« Dysfonctionnements territoriaux ou facteurs de production de l’espace ? » journée des jeunes chercheurs de l’Institut de géographie de Paris
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191 Rue Saint-Jacques
75005 Paris
France
Volcan islandais ou tsunami en Indonésie, changements climatiques ou émeutes de la faim, crise grecque ou mouvement Occupy, désindustrialisation ou décroissance urbaine, émeutes des banlieues ou révolutions arabes : dans les médias ou les discours politiques, tout semble désormais être crises. S’agit-il des symptômes de véritables crises économiques, sociales, écologiques, ou bien d’épiphénomènes ? Ce constat interroge d’une part la définition de la notion de crise, en particulier dans son articulation au territoire, et d’autre part la polysémie du terme.
Souvent restreinte à une acception économique, dans son sens courant, la notion de crise se caractérise comme une manifestation brusque et intense de phénomènes. Il s’agit d’un moment de doute ou de remise en cause en lien avec des dysfonctionnements au sein de systèmes stables, à l’instar de la dette des pays africains dans les années 1980. Ces périodes d’incertitude constituent des transitions entre un état de dégradation et une situation ultérieure, offrant ainsi des opportunités de recompositions et d’élaborations d’alternatives comme cela commence à être observé par exemple dans le cas de l’agriculture urbaine en Grèce ou dans les villes américaines en décroissance. En tant que ruptures dans les continuum sociaux, les crises sont des phénomènes courts et intenses qui qualifient des espaces et des territoires. Aussi, comment interroger cette notion en science sociale et plus particulièrement en géographie ?
Qu’elles soient comprises comme des phénomènes économiques, sociaux ou politiques, les crises sont éminemment géographiques. Où sont-elles ? Quels sont leurs déploiements et leurs logiques spatiales ? Quels sont les facteurs qui en sont à l’origine et quelles recompositions entraînent-elles ? La dimension géographique n’apparaît souvent que dans une posture déterministe (aléas naturels, accidents technologiques, malthusianisme) ou comme élément de contexte. Toutefois, les crises constituent des transitions durant lesquelles interviennent des processus et des acteurs qui contribuent à (dés/ré)organiser les espaces et les territoires, et qui sont à l’origine de blocages sociaux. S’intéresser aux crises revient également à comprendre comment se produisent ces transitions qui mettent en jeu la capacité des sociétés à gérer et à s’adapter à des évènements courts et intenses. Les questions posées sont donc aussi bien celles des espaces, des échelles et des types de crises, que celles des dynamiques, des modes d’évaluation, de perception et de gestion de ces dernières.
La notion de crise apparaît comme une clé d’analyse géographique pertinente par la mise en relation des dimensions spatiales et temporelles des sociétés. En effet, les crises peuvent être saisies comme une échelle spatio-temporelle aussi spécifique qu’exceptionnelle, par laquelle les rapports sociaux et de pouvoir, les pratiques, les liens et les échanges, s’organisent selon des formes singulières. Les crises contribuent à produire de nouveaux espaces à travers les dysfonctionnements qu’elles cristallisent dans une temporalité courte. Dans cette perspective, la valeur heuristique de la notion de crise semble évidente car elle permet de délimiter des espaces qui n’existent pas autrement.
Enfin, les crises ne sauraient être saisies sans la prise en compte de différentes échelles : ne sont-elles pas des marqueurs ou des symptômes d’enjeux à des échelles plus locales ou globales ? Ainsi, les émeutes de la faim sont en partie les stigmates de dysfonctionnements liés à des logiques insérées dans le processus de mondialisation. Inversement, la crise des subprimes aux Etats-Unis a eu des conséquences planétaires, tout en étant le résultat de processus spéculatifs généraux. Les crises apparaissent alors comme des articulations éphémères, mais non moins importantes, entre des faits situés à l’échelle macro-géographique et des déclinaisons particulières et locales. L’intérêt scientifique de cette notion serait d’améliorer notre compréhension de l’espace des sociétés. La notion de crise est donc un concept opérationnel innovant et pertinent pour la compréhension d’un monde en mouvement dans ses dimensions temporelle, sociale, spatiale (et donc scalaire), tout en demeurant un objet géographique complexe dont les fondements sont à construire.
L’objectif de cette journée sera donc d’interroger la crise en tant qu’objet scientifique en géographie. Dans quels cas cette notion est mobilisée et dans quelle mesure se révèle-t-elle pertinente ? La crise est-elle un simple dysfonctionnement d’un système ou bien peut-elle être productrice d’espace ? Plus généralement, que permet-elle de dire sur les espaces et les territoires ? Quelles sont les limites et les apports de cette grille d’analyse ?