L’open data à l’épreuve du papier
Catégorie: Cartographie, Données, Grand public, Institutions, Marché, Open Data, Reportages, Secteur public, WebMapping
Depuis le 1er janvier, l’IGN a publié sous licence Etalab une grande partie de ses données : BD Topo, BD Ortho, Parcellaire express, RGE Alti à 5 m, Plan IGN, nombreux SCAN… Une ouverture unanimement saluée, conforme au développement de l’open data, qui devrait faciliter les relations entre l’IGN et ses utilisateurs. Quelques produits emblématiques manquent cependant à l’appel : les SCAN 25 et 100 ainsi que ceux des cartes aéronautiques OACI. Analyse.
Pourquoi certains SCAN ne peuvent-ils pas être diffusés en open data ? Officiellement parce que « les SCAN 25®, SCAN 100® et SCAN OACI® incluent des droits de tiers et sont protégés par le droit d’auteur ». Effectivement, les SCAN 25 et les SCAN 100 représentent les sentiers de randonnée définis et fournis par la Fédération Française de Randonnée (FFR) ainsi que par le Club Vosgien, tandis que les SCAN OACI (au 1/500 000) superposent aux données IGN des informations du service d’information aéronautique (SIA) de la Direction Générale de l’Aviation Civile (DGAC). Ces « droits des tiers », s’expriment notamment par des reversements de royalties, qui participent à l’équilibre économique des institutions et des associations concernées. Pourtant, la DGAC est un organisme d’État soumis aux mêmes injonctions de diffusion en open data de ses données que l’IGN. Elle propose d’ailleurs sur son site des « produits numériques en libre disposition », dont les cartes SIA en PDF (non géoréférencé, il est vrai) au 1/250 000 et au 1/1 000 000. La situation peut sembler plus complexe du côté de la FFR et du Club Vosgien, deux associations non soumises aux règles de l’open data.
Cartes papier : un marché à ne pas négliger
Mais l’enjeu juridique d’aujourd’hui n’est en fait que la partie émergée d’un iceberg économique qui se marie mal avec l’open data, inscrit dans la matérialité de la carte sur papier. Même s’il fond à grande vitesse (car il se rétracte d’année en année), le marché de la carte papier, dont les SCAN ne sont que la copie numérique, reste important économiquement et symboliquement. Et c’est bien parce qu’un marché existe encore, même réduit, que l’IGN n’a pas pu « libérer » l’accès aux SCAN 25, aux SCAN 100 et aux SCAN OACI.
Ainsi, à l’IGN, ce sont près de 3 millions de cartes papier qui ont été diffusées en 2018 (source sous ce lien). 3 millions de cartes et 7 millions d’euros de chiffre d’affaires, issus principalement des TOP 25 et de la Série Bleue, qui permettent à l’institut de capter 37,5 % du marché national, selon le rapport annuel 2018. 3 millions de cartes papier qui participent à la réputation et à l’image de l’institut, cher au cœur des amateurs de sorties au grand air.
Si cette économie de la carte papier n’existait plus, il serait plus simple de « libérer » les SCAN 25, SCAN 100 et SCAN OACI. Et c’est toujours en tant qu’images « à l’identique » de ces emblématiques cartes papier, que ces SCAN ont également leur propre importance économique. Les SCAN 25 sont par exemple repris dans les applications de randonnée et de loisirs outdoor, et rapportent à ce titre chaque année plusieurs centaines de milliers d’euros à l’IGN. Une manne financière (vente de cartes et vente de SCAN) dont l’institut ne peut aujourd’hui se passer, car la diffusion en open data des données IGN a été décidée sans augmentation de sa subvention, mais au prix d’une évolution de son modèle économique, de plus en plus basé sur le financement amont des bases de données à vocation professionnelle via des tours de table institutionnels plus ou moins élargis (BD Topage, Levé Lidar…). Le marché grand public (vente de cartes, intégration des SCAN dans les applications de loisirs) empêche l’IGN de franchir un pas de plus vers l’open data, alors même que le SCAN 25 constitue, de fait, le référentiel pour de nombreuses politiques publiques (définition des cours d’eau, zonages environnementaux, etc.).
Effets induits
Si les SCAN devenaient gratuits et ouverts, cela entraînerait donc une baisse de revenu immédiate pour l’IGN et pour ses partenaires fournisseurs de données. Des conséquences à plus long terme sont sans doute également à craindre. Une fois totalement ouverts, ces SCAN permettront à n’importe qui d’imprimer des cartes et de les vendre en se concentrant sur les titres les plus rentables, faisant ainsi péricliter le modèle économique fragile de la carte papier à l’IGN. Car à Saint-Mandé, les cartes les plus populaires permettent de financer l’entretien de celles qui concernent des secteurs bien moins en vue.
Faut-il arrêter d’utiliser les SCAN 25 comme des référentiels ? L’idée semble couler de source car après tout, la BD Topo est là pour cela, plus à jour, plus précise, plus facile à utiliser dans un SIG… et désormais largement ouverte. Mais c’est bien la popularité de l’image du territoire portée par le SCAN 25 (et par là, son héritage de l’ère du papier) qui fait qu’il est si souvent utilisé, d’où l’importance des travaux menés sur les styles de représentation des données vectorielles (voir notre article L’IGN se met aux pyramides vecteur tuilées).
Faut-il dès lors dissocier la stratégie de diffusion des données de celle de la diffusion des cartes sur papier ? Voilà certainement un sujet pour le service juridique de l’IGN.
Entre open data, préservation de ses revenus et des produits qui fondent son image auprès du grand public, l’Institut semble avoir encore bien des contradictions à résoudre.
- Détail du calendrier de publication des données IGN sous licence Etalab : https://geoservices.ign.fr/blog/2021/01/14/FAQ_Gratuite.html