No Banner to display

« Désormais Google dispose de plus d’informations que l’INSEE »

| 14 janvier 2014 | 0 commentaire

Catégorie: Cartographie, Données, Entreprises, Institutions, Marché, Open Data, Reportages, Secteur public

(Pymouss, pour Wikipedia)

(Pymouss, pour Wikipedia)

Physicien de formation et statisticien de métier, Christophe Terrier a travaillé à l’INSEE, au ministère du Tourisme ainsi qu’à la Datar. Aujourd’hui en retraite mais toujours actif, notamment via le blog Belgrand de veille sur les données, il évoque une guerre des traces et s’inquiète de l’avenir de la statistique publique.

Dans un article à paraître en janvier dans la revue Espaces dédiée au tourisme, vous mentionnez une guerre des traces. Que voulez-vous dire ?

Depuis les révélations d’Edward Snowden, il devient de plus en plus difficile d’ignorer que toutes nos traces numériques – qu’elles proviennent du téléphone ou d’internet – sont captées, enregistrées, analysées et stockées. La NSA, mais aussi les grands acteurs du Net, en particulier le GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) captent tout ce qu’ils peuvent et déploient de grands efforts pour pouvoir capter toujours plus. De nouveaux objets connectés comme les bracelets électroniques ou les Google Glass sont d’ailleurs de nouvelles sources d’information sur notre état de santé, ce qui attire notre œil, etc. Mais il y a d’autres acteurs dans cette immense chasse aux traces électroniques. En premier lieu, les opérateurs téléphoniques qui assurent la circulation de nos données. Pour l’instant, officiellement du moins, ils se contentent de garder la trace des transactions sans s’intéresser à leur contenu. Mais ils sont parfaitement capables de suivre toutes nos localisations successives et d’en déduire nos déplacements. Ils fournissent cette information à la police sur requête judiciaire, mais commencent aussi à la monétiser sous forme anonyme.

En tant que statisticien, cette marchandisation vous inquiète ?

Sans même aborder la question de la protection de la vie privée, il est inquiétant de constater que les faits et gestes, et même les pensées, des individus du monde sont accessibles à quelques grands acteurs mais ni à la statistique publique, ni aux chercheurs ou aux observateurs. La connaissance privée, à but commercial ou sécuritaire, est en train de s’accroître démesurément tandis que la connaissance publique stagne ou même régresse sous les coups d’une austérité budgétaire.

Désormais Google dispose de plus d’informations que l’INSEE, comme l’ont récemment dénoncé deux chercheurs, Stéphane Grumbach et Stéphane Frénot dans les colonnes du Monde, puisque toute la connaissance acquise par l’Institut est mise à la disposition de tous, service public oblige, et donc de Google, tandis que toute information captée par Google n’est accessible qu’à Google et à ceux qui disposent d’un droit d’accès aux données de Google, c’est-à-dire la NSA.

Que peut faire la statistique publique face à cette évolution ?

La statistique publique pourrait utiliser des données de flux téléphoniques et de paiement par carte bancaire à des fins statistiques sans renier ses principes. Les flux de voyageurs et de touristes sont actuellement estimés sur la base d’enquêtes complexes et coûteuses de même que les dépenses des touristes et l’apport économique du tourisme aux territoires visités. Sur le plan déontologique, le service public de la statistique a une grande habitude du traitement de données personnelles en garantissant le respect de l’anonymat. Sur le plan technique, il dispose d’une ingénierie de haut niveau. Reste le problème de l’accès aux données. Il sera sans doute nécessaire de légiférer pour obliger les opérateurs à transmettre les données à l’INSEE ou au service statistique public concerné, avec ou sans compensation financière.

Eurostat explore actuellement, très prudemment, cette piste. Il a récemment lancé un appel à projets pour une « étude de faisabilité sur l’utilisation des données issues des téléphones portables pour les statistiques du tourisme ». Pour l’instant il ne s’agit que d’explorer ce qui se fait éventuellement en la matière dans les pays d’Europe et de cerner les possibilités et les barrières. Le projet est actuellement piloté par une équipe d’Estonie à laquelle est associée, pour la France, l’Ifsttar. Les résultats de cette étude devraient être mis à disposition du public par Eurostat au cours de l’été 2014. J’ai également entendu dire que la Suisse entreprenait une démarche pour « réquisitionner » les données de l’opérateur Swisscom afin d’améliorer la connaissance publique des déplacements en Suisse. Exemple à suivre ?

Print Friendly, PDF & Email
Signaler un contenu

Laisser un commentaire

No Banner to display

No Banner to display