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Les politiques de mobilité à l’épreuve de l’habitude

| 15 décembre 2015 | 0 commentaire

Catégorie: Données, Livres, Arts, Expos, Mobilité, Recherche, Reportages, Réseaux/Transports

Voilà plusieurs décennies qu’État et collectivités mettent tout en œuvre pour réduire la part de l’automobile dans les déplacements, avec des succès plus que mitigés. Dans Déplacements urbains : sortir de l’orthodoxie, Thomas Buhler rappelle une dimension trop oubliée des politiques publiques : la force de l’habitude.

Écouter la radio, discuter avec son ado avant de le déposer au collège, laisser ses pensées divaguer, en profiter pour faire deux courses… Les temps de voiture ne sont pas toujours négatifs et participent au renforcement d’habitudes qui limitent l’adoption des transports en commun. (©piranka pour Thinkstock)

Écouter la radio, discuter avec son ado avant de le déposer au collège, laisser ses pensées divaguer, en profiter pour faire deux courses… Les temps de voiture ne sont pas toujours négatifs et participent au renforcement d’habitudes qui limitent l’adoption des transports en commun. (©piranka pour Thinkstock)

Comment réduire l’automobile en ville ? Voilà longtemps que les autorités publiques se cassent les dents sur la question. Pourtant, depuis trente ans, elles rivalisent d’originalité dans les solutions envisagées : péage urbain, transports en commun en site propre, vélos en libre-service… Chaque nouvel équipement de transport public a beau être utilisé, la part de la voiture a du mal à décroître.

L’Homme ne passe pas son temps à choisir

Comment analyser cet échec relatif des politiques publiques de transport ? Thomas Buhler, maître de conférences en urbanisme et aménagement à l’université de Franche-Comté et membre du laboratoire ThéMA, y voit avant tout une erreur dans l’approche de l’individu, qui n’est considéré que comme un acteur instrumental (qui choisit toujours objectivement la meilleure solution) et axiologique (qui accorde ses comportements quotidiens à ses valeurs). Il est vrai que c’est bien à cet individu acteur que s’adressent les politiques, qu’elles soient implicites (réduire les places de parking, le nombre de voies, proposer des transports en commun peu chers… vont amener les gens à abandonner la voiture) ou explicites (promotion des valeurs écologiques, responsables et bénéfiques pour la santé des alternatives à l’automobile). Il propose de sortir de l’orthodoxie et de tenir compte d’une notion, qu’il prend soin de longuement définir : l’habitude. « Dans le cas des trajets quotidiens, les déplacements les plus routiniers semblent plus correspondre à l’activation d’une habitude, considérée comme l’intériorisation et l’incorporation de savoir-faire, qu’à l’application d’une forme de rationalité particulière. »

Des habitudes sans mesure

Mais se pose alors la question de la mesure de la force de l’habitude. Le chercheur a mené l’enquête sur le territoire lyonnais en analysant trois dimensions, le temps, le territoire et les représentations. Il a commencé par suivre une dizaine de volontaires, qui ont décrit très librement leur quotidien de la voiture pendant une semaine (enregistrements sonores) : les itinéraires (habituels ou pas), les difficultés rencontrées et la façon de les contourner (car les automobilistes sont de véritables stratèges de l’espace), les activités pendant le voyage (musique, radio, discussions…), les sensations (moment agréable ou stressant…), etc. Cette première base de témoignages lui a ensuite permis de construire un questionnaire plus simple auquel 124 personnes ont répondu. L’analyse statistique des réponses s’avère riche d’enseignements. Les habitués vivent plutôt bien leurs trajets quotidiens tout en ayant une vision assez juste des coûts qui y sont associés (ils intègrent par exemple la consommation en essence). L’enquête permet également d’identifier des « territoires quotidiens de l’automobile » eux aussi fortement corrélés à la force de l’habitude. Mais, poursuit le chercheur « une fois une forte habitude automobile constituée autour de l’usage du temps, de la construction d’un territoire du quotidien et de représentations spécifiques, la personne en question se sentira moins en situation de choix de mode ». L’habitude est donc bien une force de résistance aux injonctions au changement de mode de déplacement.

Une réflexion utile

Est-ce à dire qu’il n’y a rien à faire ? Non, répond le chercheur qui n’hésite pas à proposer quelques solutions qui prennent par exemple en compte ces moments de la vie où les habitudes sont les plus susceptibles de changer (arrivée d’un enfant, déménagement, changement de travail…) : fournir une carte de transport ou d’accès aux vélos en libre-service gratuite par exemple.

Cette réflexion, qui remet partiellement en cause les modèles utilisés pour évaluer l’impact d’un nouvel équipement, peut aussi s’appliquer à d’autres domaines. « Le système actuel, conclut Thomas Buhler, fondé sur les injonctions au changement de mode de déplacement, et sur l’obéissance espérée des individus, s’avère un système particulièrement conservateur d’occupation de l’espace et de répartition des efforts à consentir pour mettre en œuvre la “transition écologique”. Ses tenants usent du “choix modal” comme d’une arme idéologique capiteuse. Reparler d’habitude et du quotidien permet précisément de s’en libérer. »

 

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