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Demain, tous cryptocartographes ? Ou comment la blockchain se marie avec l’information géographique

| 6 juin 2018

Catégorie: Cadastre, Données, Entreprises, Marché, Mobilité, Reportages, Réseaux/Transports

1 500 mots, environ 6 minutes de lecture

Que vous ayez compris ou non de quoi il retournait, que vous ayez investi ou pas dans le bitcoin, vous n’avez pas pu échapper au terme de « blockchain » qui a littéralement envahi la presse technique et économique depuis quelques mois. Mais quel rapport avec l’information géographique ? Ils sont plus nombreux qu’il n’y paraît à première vue.

©macrovector pour GettyImages

©macrovector pour GettyImages

« C’est quand le très sérieux Joeri Robbrecht, à la tête de l’infrastructure de données géographiques flamande a abordé le sujet lors de la dernière conférence INSPIRE que je me suis dit que le sujet était important et ne concernait pas que les geeks » s’amuse Marc Leobet en charge de l’information géographique au ministère de la Transition Écologique et Solidaire. Lors de sa présentation à FOSS4G-FR, il a tenu à alerter les géomaticiens en les enjoignant à s’informer sur le sujet et à réfléchir, comme d’autres pays l’ont déjà fait, aux usages possibles de la blockchain. Guillaume Sueur, patron de Neogeo Technologies et « géogeek » assumé, a pour sa part déjà décidé de se lancer : « je suis allé à une formation organisée à la Cantine de Toulouse. J’avais un peu étudié le sujet avant, du coup, j’avais des milliers de questions à leur poser. »

Back to basics

Qu’est-ce que la blockchain ? C’est une technologie permettant le stockage et la transmission d’informations sécurisées et décentralisée. Stockage, transmission, sécurisation, décentralisation… autant de termes qui concernent les données géographiques. Mais encore faut-il s’entendre sur ce qu’information veut dire.

Chaque bloc certifié par cryptage est lié au bloc suivant, créant ainsi une chaîne de blocs alias blockchain.

Chaque bloc certifié par cryptage est lié au bloc suivant, créant ainsi une chaîne de blocs alias blockchain. (©matejmo pour GettyImages)

Car ce que la base de données sécurisée et décentralisée enregistre, ce ne sont pas les données elles-mêmes mais les « transactions » sur ces données. Pour faire très simple (et très schématique), une blockchain est tout simplement un registre infalsifiable, quasiment indestructible, qui référence des transactions, elles aussi infalsifiables. Pour entrer sur la blockchain, les transactions sont regroupées en blocs, ces blocs sont ensuite validés par des nœuds du réseau (c’est pour le côté décentralisé), via des systèmes de cryptographie (c’est pour le côté infalsifiable). De plus, chaque bloc est lié au suivant (c’est la chaîne). Le fait que le bitcoin et les autres cryptomonnaies utilisent la technologie de la blockchain a centré l’attention sur la notion de transaction financière, mais les blocs peuvent contenir (et certifier) les empreintes numériques (elles aussi, infalsifiables) de différents types d’objets : fichiers, suite de coordonnées géographiques, images… Il est donc possible d’utiliser la blockchain pour certifier l’origine d’un fichier, sa version, sa date de mise à jour, mais également pour pointer vers sa localisation effective sur un serveur de fichiers.

Certification des données et des échanges

Parce qu’elle permet de certifier un objet numérique en faisant appel à des registres infalsifiables, la blockchain peut donc aider à sécuriser les échanges de données, qui sont de plus en plus nombreux dans le domaine de l’information géographique. C’est d’ailleurs l’objet des premiers développements réalisés par Neogeo dans le cadre du projet de dématérialisation du cadastre d’Alsace Moselle. Sur le site https://cadastre-alsace-moselle.fr/, un vérificateur qui s’appuie sur la blockchain a été intégré. Ainsi, en quelques clics, un géomètre peut aisément vérifier que le document d’arpentage en PDF qui est sur son ordinateur depuis plusieurs années est bien le document officiel en cours. Il lui suffit de charger son document et de cliquer pour avoir la preuve qu’il utilise la bonne version. « C’est un premier démonstrateur mais on peut aller plus loin, s’enthousiasme Guillaume Sueur. En intégrant certains éléments de métadonnées, on pourrait retourner une information expliquant que c’est bien un document officiel, mais qu’il en existe une version plus récente. » Dans le service développé par Neogeo, la preuve n’est pas apportée par un réseau de contributeurs, mais par une autorité compétente. « L’intérêt de la blockchain, c’est qu’on peut y aller progressivement » complète Guillaume Sueur.

Sur https://cadastre-alsace-moselle.fr/, c'est l'IDG régionale, Geo Grand Est qui assure la certification des blocs qui représentent des documents d'arpentage.

Sur https://cadastre-alsace-moselle.fr/, c’est l’IDG régionale, Geo Grand Est qui assure la certification des blocs qui représentent des documents d’arpentage.

Sécurisation des transactions immobilières

Le cadastre est aujourd’hui l’un des sujets de prédilection des expérimentations autour de la blockchain. La Suède a par exemple mené une première étude sur la vente de biens immobiliers dès 2016, en partenariat avec Chromaway. L’idée est d’enregistrer dans une blockchain privée mais partagée entre les parties prenantes d’une transaction (service du cadastre, acheteur, vendeur, agent immobilier, banque…) toutes les informations permettant de décrire la propriété et de sécuriser la transaction via un « smart contract », c’est-à-dire un contrat inscrit dans une blockchain et validé par les participants. Le projet entre aujourd’hui dans une troisième phase et devrait aboutir dès 2018 à un démonstrateur sur quelques transactions. Chromaway, a également signé des contrats avec l’état d’Andhra-Pradesh en Inde et plusieurs collectivités (en Suède et avec Taïwan). Pour le magazine Forbes, elle est devenue l’une des dix startups à suivre dans le domaine de l’immobilier.

Sécuriser les titres fonciers par la blockchain ? L’idée intéresse de nombreux pays en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie. Au Ghana par exemple, où le cadastre est loin d’être complet (90 % des terres n’ont pas de titre de propriété), cela permettrait de rassembler les documents prouvant la propriété d’un bien (plans, documents officiels, mais également photos, géolocalisation, etc.) et de les sécuriser via la blockchain. Passer par un système décentralisé permettrait de lutter contre la corruption et les abus de toutes sortes. Mais Bitland, l’organisation qui porte le projet Ghanéen, semble avoir du mal à passer à l’échelle. Son idée lui a permis de remporter des prix internationaux, mais sur le terrain, la situation est plus complexe. Elle pose la question de la gouvernance de tels projets. Pour développer son réseau, la blockchain de Bitland doit gagner la confiance des utilisateurs et trouver les bons relais, communauté par communauté. Et ça prend du temps, surtout dans un pays peu informatisé. N’oublions pas que le bitcoin est né en 2009, bien longtemps avant d’être connu du grand public.

 

 

Le Honduras, qui a également étudié la question et mené des tests avec Factom et Epigraph en 2015, semble, lui, avoir abandonné le projet. Plus simplement, la Geogie a signé elle-même un contrat officiel en 2016 avec l’entreprise BitFury afin de mettre les titres de propriété dans la blockchain du Bitcoin. Un an plus tard, 100 000 titres de propriété avaient été enregistrés.

Guillaume Sueur a des exemples plein la tête de services qui pourraient tirer parti de la blockchain pour certifier des données, pour produire de registres ouverts partagés et sécurisés, s’appuyant sur des communautés géomatiques (participants d’une IDG, d’un ensemble d’IDG par exemple, parties prenantes d’un secteur comme l’urbanisme) : permettre à un intervenant sur la voirie de vérifier que le fichier qu’il utilise est bien légitime, à un internaute que les données open data qui circulent sont bien celles qui ont été mises en ligne par leurs producteurs…

Mobilité sans intermédiaire

Autre domaine qui pourrait tirer parti de la blockchain : la mobilité. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si plusieurs grands industriels de l’automobile (Général Motors, Bosch, Ford, Renault…), géants de l’informatique (IBM…) et startups de la Fintech viennent de créer MOBI, alias Mobility Open Blockchain Initiative. Les applications possibles sont nombreuses : logistique (traçabilité des produits, geofencing…), véhicules autonomes, partage de véhicules, paiements à la course… Pouvoir « certifier » des géolocalisations et les partager via la blockchain pourrait même permettre de se passer de plateformes comme Uber !

Une « cryptocarte » du monde en construction

Certains voient loin et militent pour une nouvelle carte du monde, « blockchain compatible ». L’équipe de FOAM propose un protocole en trois étapes afin de donner une dimension géographique à la blockchain (une démarche qui rappelle l’extension du langage SQL afin d’intégrer les données géographiques). La première pierre de l’édifice FOAM est un système de coordonnées cryptospatiales (CSC) permettant de géolocaliser n’importe quel smart contract à un mètre près (soit 500 milliards de localisations) dans la blockchain d’Ethereum. La deuxième est une interface de visualisation géographique (navigateur et API REST) de l’espace des smart contracts. La troisième est un service permettant de fournir une preuve de géolocalisation, en activant le réseau des contributeurs à la blockchain, qui sont alors rémunérés pour leur travail. Au-delà des applications déjà citées, FOAM a imaginé un système complet, comparable au Bitcoin pour engager une communauté d’utilisateurs (les « cryptocartographes ») à établir une nouvelle carte du monde, avec ses points d’intérêt vérifiés et validés. À la fois membre de l’OGC et de MOBI, l’équipe de FOAM envisage toutes sortes d’applications, telles que les jeux géolocalisés (mais sans passer par Google), la distribution d’énergie verte et compensation carbone, le partage de véhicules, etc.

FOAM propose un nouveau système de coordonnées, adapté à la blockchain

FOAM propose un nouveau système de coordonnées, adapté à la blockchain

Création de titres fonciers et d’un cadastre numérique décentralisé, échanges de données sécurisés, géolocalisation certifiée… Ces premières applications de la blockchain sont certainement à suivre.

 

Pour aller plus loin :

  • Le rapport complet sur la première phase de l’expérimentation suédoise sous ce lien
  • Article : « Le cadastre : de la tablette d’argile à la blockchain » paru sur le site Cryptoast sous ce lien
  • White paper de FOAM détaillant sa démarche sous ce lien
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