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Conjureur d’espaces cachés

| 12 décembre 2013 | 0 commentaire

Catégorie: Cartographie, Grand public, Livres, Arts, Expos, Portraits

© Christine Tamalet

© Christine Tamalet

Journaliste spécialisé dans le renseignement, formé à la géographie et à la philosophie, Philippe Vasset passe une bonne partie de sa vie à marcher et à écrire. Cet arpenteur s’intéresse aux espaces interstitiels, auxquels il rend leurs lettres de noblesse dans son dernier roman, La Conjuration. Sa vision des cartes, des globes virtuels et des SIG n’a rien d’utilitaire.

Philippe Vasset annonce d’entrée de jeu la couleur : « Je n’étais pas bon en géographie et je ne crois pas au bon usage de la carte. » Pourquoi faire le portrait d’un tel individu ? C’est que La Conjuration, son dernier roman, prolonge un certain nombre de réflexions initiées dans Un livre blanc, récit publié en 2007. Alors qu’Un livre blanc s’intéressait aux zones blanches sur les cartes IGN, La Conjuration se penche sur les zones noires, « celles qui sont cadenassées et défendues », lieux propices à tous les imaginaires et pourquoi pas, à accueillir une secte sans gourou et sans idéologie, au cœur même de la capitale. Briseur de cadenas, escaladeur de façade… le narrateur de La Conjuration explore tout ce qui échappe à l’urbanisme et à l’aménagement, tout ce qui résiste : salle dans une pile de pont, sous une statue à La Défense, supermarché désaffecté, cimetière, croisement d’autoroutes, tunnel de l’ancienne Petite Ceinture…

Échec des cartes

« La carte m’intéresse pour elle-même, en tant qu’objet. » C’est à l’école primaire qu’il découvre ses premières cartes : les cartes géomorphologiques, « mystérieuses, car il fallait un savoir pour les décrypter que je n’avais pas, elles racontaient des choses invisibles. On aurait dit des écorchés ». Il s’intéresse ensuite aux cartes IGN, mais là où on les attend le moins, en ville. « Elles donnent des points de vue sur des choses qu’on ne voit pas de la rue, comme les installations ferroviaires. » Et voilà Philippe Vasset parti à l’assaut de ces espaces révélés par la carte ou cachés sous le blanc. « Les cartes peuvent donner un éclairage inattendu mais elles ne peuvent pas épuiser l’espace. C’est encore plus vrai pour les globes virtuels. Ils ont un rapport encore moins transparent avec ce qu’ils sont censés décrire. Cet environnement immersif couturé est bourré d’artefacts, de visages floutés, ce n’est pas l’espace. En découvrir les imperfections me met en joie. » Et c’est souvent dans ces accidents que finissent les balades de Philippe Vasset.

Échec de l’aménagement

C’est à Orléans, où il passe son enfance et son adolescence qu’il commence ses déambulations, qui deviennent rapidement obsessionnelles (« dix ans après en être parti, j’en rêvais encore »). À Paris, c’est la période heureuse de la collection de lieux inattendus, « me servant de ma carte IGN comme d’un plateau de Monopoly ». Le banquier des espaces interstitiels s’enrichit. Six ans plus tard, le début de La Conjuration nous présente pourtant un narrateur aux abois : « Les urbanistes avaient coupé ma drogue favorite de circuits fléchés et de visites recommandées […]. Dans leur sillage, plus de vacant, plus d’inutile, seulement du neuf, du verni et du fonctionnel. Mon Beyrouth mental, autrefois sillonné de factures, n’était plus qu’une grille d’abscisses et d’ordonnées, un réceptacle transparent aux alvéoles interchangeables. » Il rêve alors de lâcher une « bombe cadastrale » sur Paris.

Mais Philippe Vasset est désormais rassuré. « J’avais peur du remplissage, du bornage de la ville, mais il y a beaucoup d’échecs. » Ainsi, les premières boutiques sont déjà en train de fermer au centre commercial du Millénaire, ouvert il y a deux ans, décrit dans La Conjuration. La volonté d’aménagement généralisée n’est pas aussi efficace que prévue, même si la traque nécessite une bonne dose d’opiniâtreté, et « les SIG ne sont pas plus efficaces comme instrument de maîtrise de la ville que la carte ».

Pourtant Philippe Vasset ne veut pas faire école. C’est bien de son expérience qu’il parle, de sa soif d’imaginaire, de ses espaces intérieurs. Celui qui déteste les randonneurs « qui ne se perdent jamais », refuse toutes les sollicitations des architectes, urbanistes et autres aménageurs, qui rêvent de l’intégrer dans leurs groupes de réflexion. Lui, il rêve de partir en Mongolie pour explorer les grands espaces miniers, à Lagos, « une ville où il ne reste plus que les espaces interstitiels », Kinshasa ou Manille… Avec, on l’espère, de nouveaux récits à la clé.

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Bibliographie

  • Exemplaire de démonstration : Machines, I. Paris, Éditions Fayard, 2003
  • Carte muette : Machines, II. Paris, Éditions Fayard, 2004
  • Bandes alternées. Paris, Éditions Fayard, 2006
  • Un livre blanc. Paris, Éditions Fayard, 2007
  • Journal intime d’un marchand de canons. Paris, Éditions Fayard, 2009
  • Journal intime d’une prédatrice. Paris, Éditions Fayard, 2010
  • La Conjuration. Paris, Éditions Fayard, 2013

 

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