De quels lieux nos rêves sont-ils faits ?
Catégorie: Cartographie, Recherche, Reportages
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Le géographe Louis Marrou s’intéresse aux lieux de notre vie onirique. Loin d’être anodin, le sujet intéresse les médecins. Mais comment étudier le rapport entre lieux de la vie réelle et lieux de nos rêves ? Une étude défriche le sujet.
« Juste une image de Louisa au coin de la place Bellecour à Lyon. C’est la nuit. Elle est nimbée d’une lumière urbaine orangée, un peu brumeuse. Nous devons aller jusqu’au quai du Rhône ». Nos rêves sont souvent situés dans des espaces géographiques définis, plus ou moins précis, plus ou moins directement reconnaissables. Mais quel rapport entre les lieux de nos rêves et ceux de notre vie quotidienne ? Le sujet est encore peu étudié. Qu’importe me direz-vous ? Pourtant, la question intéresse les scientifiques car ce qui se passe dans nos rêves n’est pas anodin en termes d’apprentissages, de mémorisation, de résolution de conflits, de développement de pathologies, etc.
Une base de données exceptionnelle
Comment alors étudier ce rapport ? Sur quelle base de données s’appuyer ? Grâce au journal de bord d’un professeur de géographie qui consigne chaque jour ses rêves (parfois jusqu’à 7 en une nuit), et note également tous ses déplacements, une étude longitudinale a pu être menée sur une année civile complète. Louis Marrou, du laboratoire LIENSs de La Rochelle, s’est associé à Isabelle Arnulf, spécialiste des pathologies du sommeil à la Pitié-Salpêtrière pour analyser cet ensemble exceptionnel de données. Les deux scientifiques viennent de publier un article dans le très sérieux « International Journal of Dream Research ».
Que ressort-il de leur analyse ? Tout d’abord, sur les 680 récits de rêves analysés, seuls 24,4 % mentionnent un lieu. 107 villes ont été visitées en rêve tandis que 122 l’ont été pendant la journée (les déplacements domicile/travail quotidiens sont intégrés). La plupart du temps, les lieux mentionnés dans les rêves n’ont pas été visités dans l’année, parfois jamais et certains lieux sont mêmes imaginaires. Au final, moins d’un tiers des rêves font référence à un lieu effectivement visité. Mais là encore, le lien n’est pas immédiat. Il n’y a concordance temporelle que pour un tiers des rêves (rêve dans la nuit suivant la visite du lieu). 13,5 % des lieux rêvés ont été visités dans les dix jours précédents tandis que 11,5 % correspondent à des lieux à visiter le lendemain, par un effet d’anticipation. Des résultats qui confirment l’hypothèse de continuité dans l’incorporation des éléments de la vie courante dans les rêves.
Rêveurs, rêveuses, la science a besoin de vous
« La question des marqueurs sociaux et spatiaux dans la structuration de la mémoire et dans les choix d’information par le processus onirique est au cœur d’une réflexion plus large sur certaines maladies du cerveau, insiste Louis Marrou. Nous manquons cruellement de personnes acceptant de fournir des données oniriques sur des séries longues. La proportion de gros rêveurs dans la société est très faible car cela demande du temps, de l’équilibre et un environnement réceptif. Je prospecte ainsi mes étudiants qui partent en vacances dans des endroits où ils se rendent pour la première fois. S’ils sont capables de noter leurs rêves, ils deviennent des indicateurs fabuleux pour nous. » Et vous, à quoi et où rêvez-vous ?