Disparition de Jean-Christophe Victor
Catégorie: A l'actu, Cartographie, Grand public, Portraits
La brusque disparition de Jean-Christophe Victor, le 29 décembre 2016, fondateur du Lepac, créateur et animateur du Dessous des cartes affecte tous les amateurs de géopolitique, de cartes et bien au-delà. L’émission, qu’il n’avait pas prévu de présenter à l’origine, a battu tous les records de longévité (26 ans !). Car Jean-Christophe Victor a imposé un style à l’opposé de l’agitation télévisuelle actuelle. Ses cartes, toutes simples et hautes en couleur, ont dépoussiéré certains codes de la sémiologie graphique et il a distillé chaque semaine la douce musique de celles et ceux qui essayent de comprendre et de faire comprendre la marche du monde. Sa voix posée nous manque déjà.
Nous reproduisons ci-dessous notre dernière interview d’avril 2015, parue dans le cadre du dossier sur la mise en scène de l’information géographique et de la cartographie.
Vingt-cinq ans d’expérience
Qui peut mieux aborder la question de la mise en scène cartographique que Jean-Christophe Victor ? Le fondateur du Lepac est également le concepteur et l’inlassable animateur du Dessous des cartes, une émission emblématique d’Arte, connue dans le monde entier.
Comment les principes de l’émission ont-ils émergé ?
Quand l’idée de l’émission a germé au moment de la chute du mur de Berlin et que je l’ai proposée à la toute nouvelle Arte, je me suis donné trois principes. L’histoire influe et doit être prise en compte pour comprendre les événements internationaux. Ne jamais confondre ce qui est urgent et ce qui est important, c’est pourquoi nous nous attachons à montrer les tendances longues. Enfin, nous sommes tous quelque part. La géographie est également une dimension fondamentale.
Pourquoi avoir choisi de vous appuyer sur la cartographie ?
Nous avons choisi la cartographie car c’est un bon outil pédagogique. Elle permet de faire comprendre plutôt que de faire savoir. Les téléspectateurs découvrent avec la carte que c’est agréable d’apprendre. D’ailleurs, nous avons fait un essai de déclinaison radiophonique en Allemagne, qui n’a pas marché pour diverses raisons, dont le manque de dimension visuelle.
Depuis 25 ans, vous proposez des cartes plutôt simples, parfois jugées simplistes par les puristes de la sémiologie graphique.
Si les cartes sont trop compliquées et trop chargées, notamment en toponymie, le spectateur est vite noyé. L’émission dure dix minutes, c’est peu et nous veillons à éviter autant les effets tunnels (cartes statiques trop longtemps) que la succession trop rapide des messages. J’assume ma conception des cartes. Oui, nous nous sommes affranchis de la grammaire officielle et nous n’avons pas hésité à tricher un peu pour renforcer la pédagogie, comme sur les projections. Par contre, nos messages sont précis. Quand nous avons décliné ce style dans les atlas du Dessous des Cartes, nous en avons vendu 400 000 exemplaires. Personne ne s’attendait à cela.
Est-ce que l’émission nourrit les autres activités du Lepac ?
C’est plutôt l’inverse. Ce sont les méthodes de travail du Lepac, nos sujets de recherche qui alimentent l’émission. Ceci dit, l’émission est une formidable vitrine. L’approche pédagogique développée dans Le dessous des cartes est la même que celle que nous avons au laboratoire. Je fais beaucoup d’interventions en conférence ou auprès de groupes plus ou moins importants de personnes. Pour expliquer et faire comprendre, il faut associer esprit d’analyse et de synthèse à une forte conviction personnelle.
Quels conseils donnez-vous aux géomaticiens qui ont du mal à communiquer avec les cartes ?
Je rencontre régulièrement des services géomatiques qui m’appellent pour les aider à communiquer avec leurs élus. Leur travail est difficile, ils sont peu écoutés et respectés. Parfois, il faut quelqu’un d’extérieur comme moi pour faire passer les messages. Mais j’aurais quand même quelques conseils. D’abord, il faut faire de belles cartes, soigner l’esthétique. C’est elle qui donne envie d’entrer dans la carte. Ensuite, ils doivent plus utiliser les changements d’échelle pour décrire les phénomènes, même quand ils exposent une politique publique à l’échelle d’un quartier ou d’une ville. Ils doivent également rendre les cartes plus lisibles et éliminer les surcharges, notamment en toponymes. Enfin, il faut qu’ils accompagnent leur rendu d’une explication orale de trente minutes. Rien ne peut remplacer cette incarnation !
Le Lépac
- Depuis 1990, le Laboratoire d’études politiques et d’analyses cartographiques met l’expertise de sa dizaine de membres au service de nombreux clients. Ses analyses géopolitiques et géoéconomiques intéressent aussi bien les entreprises que les institutions. Virginie Raison, cofondatrice du laboratoire avec Jean-Christophe Victor est également l’auteur de 2033, l’Atlas des Futurs du Monde.
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