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Géoprospective, une approche encore méconnue

| 15 décembre 2015 | 1 commentaire

Catégorie: Cartographie, Données, Dossier : Quel géo-avenir ?, Entreprises, Environnement, Géomarketing, Imagerie, Institutions, Logiciels, Marché, Open Data, Recherche, Réseaux/Transports, Utilisateurs, WebMapping

La prospective est un exercice classique de l’aménagement du territoire. Mais elle est souvent peu spatialisée. Pour révéler les enjeux que le futur fait peser sur les territoires, à des échelles assez fines, les chercheurs mobilisent différentes techniques de simulation, mais elles restent encore peu exploitées par les acteurs publics.

« Il y a en gros deux approches de la prospective, rappelle Maxime Frémond, qui vient de soutenir sa thèse. L’approche plutôt américaine que l’on peut résumer par la prévision (forecasting en anglais) essaye d’anticiper un phénomène à partir des tendances passées. Les prévisions sont en quelque sorte des probabilités. L’école française de géoprospective s’appuie sur des scénarios construits par des groupes d’acteurs. Elle présente plus des possibilités que des probabilités. Elle répond à la question Que se passerait-il si telle ou telle mesure était mise en place ? » Plus proche de l’aide à la décision que de la prédiction, la géoprospective ne prédit pas le futur mais aide les acteurs à identifier le plus désirable parmi des futurs possibles. Les scénarios peuvent être plausibles ou volontairement exagérés, permettant de « forcer le trait » pour rendre tangibles certaines conséquences. Charge aux acteurs territoriaux de mettre ensuite en œuvre les actions permettant d’atteindre ce futur souhaitable et, parfois, âprement négocié.

Des simulations et des scénarios

Pour construire les scénarios et faire émerger les enjeux territoriaux, les groupes d’acteurs peuvent s’appuyer sur différentes ressources : jeux sérieux, mais aussi discussions plus ou moins encadrées, dires d’experts (augmentation des températures moyennes, évolution du prix du carburant…). Les analyses SIG alimentent cette première étape en présentant un état des lieux et un retour sur les années passées. Elles sont également utiles pour montrer concrètement les impacts de certains scénarios, comme l’ont étudié de près plusieurs chercheurs dans l’étude du bassin versant de l’Yzeron, en périphérie de la métropole lyonnaise.

La géoprospective associe participation, scénarisation et modélisation. (Actes du colloque SAGEO 2013).

La géoprospective associe participation, scénarisation et modélisation. (Actes du colloque SAGEO 2013).

Les scénarios servent ensuite de base au paramétrage des simulations, qui s’appuient sur différents modèles en fonction des thèmes abordés : évolution de l’occupation du sol (modèle LCM directement intégré dans Idrisi par exemple, modèle MOLAND conçu par des chercheurs allemands…), des mobilités, de la forme urbaine… Dans le cas de l’évolution de l’occupation du sol, les simulateurs prennent en compte les évolutions passées (analyse diachronique) pour construire des matrices de transition. Ensuite, chaque zone (maille d’une grille généralement) va évoluer vers telle ou telle nouvelle forme d’occupation du sol (toutes les évolutions n’ont pas la même probabilité de se produire) selon un pas de temps à définir en fonction de paramètres représentant les scénarios (forte pression urbaine, préservation accentuée des zones naturelles…). Les automates cellulaires sont souvent utilisés. Ils permettent de faire évoluer chaque cellule de base en fonction d’un certain nombre de critères locaux, tout en prenant en compte l’évolution générale. La complexité de la réalité ainsi résumée rend parfois les modèles particulièrement difficiles à comprendre, étant eux-mêmes des associations de plusieurs modules.

Comment vont évoluer les paysages dans les Quatre montagnes dans le Vercors ? Une étude menée par des chercheurs de l’IRSTEA a associé construction de scénarios par les acteurs, exprimant différents choix possibles en matière de gestion forestière et simulation de l’occupation du sol.

Comment vont évoluer les paysages dans les Quatre montagnes dans le Vercors ? Une étude menée par des chercheurs de l’IRSTEA a associé construction de scénarios par les acteurs, exprimant différents choix possibles en matière de gestion forestière et simulation de l’occupation du sol.

MobiSim, un exemple de modèle complexe

MobiSim est un bon exemple. Son objectif est de faire le lien entre les mobilités (quotidiennes et résidentielles) et le développement urbain. La création de cette plateforme de simulation remonte au début des années 2000. Depuis 2008, le projet est porté par le laboratoire ThéMA de Besançon, soutenu par des financements du ministère de l’Écologie et de l’ADEME. Entièrement développé en Java, le simulateur s’appuie sur des composants déjà développés au laboratoire ainsi que sur des outils standards (SIG, gestion de bases de données, cartographie). Il est centré autour de la modélisation transport-urbanisme c’est-à-dire sur l’interaction entre l‘offre et la demande de transports, de biens immobiliers et l’usage de sol. Il intègre une dimension comportementale (pourquoi les individus se déplacent), multiscalaire, tout en prenant en compte différents scénarios prospectifs.

Le fonctionnement de Mobisim

Le fonctionnement de Mobisim

MobiSim fonctionne en trois étapes. Dans un premier temps, une population d’agents réalistes est générée (regroupée en ménages) sur le territoire étudié, ainsi que l’environnement dans lequel elle évolue. Les caractéristiques individuelles des ménages sont issues des données INSEE mais intègrent également des données sur les revenus. L’environnement, quant à lui, est composé des bâtiments avec leurs différentes fonctions (BD Topo), des réseaux de transports (modélisés en graphes), ainsi que des aménités (commerces, services, loisirs, éducation…). Trois couches géolocalisées sont ainsi générées : les agents, les ménages et les logements. Ensuite, les mobilités quotidiennes sont modélisées, sur la base de programmes d’activités (qui varient en fonction des caractéristiques de chaque agent) qui génèrent des déplacements (itinéraires) selon les différents modes à disposition (transports en commun, véhicule individuel…). Les déménagements des ménages ne sont pas oubliés, en lien avec leur satisfaction et leurs préférences résidentielles. Dans cette étape, l’offre de logements, l’accessibilité, les aménités sont pris en compte ainsi que la propension à déménager en fonction des caractéristiques et du cycle de vie des ménages. Le parc de logements peut lui-même évoluer avec l’apparition de nouvelles constructions, selon différents types de forme urbaine (compacte, étalée, diffuse…). Année par année, les agents vieillissent (modèle Destinie de l’INSEE), ce qui influe sur leurs déplacements tant quotidiens que résidentiels. Les grandes étapes de la simulation restent liées et dépendantes : les nuisances associées aux mobilités quotidiennes influent sur la satisfaction résidentielle par exemple. D’où un fonctionnement du modèle par itérations ce qui lui permet d’intégrer de nouveaux équipements à une date précise, de nouvelles politiques de transports, etc.

Si l’alimentation du modèle fait appel à des données standards (INSEE, IGN), son calibrage s’appuie sur celles issues des enquêtes ménages-déplacements afin de prendre en compte les comportements individuels. Des bases locales servent également à la validation. Quant à la scénarisation, elle est souvent issue de discussions avec les acteurs locaux. « La plateforme a été utilisée par plusieurs projets, précise Jean-Philippe Antoni du laboratoire ThéMA. Dans le cadre du programme VILMODes, nous avons par exemple comparé différents scénarios d’évolution, plus ou moins volontaristes, sur Besançon et Lyon »

Où gagnera-t-on du temps à Besançon en transports en commun entre 2010 et 2030 si on laisse l’étalement urbain se poursuivre ? Une des cartes produites par Mobisim dans le cadre du projet VilmodES.

Où gagnera-t-on du temps à Besançon en transports en commun entre 2010 et 2030 si on laisse l’étalement urbain se poursuivre ? Une des cartes produites par Mobisim dans le cadre du projet VilmodES.

Application au Luxembourg

Dans sa thèse, Maxime Frémond a utilisé MobiSim. Il s’est intéressé au lien entre forme urbaine et mobilité quotidienne dans un pays qui a très peu de documents de planification : le Luxembourg. Ce dernier subit une forte croissance démographique et présente l’un des pires taux d’utilisation de la voiture. Pour accueillir 30% de population en plus à l’horizon 2030 (par rapport à 2010), il faudrait construire quelque 130 000 logements, soit un rythme de 6 500 logements par an. Or le pays est loin du compte !

Pour mener son analyse, le chercheur est parti des projections démographiques de l’Institut national de la statistique qu’il a déclinées en normes de densité, afin de calculer des surfaces à urbaniser selon ces différentes normes. Il a ensuite réparti ces surfaces dans l’espace selon différents scénarios plus ou moins contraignants (répartir les nouveaux logements sur l’ensemble des cent seize communes du pays, les concentrer sur les communes prioritaires ou les réserver aux trois pôles urbains). Ensuite, l’accessibilité aux différentes aménités est calculée par cellule. Dans une deuxième partie du travail, les scénarios sont comparés en termes de déplacements quotidiens : où sont les congestions ? Quelle est la part de la voiture et des transports en commun ? Quelle est la longueur moyenne des déplacements ? etc. « Avec un scénario contraignant qui place tous les nouveaux logements à moins d’un kilomètre d’une gare, on peut réduire la place de la voiture de 20 %, ce qui montre que la planification urbaine peut influer sur l’avenir » conclut le chercheur.

Les limites de la prospective

Mais la géoprospective a du mal à sortir des laboratoires de recherche. Si elle intéresse les services techniques, les décideurs restent peu demandeurs. « Je crois que les décideurs ont peur des interprétations qui pourraient être faites des cartes présentées, comme si elles fixaient le futur » analyse Françoise Gourmelon, de l’université de Bretagne occidentale, qui anime un axe de recherche sur le sujet dans le cadre du GDR MAGIS. Il faut dire que certaines cartes et analyses issues des modèles peuvent mettre en lumière des zones dont la situation sera plus ou moins enviable. « C’est également une question de temporalité, ajoute Jean-Philippe Antoni, les projections sont au-delà du temps électoral, elles ne passent pas la barre de la décision politique ». Pourtant, l’heure est à la participation du public, largement mobilisé pour donner son avis sur le futur de son territoire. « Les processus participatifs se multiplient mais les cartes doivent uniquement servir à enrôler, elles doivent rester peu interprétées sans cela, elles sont vues comme des boîtes noires » complète Françoise Gourmelon. Il faut dire que la manipulation de certains modèles implique encore l’écriture de nombreuses lignes de codes et une bonne dose de patience, ce qui renforce l’effet boîte noire des résultats produits. D’où la nécessité d’une véritable mise en interface et d’un accompagnement des utilisateurs. Un rôle qui relève plus des bureaux d’études que des chercheurs et un positionnement qu’a bien compris ForCity par exemple.

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Commentaires (1)

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  1. Françoise De Blomac dit :

    Une formation de 2,5 jours est organisée au CNRS : « Prospective et géomatique : construction de scénarios et usages de modèles spatiaux » https://cnrsformation.cnrs.fr/stage.php?stage=16011&axe=83

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