Occupation du sol grande échelle, le Nord-Pas-de-Calais ose le 2D
Catégorie: Cadastre, Cartographie, Données, IDG/IDS, Imagerie, Open Data, Reportages, Réseaux/Transports, Secteur public, WebMapping
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Les bases de données d’occupation du sol à grande échelle sont devenues indispensables à l’heure des SCOT, SRADDET et autres schémas directeurs régionaux. Les régions n’ont pas toutes retenu la proposition de l’IGN (OCS GE), pour diverses raisons. Certaines ont choisi de privilégier la stabilité des indicateurs déjà élaborés dans le passé, d’autres se sont lancées dans de nouvelles spécifications. C’est le cas du Nord-Pas-de-Calais qui présentait sa nouvelle base OCS2D le 22 novembre à ses partenaires, futurs utilisateurs et collègues de Picardie.
« Au fait, un golf, ça se définit comment et ça rentre dans quelle classe ? » L’exemple fait sourire les participants à la journée sur l’occupation du sol organisée par la PPIGE, mais elle est révélatrice du travail accompli. Car il a fallu presque deux ans de discussions, à plus de vingt partenaires pour se mettre d’accord sur un produit adapté aux problématiques de chacun et exploitable par tous. « Nous avons opté pour une démarche bottom-up, et ça prend du temps » insiste Caroline Larmagnac, directrice générale adjointe en charge du pôle Equilibre des territoires à la Région Hauts-de-France. Mais l’appropriation est à ce prix, et la base de données construite est prometteuse.
Montage du projet
Historiquement, le Nord-Pas-de-Calais dispose d’une base à moyenne échelle (unité minimale de collecte de 500 à 2 500 m2) avec une nomenclature calquée sur Corine Land Cover, conçue au début des années quatre-vingt-dix, et disponible sur quatre dates : 1990, 1998, 2005 et 2009. « Elle est largement utilisée, mais elle a montré ses limites » résume Florence Décaudin de la région Hauts-de-France et l’une des animatrices de la PPIGE. Du coup, plusieurs bases de données locales ont été produites au fil des ans. Difficiles à harmoniser, elles limitent la comparaison entre territoires. Les réflexions entamées en 2010 ont donné lieu à deux études d’harmonisation et d’opportunité. Les différents scénarios de gouvernance sont élaborés en 2015, ainsi que la méthode pour produire les données socles. En 2016, le tour de table financier est organisé et la production est lancée en 2017, pour s’achever en 2018. Même si le projet a tout d’abord émergé des services techniques, les élus et chefs de service s’en sont rapidement saisis, à l’heure des économies budgétaires et d’un besoin de connaissance accru des territoires.
C’est au sein de l’infrastructure de données géographique régionale, la PPIGE, portée par l’établissement public foncier (EPF) que s’est fait la mutualisation, qui rassemble la région, les deux départements, l’État ainsi que 17 SCOT, 3 parcs naturels régionaux, et l’Europe, qui a assuré 60 % du financement. Les agences d’urbanisme, pour leur part, ont apporté un accompagnement technique.
Entre usages et occupation
La plus petite surface cartographiée (unité minimale de collecte ou UMC) est de 300 m2 sauf pour le bâti, où elle est de 50 m2. Les réseaux (ferré, routier) et le bâti issus de la BD Topo (après agrégation selon des règles négociées), ainsi que des données sur les habitats naturels grâce au programme ARCH ont servi à générer une première partition du territoire. Les orthophotographies régionales à 20 cm de résolution de 2015 et celle à 50 cm de 2005 ont servi de base à la photo-interprétation, réalisée par les équipes de SIRS. Des données exogènes (BD Parcellaire, données du SDIS, fichiers fonciers, RPG, Scan25, BD Carthage, bases locales…) ont également été mobilisées. La base de référence est bien 2015, à partir de laquelle une base 2005 a été réalisée, ainsi qu’une couche d’évolution calculée.
Deux nomenclatures couvrent chaque portion du territoire interprété : le couvert du sol (surfaces en eau, formations herbacées, bâti dense…) et son usage (production primaire, habitat, services collectifs…). L’OCS2D présente donc une double nomenclature emboîtée allant de 6 à 32 postes pour le couvert et de 7 à 50 postes pour les usages, le tout en trois niveaux. Certains postes incluent une part de morphologie et sont ainsi distingués l’habitat continu et discontinu, plus ou moins compact.
27 000 points de contrôle ont été retenus dont 14 000 ont été réservés au contrôle qualité assuré par Laure Wateau. Si, au global, la fiabilité est estimée à 93 % pour la couverture et à 88.9 % pour l’usage sur 2015, certains postes sont en deçà, par difficulté d’interprétation ou par rareté. Un indice, présenté sous forme de smiley, permet d’avertir les utilisateurs sur la fiabilité des différents postes.
Dictionnaires de données, tables de définition, atlas et fiches synthétiques par territoires ou par maille, guide utilisateur, visualiseur en ligne, flux WMS et WFS, téléchargement en Shapefile, licence open data… la petite équipe qui a piloté le projet multiplie les supports pour assurer la diffusion et la bonne prise en main du produit par les utilisateurs.
Un produit de luxe ?
Car l’enjeu est maintenant de développer les usages autour d’un produit, certes très complet et conçu avec les utilisateurs, mais techniquement complexe. Comment faire en sorte que tout le monde puisse en profiter ? Au cours de la journée, plusieurs participants sont venus témoigner de leurs premières expériences, de leurs idées, de leurs attentes.
Si elle permet de sortir des indicateurs simples et désormais classiques sur le territoire, l’OCS2D prend toute sa valeur dans les croisements qu’elle permet d’effectuer entre usages et couverture du sol : faire par exemple la différence entre artificialisation et imperméabilisation, et comprendre de quels changements d’usages s’accompagne cette tendance.
« C’est une remise à plat de la lecture du territoire » insiste Dominique Mestressat-Cassous, du service géomatique de l’agence de développement et d’urbanisme de Lille métropole, qui a étudié l’évolution du degré d’imperméabilisation des aires d’alimentation des captages, classés en zones de vulnérabilité moyenne ou forte autour de la métropole lilloise. Il s’intéresse également à l’évolution du tissu urbain, ainsi qu’à sa compacité. Grâce à un croisement avec les fichiers fonciers, un potentiel de densification pourrait être calculé, prenant en compte le profil des occupants des locaux d’habitation (statut, âge, indivision ou pas…).
Le croisement avec les fichiers de demandes de valeur foncière DVF, qui recensent toutes les transactions immobilières, intéresse également l’EPF, comme l’a montré Pauline Lunard, afin d’avoir une vision fine des mutations, d’orienter et évaluer les actions de l’établissement. Même si les traitements sont lourds (800 000 transactions ont été enregistrées en cinq ans et 315 000 polygones ont évolué entre 2005 et 2015), ils permettent de mieux aborder les questions d’extension et de renouvellement urbain.
Attendue sur de nombreux sujets, « la base doit cependant être prise avec précaution, notamment pour les exploitations statistiques et cartographiques », rappellent Aurélie Gaucheron du PNR Scarpe-Escaut et Jean-Michel Hurrier, de l’agence d’urbanisme de l’Artois, qui proposent un tableau croisé des utilisations optimales en fonction des niveaux de nomenclature et d’échelle. De même, ce type de base n’est pas encore capable de capter tous les aspects du renouvellement urbain, notamment dans sa verticalité : un commerce qui se transforme en habitation en rez-de-chaussée d’immeuble passe inaperçu.
L’équipe l’a bien compris, il va falloir accompagner les utilisateurs et les aider à prendre en mains la base. La journée du 21 novembre, organisé le jour du lancement d’un mini-site dédié marquait une première étape, mais le travail se poursuit. Un marché dédié à la création d’indicateurs innovants est en cours de lancement. Se pose également la question de l’extension à la partie picarde des Hauts de France, souhaitée par tous mais complexe à mettre en œuvre. Techniquement, les trois départements couvrent un territoire bien plus étendu que le Nord et le Pas-de-Calais (+ 60 %), ce qui va augmenter la facture. Mais ce n’est pas le seul facteur : le tour de table financier s’est appuyé sur des fonds Feder (ici, ilne pourra couvrir que 40 % du coût) ainsi que sur la mobilisation des territoires de SCOT et des parcs naturels régionaux. En Picardie aussi, cela représente plus d’une vingtaine de structures à mettre autour d’une même table, cette fois-ci, autour d’un projet certes détaillé et maîtrisé, mais sur lequel ils auront forcément moins d’impact. Bref, encore beaucoup d’heures de réunions et d’explications à venir.