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Demain, tous géomaticiens ?

| 26 mars 2018

Catégorie: Formation, Marché, Reportages, Utilisateurs

1270 mots, environ 5 mn de lecture

Cartographes gardiens du temple de la sémiologie, développeurs parlant couramment Python et Javascript, spécialistes des bases de données, animateurs, chefs de projet… la géomatique recouvre à la fois de nombreuses compétences et de nombreux métiers. Il n’y a qu’à analyser les intitulés des emplois publiés sur GéoRezo pour s’en convaincre. Mais demain, aura-t-on encore besoin de géomaticiens à l’heure du big data, du crowdsourcing et des apps ? Les étudiants du Mastère Silat ont posé la question à plusieurs experts lors de leur Géoséminaire annuel début mars.

ShowVectorStudio et beatpavel pour Gettyimages

ShowVectorStudio et beatpavel pour Gettyimages

« Tout agent de la métropole peut être considéré comme un géomaticien. » Chantal Marion, vice-présidente de Montpellier Méditerranée Métropole, en charge de l’information géographique, met immédiatement les pieds dans le plat. Désormais, la géomatique, c’est l’affaire de tous ! L’intranquillité inhérente au domaine laisse place à l’inquiétude. Le Géomaticien, dûment formé dans nos écoles d’ingénieurs et nos universités serait-il une espèce en voie de disparition ?

Ça bouge très vite !

Étant elle-même à la croisée de deux domaines qui n’en finissent pas de se chercher (la géographie et l’informatique), la géomatique est en plein renouvellement. Avec le numérique, la géo-information vivrait aujourd’hui sa quatrième révolution selon les membres du SITG genevois. Et ce n’est pas sans conséquences sur les métiers.

Car comment former des étudiants aux savoirs robustes, comment rester à la page quand chaque trimestre apporte son lot de nouveaux concepts ? Big data, datascience, intelligence artificielle, deep learning, machine learning, blockchain, web sémantique… Chacun de ces mots à la mode peut avoir des conséquences en géomatique. Ainsi, le traitement massif des données permet de nouvelles analyses et renouvelle les inventaires ; le machine learning automatise l’analyse d’images satellites ; la blockchain pourrait sécuriser des traitements répartis ; le web sémantique saura extraire la composante spatiale de n’importe quelle recherche sur le Web. Les techniques informatiques évoluent également rapidement, et avec elles, les supports de la géomatique que sont désormais le Cloud, les outils mobiles, les services en ligne et les apps. Ce sont à chaque fois de nouveaux langages et de nouvelles pratiques qu’il faut intégrer. Côté éditeurs, faut-il tout miser sur le libre ou sur les plateformes gratuites proposées par les géants du numérique, et tourner le dos aux opérateurs commerciaux historiques ? Pour trier le bon grain de l’ivraie dans l’emballement médiatique, les géomaticiens doivent être capables de se former au quotidien, de mener une veille active, de se réunir au sein de leurs communautés pour construire de nouvelles pratiques.

Entre deux méthodes de classification qui donnent des résultats globaux satisfaisants (87, 39 % et 90,67 % de précision), l’œil de l’expert est nécessaire pour valider la cohérence spatiale des résultats et faire le bon choix de traitement (exemple sur le classement automatique de données Sentinel sur l’île de la réunion – document Dino Lenco)

Entre deux méthodes de classification qui donnent des résultats globaux satisfaisants (87, 39 % et 90,67 % de précision), l’œil de l’expert est nécessaire pour valider la cohérence spatiale des résultats et faire le bon choix de traitement (exemple sur le classement automatique de données Sentinel sur l’île de la réunion – document Dino Lenco)

Ça peut pas se faire sous Google, ça ?

En tant qu’organisateurs de géo-informations, les temps ne sont guère plus cléments. Le système d’acteurs qui se met en place est nettement plus complexe : services souverains de l’État et collectivités doivent collaborer entre eux et avec des néophytes impliqués. La légitimité des acteurs historiques est remise en cause, de même que leur modèle économique qui se plie tant bien que mal à l’open data et au déplacement de la chaîne de valeur. Le tout dans un contexte budgétaire souvent contraint où il devient très difficile de défendre un investissement, même minime. Et ne parlons pas de réorganisation des services, des changements de compétences territoriales, des nouveaux contextes réglementaires. Le monde de l’information géographique n’a jamais été figé, mais il tangue sous l’effet cumulé de toutes les réorganisations, qui peuvent faire perdre de vue les spécificités d’un domaine qui ne se résume pas à Google Maps.

Un futur très géo

Pourtant, qu’il s’agisse de la voiture autonome ou de l’Internet des objets, rien ne se fera sans données géographiques précises. Et personne n’imagine lutter ou s’adapter au changement climatique sans cartes et sans modélisations spatiales. Quant à l’homme augmenté et prolongé, il devra être suivi à la trace et géolocalisé en permanence pour éviter toute interaction malheureuse avec son environnement, pour anticiper toute exposition à des risques inconsidérés. Mais, ironiquement, ce futur, même parfois effrayant, a beau être très géo, il semble échapper aux géomaticiens. De nouveaux marchés émergent, mais loin des sphères habituelles de l’information géographique.

Pas de panique, enjoy géomatique

Malgré ce tableau plutôt sombre, qui pourrait faire renoncer les plus jeunes et décourager les plus aguerris, la géomatique a encore de beaux jours devant elle.

Tout d’abord, les professionnels ont déjà beaucoup évolué ces dernières années. INSPIRE les a obligés à plonger dans les métadonnées, les formats et les flux… autant de bonnes leçons apprises et utiles pour l’open data. Par souci d’optimisation des dépenses au départ, ils ont acquis des compétences en animation et savent concevoir des projets qui impliquent plusieurs acteurs, plusieurs communautés. Ils sont tous membres d’infrastructures de données régionales, locales ou thématiques. Ils ont découvert la collaboration et la coopération. Ils sont parmi les plus gros contributeurs à des projets comme OpenStreetMap et savent bien ce qu’ils peuvent en attendre. Le monde change, et les géomaticiens également, ce n’est pas nouveau.

Le collaboratif est déjà bien ancré en géomatique, la preuve ? Même l'IGN s'y met !

Le collaboratif est déjà bien ancré en géomatique, la preuve ? Même l’IGN s’y met !

Même dans un monde où les processus sont de plus en plus automatisés, où les machines parlent aux machines, les experts humains sont nécessaires. Ainsi, comme l’a rappelé Dino Lenco de Tetis à propos du machine learning, le choix des algorithmes, des données d’entraînement, la validation des modèles restent aux mains des experts. De même, la fabrication des indicateurs qui alimentent observatoires et systèmes d’aide à la décision s’appuie sur une connaissance fine des données exploitées et de ce qu’elles représentent. Une mission technique mais également éthique, comme l’a très bien montré Pierre Gautreau au sujet des indicateurs de déforestation par exemple.

Pour produire des services simples comme le Géoportail de l’urbanisme, il faut des compétences géomatiques poussées : contrôle qualité, intégration, harmonisation, métadonnées…

Pour produire des services simples comme le Géoportail de l’urbanisme, il faut des compétences géomatiques poussées : contrôle qualité, intégration, harmonisation, métadonnées…

L’explosion des usages des données géographiques qui pénètrent des secteurs encore inimaginables il y a dix ans permet également aux géomaticiens de trouver de nouveaux débouchés. À ce titre, le témoignage de l’équipe de LK Spatialist, spécialiste de l’évaluation foncière et immobilière, était très encourageant. De nombreux étudiants trouvent en ce moment des stages dans le déploiement des réseaux haut débit. Un autre secteur qui n’est pas près de se tarir compte tenu de l’ambition du programme national.

Enfin, rappelle Thierry Joliveau de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, il ne faut pas oublier l’effet « Blade Runner », premier film de science-fiction à mettre en scène un univers futur où le neuf côtoie le vieux. Le monde sans couture n’est qu’une utopie et la force d’inertie des organisations est immense. De plus, « chaque renouvellement technique amplifie l’élan origine, explique le chercheur et responsable de formation. Il y a un effet reboost. La photographie aérienne n’a pas tué la carte, bien au contraire. »

« Oui, vous servez à quelque chose » martèle Boris Mericskay de l’université de Rennes. Que les géomaticiennes et les géomaticiens se rassurent. Il y aura toujours de la place pour des profils très variés. Animateurs, gestionnaires de données, développeurs, analystes… certains continueront longtemps à faire un peu de tout, d’autres auront l’occasion de se spécialiser sur des compétences très ciblées. Mais tous devront travailler ensemble et continuer à se former et s’informer au quotidien. Même si son avenir semble chaotique, la géomatique reste bien un métier d’avenir.

 

Sur le site web du Géoséminaire, retrouvez les présentations et les vidéos de la journée du 6 mars 2018

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