Lignes de vies
Catégorie: Cartographie, Grand public, Livres, Arts, Expos, Portraits, Utilisateurs
Drôles de portraits que ceux que propose Céline Boyer dans Empreintes ! Pas de visages, mais des mains, paumes offertes au récit du voyage qui les a conduites en France. Depuis leur lointaine terre natale, symbolisée par la carte, ces mains racontent des parcours individuels et intimes. Mais elles dessinent également une géographie collective sensible.
Graphiste et chargée de communication à la mairie de Besançon, Céline Boyer a réalisé plus d’une centaine de photographies pour la série Empreintes. À chaque fois, le principe est le même. Une main, paume ouverte, sur laquelle semble tatouée une carte, représentant la région, le village d’origine. En vis-à-vis, le récit simple de ce déplacement, quelques souvenirs d’enfance, de l’arrivée en France et de belles leçons sur l’exil et l’assimilation.
Une amoureuse des cartes
« Les cartes ont marqué mon parcours artistique. J’ai passé des heures à regarder des cartes, pas seulement géographiques. » C’est aux Beaux-Arts de Mulhouse que Céline Boyer a réalisé le cliché initial de ce qui allait devenir sa première véritable œuvre photographique. « Je travaillais à l’époque sur les objets qui dépassent leur fonction première car ils sont chargés d’affect. Je portais une bague qui me venait de mon arrière-grand-mère russe. J’étais fière de cette origine lointaine qui me rendait unique. J’ai voulu donner à voir cette origine, en plaquant la carte du Mont Oural sur la photo de ma propre main. » Mais ce n’est suffisant, elle photographie alors la main de son grand-père, celui qui est venu de l’Est. Puis celle de son copain, puis celle d’une amie dont les parents venaient de Serbie… Le cercle s’étend peu à peu et le projet prend forme, quelques années plus tard.
Cent photos, cent rencontres
Depuis 2009, Céline Boyer a réalisé plusieurs commandes, dans différentes villes de France : Besançon/Montbéliard, Belfort, puis Melle et sa biennale d’art contemporain et enfin Toulon, dans le cadre de l’exposition Mappamundi au printemps 2013. À chaque fois, elle a travaillé avec les maisons de quartiers et les organisateurs pour rencontrer des gens qui acceptent de participer au projet, de raconter leur histoire. « Je commence par rencontrer les gens et je leur explique le projet. Nous réalisons le cliché de leur main sur fond noir et je les interroge sur leur histoire. À la suite de cet entretien, ils écrivent un petit texte où ils se racontent, avec leurs mots à eux. » Mais Céline Boyer ne vient pas les mains vides. Elle apporte également un vieil atlas des années 70, déniché chez Emmaüs, sur lequel elle invite chaque participant à définir sa région d’origine. Ensuite, dans sa chambre noire, elle superpose la carte à la main, s’appuyant sur les formes et les histoires pour définir son cadrage. « Quand Géo m’a raconté l’histoire de son grand-père tailleur dans la région de Naples, j’ai choisi de placer le nom de son village d’origine sur son doigt. » L’homogénéité offerte par l’atlas, ses couleurs classiques et surannées, ses formes qui épousent celles des mains, sa typographie bien ordonnée, permettent à ces récits individuels de raconter aussi la grande histoire, celle des migrations et de leurs souffrances.
« Aujourd’hui, je considère que le projet ne m’appartient plus, sa richesse appartient à celles et ceux qui y ont participé. » Mais Céline Boyer n’en a pas fini pour autant avec la carte, et elle ne manque pas de projets. Décliner Empreintes avec des témoignages récoltés dans d’autres pays, cartographier les zones de plus ou moins grand bonheur dans une maison, travailler sur les détournements géographiques avec les élèves d’un lycée… « J’aime retranscrire l’espace, mais en utilisant mes propres règles de transcription. » À suivre certainement…