a transmis le goût de la géographie, vers laquelle il se tourne naturellement après son bac. « À l’époque, on n’était pas obligé de se poser autant de questions qu’aujourd’hui. J’aimais la géographie, ça me plaisait. Alors je me suis inscrit à la fac. Mes parents m’ont laissé faire, je ne me demandais pas du tout ce que j’allais en faire ».
Des statistiques à la cartographie
Nous sommes en 1983 à Orléans et une autre rencontre va avoir son importance, avec Philippe Quodverte, jeune et dynamique enseignant en statistique. « Le mariage de la statistique et de la cartographie m’a tout de suite attiré ». Sa licence en poche, Christophe décide de partir à la capitale et s’oriente vers la cartographie. Il fait sa maîtrise à La Sorbonne qui lui donne l’occasion de travailler sur le parcellaire dans l’espace périurbain d’Orléans : « j’avais tout relevé à la main pour faire des cartes en A0 ». Il intègre ensuite le DESS de Cartographie Thématique de Paris I [devenu Master Carthageo, NDLR]. Dans la petite salle du dernier étage de l’Institut de Géographie, il découvre quelques ordinateurs dont personne ne se sert. « Grâce à mon père qui était directeur d’école et avait bénéficié du plan informatique pour tous, cela faisait des années que je passais mes dimanches sur un ordinateur… Au DESS, j’étais le seul à avoir ce type d’affinité. Du coup, je me suis mis à bidouiller, à développer des petits trucs. On travaillait également sur SAS en statistiques. » Le jeune cartographe est dans son élément. Pendant un an, il a l’occasion d’associer ses passions pour la géographie, la cartographie et l’informatique : « Ce fut une année formidable ! »
Débuts à Esri France
À l’heure de faire son stage à l’été 1989, Christophe Tourret hésite entre deux propositions : dessiner des cartes pour le magazine Grands Reportages ou rejoindre un bureau d’études (BDPA) pour créer une base de données sur l’aménagement routier du Congo, à l’aide de l’un des premiers SIG en France à l’époque, ARC/INFO. « Pendant l’année de DESS, nous étions allés visiter les bureaux d’Esri France qui venait de se monter, dans des locaux en sous-sol, rue du Château des Rentiers à Paris. Ça m’avait fait rêver ! J’avais l’impression d’être dans la Silicon Vallée française ». Du coup, il choisit la deuxième option, s’initie à ARC/INFO et digitalise des cartes du Congo. En septembre, totalement conquis, il commence une thèse en SIG sous la direction de Denise Pumain tout en travaillant à mi-temps chez Esri France. « Au bout de quelques mois, j’ai laissé tomber la thèse et je suis passé à plein temps. »
C’est le début d’une aventure de plus de trente ans, au sein d’une entreprise qu’il n’a jamais quitté. « Nous étions une toute petite équipe. Pendant quatre ans, nous avons évangélisé le marché. Je crois que j’ai dû faire trois fois le tour de la France dans la R18 puis dans la Renault Espace de Rony Gal. Pour faire des démonstrations, il fallait apporter notre matériel car ARC/INFO ne tournait pas sur n’importe quelle machine. Les gens découvraient les concepts des SIG, leurs capacités d’analyse et de visualisation, ils étaient subjugués. On avait l’impression d’être des magiciens ! »
Au cours des années, Christophe Tourret occupe plusieurs postes, accompagne les clients dans le démarrage de leur SIG, met en place un support technique, travaille sur de nombreux projets. Il se souvient encore avec émotion de la carte de l’Ile-de-France au ½ 000 qu’il réalise avec Yves Roynard de la RATP en exploitant la première version de Géoroute de l’IGN. Une carte, ou plutôt un ensemble de feuilles qui occupèrent tout un pan de mur lors d’une conférence européenne des utilisateurs à Paris, au début des années 90.
De la technique à la gestion opérationnelle
En 1998, il est tenté par l’aventure montpelliéraine et prend la direction de la première agence régionale d’Esri France. Il y reste presque quatre ans. « C’était passionnant, mais j’étais meilleur à faire autre chose que le commercial. » En 2001, à son retour à Paris, il prend la direction des équipes techniques et devient le référent technologique de l’entreprise, assurant le lien entre les besoins des utilisateurs français et les équipes américaines. À partir de 2015, il prend également en charge la gestion et les finances, au départ en retraite du directeur administratif et financier. Aujourd’hui, il prend la direction générale déléguée de l’entreprise, au moment où Rony Gal, son PDG, fondateur et actionnaire principal, prend du recul. « Nous sommes très complémentaires et nous avons toujours très bien travaillé ensemble. » En pleine phase d’installation de son poste, Christophe Tourret n’entend pas révolutionner l’entreprise, qui compte aujourd’hui 220 salariés. « Quand un changement de ce type arrive, cela libère des énergies, il y a des rôles à revoir, je passe beaucoup de temps sur le management interne, sur la conduite de ce changement… mais je le fais dans la continuité, à l’image de mon parcours chez Esri France. »
Le défi est également externe à un moment où le marché des techniques géomatiques (quel que soit le nom qu’on leur donne) s’élargit. « Il y a de plus en plus de données, de plus en plus de capacités techniques, de plus en plus de prise de conscience de la géographie en tant que sujet… la vision que nous développons depuis plus de vingt ans se réalise. » Avec ses logiciels, mais également ses contenus et ses nouveaux modes de consommation, « Esri est bien placé pour capter une partie de cet élargissement des usages. »
Pour le nouveau directeur général d’Esri France, le développement de l’accès aux traitements et contenus en mode SaaS devrait rapidement se généraliser. Mais il voit également plus loin : « il y aura une véritable révolution quand nous arriverons à mettre en contact les immenses ressources du big data et l’intelligence géographique. Aujourd’hui, nous sommes encore en phase d’expérimentation. Beaucoup de lacs de données (data lakes) sont constitués mais peu sont exploités. Quand on en tirera vraiment l’intelligence spatiale, ce sera très puissant. » Mais c’est un domaine et une perspective qui n’intéressent pas que les acteurs traditionnels de l’information géographique…