Cartographie de la nature en ville : l’IA fait son entrée
Catégorie: 3D, Cartographie, Données, Environnement, Grand public, Logiciels, Open Data, Reportages, Satellite/Spatial, Secteur public, WebMapping
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À l’heure de l’adaptation au changement climatique, la question de la nature en ville occupe le devant de la scène. Comment cartographier les espaces végétalisés à une échelle pertinente ? Deux réponses en grande partie automatisées avec SIRS et Kermap.
Morcelés, parfois cachés entre deux immeubles, les espaces végétalisés urbains sont encore assez mal connus. Pourtant, leur importance est désormais cruciale. Développement d’espaces verts, renaturation, trames vertes et bleues, préservation de la biodiversité et des habitats, évaluation des projets d’aménagement et mesures de compensation, mais également lutte contre les îlots de chaleur, développement de l’agriculture urbaine, valorisation du bien-être… Aucun de ces sujets ne peut être étudié sans une bonne information sur la nature en ville.
Nos villes sont-elles vertes ?
« Nous cherchions un moyen de gagner rapidement en visibilité tout en montrant notre savoir-faire en traitement et valorisation des données, explique Antoine Lefèvre, l’un des fondateurs de la toute jeune Kermap. À l’époque, nous travaillions déjà sur la question de la nature en ville avec la métropole de Rennes. » C’est ainsi que la startup a eu l’idée de créer Nos villes vertes, un site grand public présentant la végétation arborée (c’est-à-dire la surface de canopée) sur l’ensemble des communes urbaines de métropole. Incubé dans le cadre d’IGNFab, l’équipe a bénéficié d’un accès à l’ensemble de la BD Ortho HR de l’IGN (20 cm de résolution), sous forme de dalles RVB en JPG2000. Elle a développé en interne un algorithme de machine learning, qu’elle a entraîné sur des échantillons pris dans toutes les régions françaises. Seules les communes comprenant au moins une zone urbaine dans Corine Land Cover ont été traitées, en deux mois. Parallèlement, elle a développé le portail, qui présente une fenêtre cartographique ainsi que quelques statistiques communales : pourcentage de patrimoine arboré sur la zone urbaine, sur la commune, surface en terrains de football et par habitant.
Un sujet politique
Le succès est immédiat ! Il faut dire que le produit est mis en ligne en juin 2019, en pleine canicule. Il prend rapidement une dimension politique. Les journalistes en sont friands, de même que les élus et autres décideurs, qui apprécient sa simplicité, la possibilité de comparer des territoires, et n’hésitent pas à s’enorgueillir de leur place sur le podium des villes les plus vertes. « Le classement reflète bien davantage la morphologie des territoires et la dimension temporelle du développement urbain que les actions politiques récentes, tient à souligner Nicolas Beaugendre, directeur général de Kermap. Les villes qui se sont développées plus récemment sont plus étalées et donc, plus végétalisées que les centres anciens. »
Un tremplin commercial
Si l’approche a le mérite d’être exhaustive, uniforme et de représenter autant le domaine public que privé, elle reste rudimentaire. Et c’est bien l’effet recherché par Kermap qui a, depuis, signé quelques beaux contrats pour des études plus sophistiquées comme l’analyse des îlots de chaleur pour la métropole de Montpellier. Elle poursuit également sa collaboration avec la métropole de Rennes sur l’analyse complète de la végétation et la production de d’indicateurs de végétalisation exploitables dans le cadre des projets urbains afin de définir des mesures compensatoires en cas de besoin.
Le Grand Lyon fait de la haute couture
À l’échelle du Grand Lyon, tout projet de constitution d’une base de données exhaustive sur le territoire est affaire de compromis entre le niveau de détail souhaité et la lourdeur des fichiers à gérer. Afin d’aborder la question des espaces naturels sur un territoire de quelque 533 km2, la collectivité a choisi de travailler avec SIRS, un vétéran en matière d’occupation du sol. Le projet, lancé début 2017 était ambitieux. En s’appuyant sur l’orthophotographie « maison » à 8 cm de résolution (RVB et infrarouge) et sur le nuage de points Lidar acquis au printemps 2015, il s’agissait de produire une cartographie complète de la végétation, exploitable jusqu’au 1:2 000 (l’unité minimale de collecte étant fixée à 100 m2). Au total, ce sont 350 Go de données Lidar et 700 Go de données images qui ont été traitées.
Une nomenclature très détaillée
La classification choisie permet d’isoler le couvert végétal ainsi que les différentes hauteurs de végétation. En milieu urbain, les strates herbacées, arbustives et arborées sont distinguées ainsi que les friches et les jardins collectifs. Une quarantaine d’autres postes décrivent finement le milieu périurbain et rural : activités agricoles, vignes, vergers, différents types de prairies, de forêts, de bosquets, de zones humides et en eau…
Traitements automatiques et manuels
« Nous avons commencé par une longue phase de tests en milieu urbain » rappelle Konrad Rolland, responsable du pôle collectivités et territoires chez SIRS. Car la méthode choisie associe traitements automatiques (nécessaires compte tenu de la masse de données), machine learning et photo-interprétation visuelle. « Après avoir utilisé les données Lidar pour identifier les strates de végétation, nous avons exploité les techniques du machine learning pour repérer les ombres portées, éliminer une partie du bruit, généré notamment par les toitures dans les zones pavillonnaires » complète Konrad Rolland. Des parcelles d’entraînement ont appris à l’algorithme à différencier végétation et ombres portées. Une fois les données nettoyées, une classification automatique a été appliquée, exploitant les orthophotographies. Une étape de photo-interprétation manuelle a ensuite été nécessaire pour reprendre certaines données et les améliorer, afin d’atteindre un taux de fiabilité de 92 %. Menée en neuf mois, l’opération a été et suivie de près par Ecosphère, auditeur écologique du projet.
Les données sont exploitées en interne depuis plusieurs mois : « Cette connaissance appuie nos travaux sur les couloirs écologiques, nous aide à comprendre les enjeux liés aux trames vertes et bleues. Ces informations sont stratégiques pour la gestion de notre territoire, le suivi de la consommation de l’espace et la prise de mesures compensatoires pour la protection de la biodiversité et des habitats naturels » explique David Zenovelli, expert en Système d’Information Géographique à la Direction des Stratégies Territoriales et Politiques Urbaines au sein du Grand Lyon dans le communiqué officiel de la collectivité.