Telespazio aurait-il trouvé la solution pour développer l’usage du spatial ?
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Démocratiser l’imagerie satellitaire ? Tout le monde en rêve mais beaucoup s’y cassent les dents. Nicolas Vincent, vice-président de Telespazio France, nous explique comment son entreprise a développé EarthLab, un réseau de bouquets de services exploitant la géo-information. En misant sur la dimension industrielle, le spécialiste du radar est-il en train de réussir là où beaucoup ont échoué ?
Comment est née l’idée d’EarthLab ?
Le monde de l’observation spatiale est piloté par la technique depuis sa naissance. On imagine des satellites, on les construit, on déploie des infrastructures puis on réfléchit aux usages possibles. Du coup, seule une petite partie du marché est adressée, celle des utilisateurs bien identifiés : chercheurs, quelques ministères, etc. Nous avons voulu prendre le problème dans l’autre sens et nous intéresser d’abord aux usages possibles.
Comment faire ?
Nous avons commencé par passer un accord avec une région, l’Aquitaine. Son président Alain Rousset a tout de suite compris l’enjeu de cette nouvelle économie et nous avons investi ensemble dans un centre de surveillance de l’environnement, exploitant les ressources de la géoinformation. Nous avons monté une petite équipe et la région nous a ouvert les portes d’Aérocampus où nous nous sommes installés. Ensuite, ensemble, nous avons défini trois thèmes qui nous semblaient les plus porteurs car ils représentaient des secteurs économiques importants pour la région : la viticulture, la sylviculture et l’érosion du trait de côte. Nous sommes ensuite partis à l’écoute des acteurs économiques.
Concrètement, comment avez-vous fait ?
En six mois, nous avons organisé près de trois cents réunions. Nous avons vu tout le monde : les conseillers agricoles et les vendeurs d’engrais, les assureurs et les fédérations forestières, les exploitants de réseaux d’eau comme les collectivités. J’ai interdit que l’on montre des images. Nous nous sommes attachés à comprendre les besoins, les modes de fonctionnement. Ce tour d’horizon nous a également permis d’identifier nos futurs partenaires et de découvrir des enjeux économiques insoupçonnés. Bien sûr, nous ne partions pas d’une page blanche. Nous avions des services à valeur ajoutée à notre catalogue. Ensuite, nous avons développé des pilotes, en mode agile, pour arriver finalement à des offres de services, portées par nos partenaires et validées sur le terrain.
Pouvez-vous nous donner un exemple ?
Dans le domaine viticole, nous avons par exemple découvert que la législation obligeait les viticulteurs à déclarer tous les pieds de vigne manquants. Pour cela, les viticulteurs doivent parcourir leurs vignes et tout vérifier. Avec une image détaillée prise en hiver, ces pieds sont visibles. Nous proposons une carte des zones à vérifier, ce qui économise des heures de terrain. De même, avec des indices de végétation très précis et détaillés, qui prennent en compte toute l’hétérogénéité de la vigne, nous pouvons proposer une carte permettant d’effectuer des vendanges sélectives. Sur ce sujet, nous travaillons avec une grande coopérative agricole qui s’est équipée d’une vendangeuse adaptée. Cela lui permet de tirer vraiment profit de ses meilleures vignes pour proposer un vin de qualité supérieure.
Vous utilisez de l’imagerie satellitaire pour cela ?
Non, dans le domaine viticole, nous nous sommes rendu compte que le satellitaire ne permettait pas de rendre des services aussi précis. Nous nous appuyons sur des données acquises par drone. Mais pour la surveillance de l’état sanitaire de la forêt ou la mesure des déformations subies par une route littorale, nous nous appuyons sur des données optiques et surtout radar, grâce à la constellation Cosmo-Skymed. Nous misons avant tout sur l’hybridation entre différents types de capteurs, à distance et in situ. L’exploitation du satellitaire n’est pas un but en soi, c’est juste un moyen.
Agriculture de précision, suivi du trait de côte… Tout cela n’est pas très nouveau finalement. Où se situe votre valeur ajoutée ?
L’innovation est plutôt dans l’intégration des compétences, dans l’industrialisation des services. Proposer une campagne d’acquisition d’images par drone sur une exploitation agricole, c’est effectivement assez facile. Garantir que les images seront acquises régulièrement avec la même orientation par exemple, exploiter une chaîne de traitement logiciel qui permet de réduire les coûts de traitement, avec des tarifs simples et clairs… C’est tout cela que nous apportons. Nous avons choisi de travailler avec de multiples partenaires, de nous intégrer dans les clusters existants, mais aussi de nous intéresser à la formation, notamment sur la conduite des machines agricoles, afin de fluidifier la chaîne d’un bout à l’autre.
EarthLab fait déjà des petits au Gabon et au Luxembourg, mais est-ce rentable ?
Nous avons lancé le programme comme un projet de recherche et développement. EarthLab Aquitaine devrait être rentable d’ici un à deux ans. La forêt est ce qui marche le mieux, la viticulture est très dépendante du machinisme agricole sur lequel nous travaillons. Quant à la gestion du littoral, nous sommes en cours de démarrage. Mais les représentants de la jeune agence spatiale gabonaise ont été séduits par notre approche quand ils sont venus visiter les installations bordelaises en 2014. Ils ont tout de suite compris que ce modèle de développement allait leur permettre de développer des services autour du spatial, sans être dépendant d’études étrangères ou du bon vouloir des experts internationaux. Avec eux, nous travaillons sur la surveillance du trafic maritime et sur l’environnement, deux domaines clés pour le pays. Nous avons bâti le partenariat à trois : l’agence, Telespazio et un fonds souverain. Au Luxembourg, l’approche est un peu différente car elle est essentiellement thématique : la surveillance des grands sites industriels en Europe, notamment Seveso. Là, nous avons construit le partenariat avec la Poste luxembourgeoise qui est spécialisée dans la sécurisation des données dans le Cloud. Telespazio Italie est également partenaire dans cette joint-venture.
Comment voyez-vous l’avenir ?
L’observation de la Terre est très jeune. Le secteur me fait penser à celui des télécommunications il y a quelques années. Aujourd’hui, il y a des télécommunications par satellite dans de nombreuses applications, mais personne ne le sait ou ne s’en rend compte. C’est cela que nous visons avec l’information spatiale. Nous devons sortir du marché purement spatial qui n’est pas très gros et ne le sera jamais. L’offre satellitaire évolue avec la multiplication des satellites et l’arrivée d’acteurs comme Skymed ou PlanetLabs. Le numérique évolue aussi. Nous avons choisi d’anticiper un peu en initiant EarthLab il y a cinq ans. Franchement, il y a tout à faire.
Fiche d’identité |
Telespazio a le même âge que le CNES. Le groupe italien, d’origine publique, a même assuré la liaison Houston/Europe lors des premiers pas de l’homme sur la Lune en 1969. Repris par Finmeccanica dans le cadre d’un partenariat public/privé, il s’est rapproché en 2005 de Thales avec lequel il a fondé deux entités. Thales Alenia Space dont Thales possède les deux tiers et Finmeccanica un tiers, et Telespazio dont l’actionnariat est inversé (un tiers Thales et deux tiers Finmeccanica). Le groupe est présent dans le monde entier et regroupe 2 500 personnes pour un chiffre d’affaires de 658 millions d’euros en 2014. Parmi ses nombreuses activités, Telespazio est distributeur mondial de la constellation de satellites radar italiens Cosmo-Skymed. |
La filiale française comprend 360 salariés dont 150 sont à Kourou. Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 80 millions d’euros en 2014. Dédiée aux services autour des infrastructures spatiales, Telespazio assure la maintenance et l’exploitation au quotidien des infrastructures sol de la base de Kourou mais également d’autres satellites pour le compte du CNES. L’entreprise développe également des services de télécommunications par satellites. Sa division Géoinformation a initié le programme EarthLab mais travaille également pour les collectivités, le ministère de la Défense, etc. |
Navires sous surveillance |
Pour Earthlab Gabon, un service de surveillance des navires dans le golfe de Guinée a été mis en place. L’utilisateur sur place bénéficie d’une interface web très simple pour faire sa demande. Quel type de bateau souhaite-t-il observer ? Quelle taille ? Entre quelles dates et quelles dates ? À quelle fréquence ? Sur quelle zone ? Et c’est parti ! L’opérateur toulousain qui analyse la requête choisit les produits images qui vont permettre de répondre à la requête. Le radar sera idéal pour les navires de grande taille sous couvert nuageux, mais si l’état de la mer est très agité, ils ne seront plus visibles. La requête est transformée en commande puis en programmation des satellites (Cosmo-Skymed, Péliades ou SPOT). Une fois que les images sont acquises, les analystes se mettent au travail et renvoient, en deux heures en cas d’urgence, une couche des navires repérés, sous forme de rapport ou de KML. |