Démocrite : un projet de recherche autour de la couverture des risques
Catégorie: Cartographie, Données, Environnement, Logiciels, Recherche, Reportages, Sécurité/défense, Utilisateurs
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Initié en 2010 à l’aide de quelques stagiaires de l’Ecole Polytechnique, le projet de recherche Démocrite s’appuie sur la géomatique pour fournir aux Pompiers de Paris une meilleure vision de la vulnérabilité de leur territoire d’intervention. Officiellement achevé fin février, il pourrait à l’avenir alimenter d’autres systèmes.
« Chaque minute de perdue, c’est 10 % de chances de survie en moins. » Le colonel Morel de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) est inquiet. Population fragilisée et vieillissante, nombre de logements en augmentation, population en transit de plus en plus importante… la BSPP, qui couvre Paris et la petite couronne reçoit de plus en plus de demandes d’interventions. Les prochains grands événements à venir (Jeux Olympiques, Coupe du monde de rugby) ne font que renforcer la tension qui règne sur un service qui assure pas moins de 450 000 interventions par an. Alors, les pompiers rêvent d’un monde idéal, où seuls les appels nécessitant réellement leur intervention leur parviendraient, où ils pourraient se préparer à ouvrir une caserne là où on aura le plus besoin d’eux, où ils pourraient anticiper les effets immédiats d’un incendie ou d’une explosion sur un quartier et se déployer en conséquence…
La géomatique peut-elle aider les pompiers de Paris à donner corps à leur rêve ? Il semblerait. Elle constitue le socle du « DÉmonstrateur d’un MOteur de Couverture des RIsques sur un TErritoire », alias Démocrite. Développé à l’initiative de la BSPP dans le cadre d’un programme de recherche soutenu par l’ANR, Démocrite s’appuie sur un partenariat étendu entre laboratoires de recherche, industriels et sociétés d’informatique*. Il a abouti à un démonstrateur, présenté fin février lors d’une journée organisée à l’Ecole Militaire.
Les risques incendie et leurs conséquences
Quelle peut être la résilience d’un quartier face à la propagation d’un incendie ? Pour la calculer, le laboratoire P’ a dû associer modélisation physique (le comportement des matériaux dans la propagation du feu, modélisé à l’échelle de quelques pièces types) et modélisation statistique via des automates cellulaires (pour s’appliquer à des bâtiments complets, puis à des ensembles de bâtiments), sur la base de scénarios types de transition. Trois zones, elles-mêmes divisées en sous-zones ont été étudiées. Grâce aux bases de données existantes (cadastre, base de l’APUR, données INSEE…) et à des enquêtes terrain, le bâti a été finement décrit : nombre de logements et taille, nombre de pièces et surfaces, type de matériaux plus ou moins combustibles, etc. « Nous avons testé plusieurs types de logements, plus ou moins bien ventilés, avec des départs de feux dans différentes pièces, explique Franck Richard de l’institut P’. Ensuite, nous avons appliqué les modèles à des types d’immeuble. » Malgré la simplification inévitable de l’approche, le modèle montre bien que les effets d’un incendie à 20 ou 30 mn peuvent être très différents d’un quartier à l’autre en région parisienne.
Les risques explosion et leurs conséquences
« En milieu urbain, la propagation des ondes de choc dépend beaucoup de la topographie » insiste Emmanuel Labépie du CEA Gramat. Les effets sont de trois types : certains matériaux absorbent l’onde de choc, d’autres la renvoient tandis que les canyons urbains la dirigent. Pourtant, les modélisations se font généralement sous forme de cercles concentriques, uniquement liés au type et à l’importance de la charge. Pour adapter le modèle du CEA au milieu urbain, plusieurs approches ont été testées. Impossible de se lancer dans une simulation numérique sur la base d’une modélisation 3D, trop gourmande en temps de calcul et impossible à faire tourner sur un PC de base. C’est donc en 2,5 D que les chercheurs ont travaillé.
Le résultat est affichable dans Démocrite, mais également exploitable sous forme de base de données dans un logiciel SIG standard. Il faut une minute de calcul pour faire tourner le modèle sur un carreau de 300 mètres de côté. Le fait de faire appel à des bases de données standards (BD Topo, OpenStreetMap) permet de l’adapter à tout le territoire.
Cartographie de la propension aux risques
Pour évaluer la propension du territoire aux risques, ce sont sept ans d’archives des interventions de la BSPP qui ont été synthétisées sous forme de carreaux. L’interrogation peut ensuite se faire selon différentes thématiques : feu, secours aux victimes, accidents de la circulation… et selon différentes pas de temps (une année, un mois précis, une journée type…). L’intérêt est de confronter cet historique avec la couverture du risque (zones, véhicules). Ainsi, un 14 juillet à 3 heures du matin, si un engin pompe doit être mobilisé… les zones qui risquent de poser problème sont immédiatement visibles.
Des territoires plus ou moins vulnérables
Interventions déjà effectuées, capacité à mobiliser rapidement des ressources… il manque encore des pièces au puzzle pour avoir une vision complète des vulnérabilités du territoire. L’équipe a répertorié les activités, réparties en trois grands groupes : santé, économie et éducation. Pour chaque entité (un collège, un hôpital…), un indicateur de service rendu est calculé qui prend en compte les caractéristiques du service ainsi que sa capacité de résilience, mais également le contexte (existe-il un établissement avec les mêmes services pas trop loin ? L’établissement est-il proche d’une zone inondable ?…). Ainsi, la vulnérabilité fonctionnelle de chaque maille du territoire peut être calculée, présentée sur cinq niveaux. Là encore, la méthode peut être reproduite sur n’importe quelle partie du territoire. La population est également modulée en fonction des grandes fonctions urbaines afin d’affiner le découpage temporel. Zones touristiques, de transport, de logement, d’entreprises, de loisir… vivent à des rythmes très différents.
À la base du projet, les données géographiques sont préparées par le service géomatique de la brigade. Mais participer à un tel programme de recherche a amené le service à réfléchir à ses bases de données, à leur qualité et à imaginer celles qui manquent encore. Ainsi, un groupe de travail s’est constitué avec l’APUR, l’IGN, l’INSEE, l’IAU et le Conseil départemental des Hauts-de-Seine pour constituer une base détaillée des bâtiments avec leur hauteur, le nombre et le type de logements.
Les modes de représentation cartographiques sont simples, afin de faciliter une lecture rapide, sous forme de scores et d’indices et faciliter la prise de décision. À travers ce projet, l’enjeu est bien de pouvoir « organiser la réponse opérationnelle de manière prévisionnelle » comme le rappelle le Lieutenant Colonel Stéphane Raclot, qui a participé au projet à la BSPP. Identifier des effets de seuils, évaluer la faisabilité d’un schéma départemental d’analyse et de couverture du risque, envisager plusieurs scénarios pour l’ouverture d’une nouvelle caserne… Démocrite n’est qu’un démonstrateur, mais il ouvre le chemin.
Le code de la modélisation des explosions a été validé grâce au retour d’expérience acquis à la suite de l’attentat d’Oslo de 2011, où un relevé complet des vitres brisées a été effectué.
Les partenaires projet Démocrite : IT-Link, SYSTEL, BSPP, ARMINES, CERDACC, Institut P’, INRIA/Ecole polytechnique,