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L’information géographique à l’épreuve du temps

Catégorie: Cartographie, Recherche, Reportages, Uncategorized, Utilisateurs

Même si espace et temps sont indissociables, les SIG ont toujours eu du mal à traiter et représenter la dimension temporelle. Les animations plus ou moins interactives sont certes beaucoup plus répandues, mais ne peuvent répondre à toutes les problématiques temporelles. Retour sur différentes façons de mettre du temps dans la carte.

C’est parce qu’il souhaite dynamiser la recherche sur le devenir des villes et des territoires que le PUCA* s’intéresse aux représentations dynamiques des temporalités des territoires. Dans ce cadre, un séminaire était organisé début février à Paris qui a permis de croiser les regards de nombreux chercheurs sur le sujet, notamment dans le domaine de la géomatique et des SIG. Si, pendant longtemps, la carte a pu être définie comme « une représentation plane de l’espace à un instant t », l’évolution technique (utilisation du numérique, du Web, d’outils mobiles…) ouvre le champ des possibles pour capter, analyser et représenter la dimension temporelle des territoires.

De quel temps parlons-nous

« Évident et impalpable, substantiel et fuyant, familier et mystérieux » tel que le définit le physicien Etienne Klein, le temps n’est perçu qu’à travers ses effets. Il est l’une des dimensions essentielles de toute analyse géographique car il rend perceptible le changement. Mais c’est un concept complexe, qui peut être approché de multiples façons, qui ne sont en rien exclusives. Le temps peut être linéaire (du passé au futur en passant par le présent) ou cyclique (alternance de périodes sous forme de cycles). Il peut également être ordonné (des couples données/unité de temps se succèdent sur un chemin temporel), ramifié (existence d’alternatives) ou multivocal (plusieurs chemins indépendants sont possibles) comme a tenu à le rappeler Jean-Yves Blaise de l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille. Il peut enfin être discret (divisé en unités temporelles) ou continu. En bref, il n’existe pas une dimension temporelle mais des dimensions « qui nécessitent de développer notre outillage pour traiter le paramètre temps » prévient le chercheur. Et sur ce point, les géographes et cartographes ne sont pas seuls à avoir cherché la meilleure représentation possible, et ce depuis bien longtemps.

Capter le temps

Nous avons déjà largement abordé la question des données sur la mobilité dans notre dossier sur les espaces de vie (voir DécryptaGéo n°154) : enquêtes et traces des téléphones portables sont utiles pour mesurer la temporalité des individus et, d’une certaine mesure, des territoires. Même si Arnaud Banos du laboratoire Géographie-Cités met en garde contre l’illusion selon laquelle le macro (la temporalité des territoires) serait un miroir du micro (la temporalité de chaque individu) dans la mesure où les individus agissent entre eux, les outils d’aujourd’hui fournissent quantité de données. Le Web lui-même devient une source de données sur les dynamiques territoriales, comme l’ont montré Thierry Joliveau (université de Saint-Étienne) et Matthieu Noucher (laboratoire ADESS de Bordeaux). De l’alimentation de bases de données naturalistes au « quantified self » (quantification de soi) grâce à une application comme Moves, les internautes produisent de l’information spatio-temporelle. Mais le temps subit plusieurs transformations avant de pénétrer l’esprit du lecteur de carte : le temps « réel » est passé au filtre des instruments de mesure et d’observation (c’est le temps observé et archivé), il est ensuite modélisé puis représenté, comme l’ont décomposé Hélène Mathian (géographie-Cités) et Paule-Annick Davoine (laboratoire LIG à l’université de Grenoble) qui ont décrypté une cinquantaine de sites Web proposant des représentations spatio-temporelles.

Alan MacEachren, chercheur américain, a proposé ce cube en 1995 pour synthétiser les différentes familles de productions cartographiques en fonction du public visé, du degré d’interaction et du niveau informationnel. Hélène Mathian et Paule-Annick Davoine le revisitent et proposent d’y ajouter deux nouvelles approches liées aux représentations animées et interactives : le récit, qui scénarise la représentation et la contextualisation qui facilite l’exploration des données.

Alan MacEachren, chercheur américain, a proposé ce cube en 1995 pour synthétiser les différentes familles de productions cartographiques en fonction du public visé, du degré d’interaction et du niveau informationnel. Hélène Mathian et Paule-Annick Davoine le revisitent et proposent d’y ajouter deux nouvelles approches liées aux représentations animées et interactives : le récit, qui scénarise la représentation et la contextualisation qui facilite l’exploration des données.

Représenter l’espace-temps

Olivier Klein du CEPS/INSTEAD distingue trois conceptions du temps en cartographie. Il peut être considéré comme une variable cartographique, comme une composante temporelle projetée sur le plan spatial ou comme une quatrième dimension (concept de time geography). Le changement peut affecter les attributs des entités spatiales (un phénomène prend une valeur x à un temps t, une valeur y à un t+1…) ou les entités spatiales elles-mêmes (au temps t, l’objet est en x1,y1, au temps t2, l’objet est en x2,y2, il peut même changer de forme, disparaître, etc.). Ces différentes conceptions (qui, là encore, ne sont pas exclusives) amènent différentes visualisations.

Il peut être représenté sous forme de distance (isochrones, iso-accessibilité, flux, anamorphoses). Mais la représentation la plus populaire est aujourd’hui la carte animée, plus ou moins interactive, héritière numérique des séries de cartes. Le temps y est représenté par un ensemble de visions instantanées, enchaînées plus ou moins rapidement pour donner l’illusion du mouvement. Les entités géographiques peuvent s’y déplacer, les attributs évoluer, etc. Ce mode de représentation, quoique très efficace puisqu’il donne à voir le temps par le déplacement, enferme cependant la carte dans l’écran (même petit). Il implique également de pratiquer un découpage temporel (discrétisation du temps). Dans leur inventaire des pratiques, Hélène Mathian et Paule-Annick Davoine ont noté que 49 % des sites observés représentent le temps par l’animation. De plus en plus de sites proposent des solutions à plusieurs fenêtres, qui vont permettre de multiplier les représentations de l’espace-temps en associant cartes et graphiques.

Le mouvement, quant à lui, se décompose en déplacement (objet allant d’un point à un autre), en trajectoire (ligne décrite par le point qui se déplace), vitesse (rapport entre la distance parcourue et le temps nécessaire pour la couvrir), flux (quantité se déplaçant entre une origine et une destination), débit (volume ou quantité par unité de temps décrite par un point lors de son déplacement) et occupation de l’espace (espace où les mouvements se produisent). Là encore, les possibilités de modélisation et de représentation sont nombreuses : vecteurs isolés, champs vectoriels, lignes de flux… plus ou moins interactifs et animés.

 

Un exemple d’interface d’exploration des données est fourni par NComVA qui a construit le Regional eXplorer de l’OCDE où l’internaute peut « jouer » avec de nombreuses séries statistiques.

Un exemple d’interface d’exploration des données est fourni par NComVA qui a construit le Regional eXplorer de l’OCDE où l’internaute peut « jouer » avec de nombreuses séries statistiques.

Encore bien des questions

Même si « tout s’anime, tout s’observe et tout s’explore » comme l’ont synthétisé Hélène Mathian et Paule-Annick Davoine, plusieurs questions restent posées. Que donnent à voir ces cartographies ? Est-ce la représentation dynamique des territoires ou la représentation de la dynamique des territoires ? Car si les animations sont souvent « bluffantes », elles ne facilitent pas toujours la compréhension et donnent plus à voir les « données sur les phénomènes que les phénomènes eux-mêmes » comme l’a rappelé Matthieu Noucher. Pour les chercheurs, il est donc urgent de travailler à l’évaluation de ces représentations en termes d’acquisition de connaissance tant pour les experts que pour des publics plus néophytes.

Un exemple très abouti de scénarisation : le récit cartographique, heure par heure, de l’ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans en 2005. Une réalisation signée Dan Swenson visible sur Internet.

Un exemple très abouti de scénarisation : le récit cartographique, heure par heure, de l’ouragan Katrina sur la Nouvelle-Orléans en 2005. Une réalisation signée Dan Swenson visible sur Internet.

 

 

PUCA : alias Plan, urbanisme, construction, architecture est un service interministériel des ministères de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie ainsi que de l’Égalité des territoires et du Logement. Depuis sa création en 1998, Il fonctionne comme une agence de recherche et d’expérimentation.

 

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