A New Space Oddity
Catégorie: 3D, Cartographie, Données, Entreprises, Imagerie, Institutions, Marché, Matériel/GPS, Reportages, Satellite/Spatial
En juin 2015, lors des Rencontres DécryptaGéo, Thierry Rousselin présentait le paysage de l’observation spatiale, malmené par de nouveaux acteurs bien décidés à changer les règles du jeu traditionnel. Qu’en est-il aujourd’hui ? De retour de GEOINT, la grand-messe de l’intelligence géospatiale, organisée à Orlando au printemps dernier, il fait le point sur ce « New Space » émergent, peut-être moins singulier qu’il n’y paraît.
En quoi consiste réellement ce « New Space » ?
Reprenons. En 2014, le phénomène jusque-là discret du « New Space » appliqué à l’observation émerge. Planet Labs lance ses nano-satellites par paquets de vingt, Google rachète Skybox Imaging pour près de 500 millions de dollars et de multiples projets émergent. Chacun prétend révolutionner le domaine. Ces nouveaux entrants partagent tous les mêmes principes : une faible appétence pour les applications traditionnelles comme la défense, de faibles coûts d’investissement, un traitement massif des données et surtout, une obsession plus tournée vers la fréquence d’acquisition des données que vers la résolution spatiale.
Deux ans plus tard, que peut-on constater ?
Le phénomène s’est étendu. J’ai recensé plus de quarante projets dans les domaines de l’observation et de la météo dont dix-neuf sont clairement financés. Il s’est également mondialisé. La vision initiale très « Silicon Valley » a fait des émules en Chine (qui compte quatre projets dont un a déjà lancé quatre satellites tests), en Inde, en Russie. L’Europe n’est pas en reste avec par exemple le projet radar finlandais IceEye dédié à la surveillance des glaces, ou le projet français Earthcube en infrarouge thermique dédié à la surveillance des fuites d’hydrocarbures.
Les grands principes initiaux restent pour l’essentiel d’actualité, ces nouveaux acteurs revendiquant systématiquement une approche orientée services dans laquelle l’image n’est qu’un carburant et pas une finalité à fournir au client.
Pourtant, l’approche a manifestement changé vis-à-vis des grands acteurs institutionnels, non ?
Effectivement, le dédain vis-à-vis des clients traditionnels dans les domaines de la défense et de la sécurité a fait long feu. En mai dernier à GEOINT 2016, il était amusant de voir Terra Bella (le nouveau nom de l’ancien Google Skybox) ou Planet faire assaut d’amabilités face aux militaires ou espions de tous poils. Ils n’ont d’ailleurs pas hésité à reconnaître publiquement que loin d’être des iconoclastes, ils respectaient scrupuleusement les directives que leur fixaient leurs autorités nationales. Spire, qui a abandonné l’observation optique qu’il avait promise à ses premiers investisseurs pour se recentrer sur la météorologie locale et l’AIS (Automatic Identification System, système d’identification des navires) (oui, c’est parfois dur à suivre), lance cet été sa première campagne opérationnelle sur le guidage des navires dans le Passage du Nord Ouest sur financement de la NGA, l’agence américaine de renseignement géospatial.
Comment expliquer ce changement de stratégie ?
Ce retournement est en premier lieu lié au fait que le développement des services sur les nouveaux marchés s’avère plus long, et pour l’instant moins rentable, que prévu. Malgré la puissance de Google, Terra Bella, qui avait beaucoup promis à ses futurs clients, a finalement connu un apprentissage du métier d’opérateur de satellites d’observation pas moins long que les acteurs traditionnels. Il n’y a à ce jour que trois satellites en l’air, dont un en panne, et les produits et services n’ont pas ébloui les clients. Planet a bien lancé quatre-vingt-dix-neuf satellites de cinq kilos dans les deux premières années, mais l’essentiel des services de surveillance que la société propose à ce jour repose sur les cinq bons vieux satellites allemands RapidEye lancés en 2007.
Alors, tout ça pour ça ?
Et bien non, l’impact de cette révolution est moins dans les services qu’elle propose déjà que dans le changement en profondeur du marché et des acteurs traditionnels.
DigitalGlobe, leader mondial de l’observation commerciale va lancer WorldView-4 en septembre 2016 pour accentuer son avance dans l’imagerie à très haute performance grâce à un satellite à 30 cm de résolution. Mais l’entreprise prévoit désormais une constellation à plus faible résolution spatiale mais plus forte revisite qu’elle cofinance dans un partenariat avec l’Arabie Saoudite. Cette nouvelle constellation est présentée comme un moteur pour des applications de machine learning.
Airbus Defence & Space a revu début juillet 2016 l’ensemble de son offre de produits et services. La programmation des satellites devient simple, claire, beaucoup moins risquée et onéreuse pour le client avec l’offre One Tasking.
En France, le rapport publié en juillet par Geneviève Fioraso porte un diagnostic sans concession sur la nécessité pour les institutions et l’industrie de s’adapter à la nouvelle donne. Mais les mêmes interrogations existent au niveau de l’ensemble des agences spatiales traditionnelles.
N’y a-t-il rien de nouveau du côté des services ?
Fort heureusement si. Le témoignage le plus marquant de ce changement profond en cours apparaît dans les premières applications. En février dernier, la première utilisation par le Connectivity Lab de Facebook de l’archive images DigitalGlobe a permis de proposer une méthode originale de calcul de la distribution de population. Orbital Insight propose un index de développement économique de la Chine basé sur l’analyse permanente de toutes les images disponibles, quel que soit l’opérateur. Les images sont exploitées pour en extraire des signaux multiples : construction, production et consommation d’énergie, stocks de matériaux, trafic de tous les moyens de transport… Cela passe par exemple par le suivi simultané de six mille sites industriels chinois, ce qui, par des méthodes traditionnelles, mobiliserait des centaines de photo-interprètes. Bloomberg considère que ce nouvel indice de développement économique est désormais plus précis que les indices macro-économiques traditionnels. Récemment la revue Science a publié une étude de l’université de Stanford financée par la Banque mondiale utilisant des algorithmes d’apprentissage profond dans des archives d’images optiques pour cartographier les variations spatio-temporelles des indices de pauvreté dans cinq pays africains. Et les capacités de type crowdsourcing s’intègrent désormais très bien dans ces logiques d’apprentissage profond. Le fait que Tomnod, qui s’était illustré dans la mobilisation des internautes pour des actions post-catastrophes ait été racheté par DigitalGlobe en est un très bon exemple.
Au total, même si le flot d’imagerie est encore largement à venir, les effets sont déjà profonds.
Verbatim |
En quête d’usages |
Le rapport de Geneviève Fioraso « Open Space, l’ouverture comme réponse aux défis de la filière spatiale » appelle à un sérieux décloisonnement. Extrait. |
« La France doit ouvrir le domaine spatial aux usages, aux applications, au digital avec la culture de prise de risques associée. Ce décloisonnement, cette ouverture vers d’autres cultures et d’autres métiers sont les conditions nécessaires au développement de l’aval de la filière : cette ouverture vers les autres cultures, c’est la notion d’open space que ce rapport propose. Pour développer les usages, il faut aussi susciter la création des start-up et accompagner la croissance des PME en leur donnant toutes les chances de se développer : premiers marchés (early adopters), fonds de croissance après l’amorçage, accès aux métadonnées sous une forme utilisable. Les boosters mis en place au CoSpace sont au cœur de cette ambition et la mission a permis d’en faire un premier retour d’expérience. Des axes d’amélioration sont proposés pour mieux initier, fédérer et accélérer les initiatives qui s’appuient sur le spatial pour innover dans des secteurs cibles (agriculture, santé, mer, défense, énergie, transport…) et pour leur donner une visibilité à l’international. Dans cet esprit, le CoSpace, lien efficace entre l’État, son agence et les acteurs privés du spatial, pourrait s’ouvrir utilement aux acteurs de la donnée et aux start-up. L’adaptation du cadre réglementaire et des outils financiers permettra ensuite d’accompagner cette dynamique. Les pouvoirs publics doivent enfin se positionner comme clients de référence pour ces entreprises en développant significativement l’usage du spatial, dans des domaines variés (aménagement du territoire, environnement, sécurité, défense…). La mise en place d’une « Mission Espace » interministérielle liée au CoSpace, structure légère susceptible d’animer les administrations pour encourager l’usage du spatial dans les politiques publiques, répondrait à cet objectif. Enfin le CNES est encouragé à poursuivre et accélérer l’évolution initiée cette année, notamment via sa direction de l’innovation, des applications et de la science, pour promouvoir le changement de culture attendu pour l’ensemble de la filière. » |