Espace en danger : les débris spatiaux
Catégorie: Imagerie, Reportages, Satellite/Spatial
Avec sa constellation Starlink, Elon Musk a mis en orbite en deux ans plus de satellites que l’Europe en 50 ans. De quoi faire râler les astronomes mais également les opérateurs d’autres satellites. Pourquoi ? Ils craignent une augmentation exponentielle des débris… et des collisions. Explications.
34 000 objets de plus de 10 cm se baladent en ce moment dans l’espace, dont 5 400 de plus d’un mètre. Seuls 20 000 sont connus et catalogués, ce qui permet de suivre leur trajectoire. De quels objets parle-t-on ? Ce sont des satellites opérationnels (2 000) ou hors-service, des pièces usées de satellites, des étages de lanceurs. Mais ils ne sont pas seuls. Environ 900 000 débris de 1 à 10 cm et quelque 130 millions encore plus petits dérivent autour de la Terre.
Ainsi, en 2007, la Chine a fièrement détruit un de ses satellites en orbite, histoire de montrer au monde entier sa puissance spatiale. Dont acte. Mais ce faisant, elle a généré des dizaines de milliers de débris spatiaux dont seuls 3 000 sont aujourd’hui catalogués. L’ensemble de ces débris représente quelque 8 500 tonnes de métal, l’équivalent du poids de la Tour Eiffel.
Surpopulation imminente
Mais l’espace est vaste et la densité reste très faible. D’autant que les débris sont « naturellement éliminés » puisqu’ils perdent de l’altitude au cours des années avant de tomber dans l’atmosphère et d’être définitivement brûlés (sauf les petits malins qui arrivent jusqu’au sol, mais cela reste exceptionnel). Pas de quoi paniquer alors ? Pas sûr, car la population de satellites augmente de façon exponentielle avec les milliers de satellites des nouvelles constellations de type Starlink, OneWeb ou BlueOrigin. « La situation devient préoccupante » reconnaît bien volontiers Pierre Omaly, expert des débris spatiaux au CNES.
Est-ce vraiment si dangereux ? « Un seul débris d’un centimètre peut faire de gros dégâts. Les débris se déplacent à environ 8 km/s. Si l’un d’entre eux rencontre un satellite qui va à la même vitesse dans l’autre sens, c’est l’équivalent du choc provoqué par une boule de bowling à 130 km/h. Cet été, un satellite Sentinel a été heurté par un débris qui a touché un panneau solaire. L’impact a généré un trou, sans grande importance. Mais si une autre partie avait été touchée, on aurait pu perdre le satellite… voire générer de nombreux débris en cas d’explosion, » détaille Pierre Omaly.
Réaction en chaîne
Nous risquons désormais d’être confrontés au syndrome de Kessler. De quoi s’agit-il ? D’une équation développée en 1978 par Donald Kessler, un consultant de la NASA, qui montre qu’une réaction en chaîne pourrait transformer l’espace en champ de mines impraticable pour les satellites et l’exploration spatiale. Plus il y a de débris, plus il y a probabilités de collisions, qui génèrent de nouveaux débris, qui génèrent de nouvelles collisions, etc. à un rythme qui peut devenir nettement supérieur au nettoyage naturel de l’espace.
Toutes les orbites ne sont logées à la même enseigne. Les orbites des satellites géostationnaires à 35 900 km (météo, télévision principalement) ou les orbites moyennes des systèmes de géolocalisation (20 000 km) sont très vastes, d’où une densité très faible. Quand les satellites sont en fin de vie ou HS, ils sont désorbités, voir placés sur une orbite cimetière, quelques centaines de kilomètres au-dessus de leur orbite opérationnelle. Le vrai danger se situe dans les orbites basses, situées entre 500 et 2 000 km d’altitude, là où se trouvent la majeure partie des satellites (65 %), dont ceux d’observation de la Terre de moyenne à très haute résolution et ceux dédiés à l’Internet haut débit.
Des services opérationnels pour éviter les collisions
Comment éviter les collisions ? Au-delà des démonstrations de prototypes de filets spatiaux ou de rayons tracteurs, il existe aujourd’hui un service anticollision piloté et financé par l’Union Européenne, qui s’appuie sur la solution technique mise en place par le CNES depuis plusieurs années. En attendant que les satellites soient eux-mêmes équipés de dispositifs anticollisions, les experts s’appuient sur un réseau d’observation (télescopes principalement) et des modèles mathématiques. Les États-Unis ont également leur propre service. Seules les orbites basses sont surveillées. Quand un risque de collision est détecté (avec des débris répertoriés ou entre satellites, comme ce fut le cas en septembre 2019), les opérateurs sont prévenus afin d’effectuer des manœuvres d’évitement. « Aujourd’hui, le rythme est de l’ordre d’une manœuvre d’évitement par mois, mais la multiplication des satellites va entraîner la multiplication des manœuvres et va donc nécessiter plus d’équipes et plus de calculs, craint Pierre Omaly. Ce changement de paradigme milite pour une meilleure coordination entre les services. »
Des coopérations existent déjà. L’Inter-Agency Space Debris Coordination Community (IADC) regroupe 13 agences spatiales autour de la réglementation de l’espace et se réunit une fois par an pour échanger des bonnes pratiques. Il existe également un groupe à l’ONU dédié aux affaires spatiales. Pierre Omaly place plus d’espoirs dans le groupe ISO 24113 (systèmes spatiaux). « C’est un bon outil pour avancer car il ne dépend pas des États mais inclut des représentants de chaque pays. Nous arrivons à écrire des normes qui vont dans le bon sens, mais nous n’allons sans doute pas assez vite vu le rythme de mise en orbite » se désole l’expert. Si les nouveaux opérateurs ne sont pas avares en déclarations (les satellites Starlink seraient censés redescendre en deux ans), leur fonctionnement réel reste peu connu. Mais si un satellite de ce type de constellation tombe en panne, son opérateur a tout intérêt à s’assurer qu’il n’est pas au chemin et que l’espace reste propre autour du reste de la constellation, business oblige. « Nous devons développer une sorte de contrôle aérien du spatial » conclut Pierre Omaly. Qui pilotera la tour de contrôle et quelles en seront les règles ? On peut imaginer que les discussions vont prendre quelques années !
Éviter les nouveaux débris
L’effort porte également sur la limitation des nouveaux débris. Sur ce point, la France est le seul pays à disposer depuis 2008 d’une loi sur les opérations spatiales qui oblige les opérateurs à présenter des garanties. D’autres pays ont émis des recommandations. Les règles de construction insistent sur différentes caractéristiques des véhicules spatiaux. Ils doivent faire la preuve qu’ils embarquent assez de carburant (ergols) pour se propulser et atteindre une orbite plus basse quand ils ne sont plus opérationnels, avant de vider leurs réservoirs et leurs batteries pour éviter tout risque d’explosion. SPOT 5, qui pesait environ 2 tonnes était à 700 km au-dessus de la terre. Il aurait dû mettre 80 ans pour rejoindre l’atmosphère terrestre après la fin de sa vie opérationnelle. « En utilisant les restes d’ergols, nous avons pu le descendre à 500 km, réduisant ainsi son temps de redescente à 25 ans ». Une durée qui est aujourd’hui la norme… mais qui s’avère trop longue face aux lancements récents. Ainsi, l’espace doit donc lui aussi devenir durable. Les « tech for space care » travaillent sur ce nouveau compromis entre le développement des satellites et leur impact à long terme.
Le sujet vous passionne ? Quelques ressources ci-dessous
- https://cnes.fr/fr/dossier-debris-spatiaux-ou-en-est#coo
- https://debris-spatiaux.cnes.fr/fr/
- https://www.youtube.com/watch?v=q7IerRMAcno
- Conférence européenne sur les débris spatiaux du 20 au 23 avril 2021 à Darmstadt (Allumage)