Explorations spatio-temporelles
Catégorie: Cartographie, Données, Livres, Arts, Expos, Logiciels, Mobilité, Recherche, Reportages, Réseaux/Transports, Sécurité/défense
L’édition 2016 de Sageo s’est déroulée début décembre sous le soleil niçois. Près de deux cents chercheurs liés à la géomatique s’y sont retrouvés pour trois jours d’ateliers et de conférences. L’occasion de découvrir de nouvelles façons d’explorer et de communiquer les données géographiques.
Plier le temps en carte n’a jamais été une mince affaire. Avec l’essor des questionnements sur les mobilités, l’arrivée de données massives en temps quasi réel, la représentation des phénomènes spatio-temporels prend de plus en plus d’importance. Elle pousse les chercheurs à trouver de nouveaux modes d’exploration et de représentation.
Cycles spatio-temporels
Jacques Gautier et ses collègues du laboratoire d’informatique de Grenoble (IMAG) se sont intéressés à la régularité temporelle de certains événements. Plusieurs modes de représentation sont traditionnellement utilisés pour rendre compte de leur caractère cyclique : roues, spirales, ondes… Mais ces figures supposent généralement de connaître a priori le cycle à représenter. Or, il s’agit ici d’essayer de découvrir visuellement si un phénomène se répète dans le temps et à quel rythme. Étudiant des coulées de lave à la suite d’éruptions volcaniques, les chercheurs ont construit une interface Web d’exploration qui associe plusieurs fenêtres et modes de représentation, cartographiques et temporelles, reliées dynamiquement. Les coulées sont représentées par leur extension (polygone) et prennent une couleur différente en fonction de leur stade de développement (du bleu au rouge). Le temps est symbolisé sous forme d’onde. L’utilisateur peut alors jouer sur le pas de temps de chaque unité ondulaire… jusqu’à aligner les coulées, montrant ainsi un retour du phénomène tous les quarante jours, impossible à déceler autrement. Bien sûr, cet aspect cyclique aurait pu être mis en évidence par des calculs mathématiques mais l’analyse visuelle permet une approche plus exploratoire.
Accumulation et effets domino
En partenariat avec la SNCF, Cécile Saint-Marc (IMAG) s’est intéressée aux conséquences des inondations sur le système ferroviaire. Afin de mettre en carte le récit d’une inondation, elle a élaboré un modèle de données prenant en compte à la fois les phénomènes météorologiques et hydrologiques (inondation, précipitations…), la submersion (embâcle…), les dommages subis par les infrastructures (chute d’arbre, destruction d’un pont…) et les mesures de réaction (arrêt de circulation, lancement de travaux…). Tous ces éléments ont des dimensions spatiales et temporelles variées : certains sont étendus (les précipitations), d’autres très réduits (un aiguillage), ils durent plus ou moins longtemps, peuvent avoir des cinétiques rapides ou lentes. Un vrai casse-tête si l’on considère que toutes ces informations s’accumulent sur une structure linéaire, le réseau SNCF. Pour lever tous ces verrous, la jeune chercheuse s’est inspirée de différents récits cartographiques parfois anciens ou plus récents. Elle a choisi la forme pour différencier les types d’événement. La couleur indique la date grâce à des dégradés de rouge (pendant la crue) et de vert (après la crue). Afin de simplifier la représentation, elle a choisi de représenter tous les éléments sous forme ponctuelle et de les répartir verticalement en cas d’accumulation au même endroit. Pour montrer les relations entre les éléments, des lignes relient certains pictogrammes. Une fenêtre temporelle est également proposée, avec une échelle régulière ou proportionnelle aux événements. Un prototype a été testé auprès d’une vingtaine d’experts du domaine ferroviaire. Un questionnaire permettait de vérifier qu’ils comprenaient les informations présentées, ce qui s’avère effectivement le cas. La moyenne de bonnes réponses est de 74,5 %, elle monte même à 86 % pour la lecture des événements. Les relations de cause à effet sont moins bien perçues ce qui incite Cécile Saint-Marc à faire évoluer ses représentations (utiliser des flèches orientées, garder des traces visuelles). Si les testeurs ont apprécié la vision dynamique du récit en train de se construire, ils ont souligné l’importance d’une vision synthétique et statique pour analyser le retour d’expérience. Un dispositif à tester avec d’autres phénomènes présentant des effets dominos.
Espaces romanesques
Comment représenter l’espace des romans ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord identifier les références spatiales qu’ils contiennent, séparer les réelles des fictives, retrouver celles qui ont disparu… C’est ainsi qu’une doctorante en histoire, Noémie Boeglin, s’est rapprochée de ses collègues géomaticiens (laboratoire Environnement-Ville-Société à l’université de Saint-Étienne et à l’École normale supérieure de Lyon) dans le cadre de son étude sur la représentation de la modernité parisienne dans le roman français entre 1830 et 1913. Trente et un romans (soit près de cinq millions de mots) ont été passés au crible d’une analyse textométrique pour en extraire des entités spatiales directement nommées (plateforme TXM). Neuf cents références spatiales ont été identifiées. Malheureusement, il n’existe pas de gazettier historique des lieux de Paris qui permettrait de projeter ces références directement sur un fond cartographique contemporain (celui de l’APUR, accessible en open data). Pour l’instant, après un travail de recherche sur la généalogie de certaines rues, l’exploitation du plan Vasserot de 1830 partiellement vectorisé et d’un plan des rues de 1890, seul un tiers des références est cartographiable. Mais c’est un début qui permet de tester différents modes d’analyse et de représentation de la densité des citations par rue, des espaces des romans, etc. Le travail se poursuit en affinant le gazettier et notamment en y intégrant les églises, les théâtres…
Organisation |
Le GDR Magis |
Voilà vingt ans qu’un groupement de recherche s’est créé autour de la géomatique, d’abord nommé Cassini puis Sageo puis Magis, il regroupe aujourd’hui 47 laboratoires et environ 400 chercheurs. Il permet aux chercheurs de se retrouver entre laboratoires autour d’axes de travail structurants (geoweb, incertitude, SIG 3D….). Il propose une école thématique par an et organise son colloque annuel, baptisé Sageo. À Nice cette année, cinq ateliers étaient proposés, ainsi qu’une cinquantaine de conférences et posters, abordant de nombreux sujets : représentation, modélisation, traitement d’images, mobilités, infrastructures de données spatiales, risques, environnement… |
Chaque année, le GDR récompense une ou deux thèses remarquables dans le domaine, avec le soutien de Geoconcept. Ont été primés cette année : Bertrand Dumenieu (EHESS COGIT) pour sa thèse sur « un système d’information géographique pour le suivi d’objets historiques urbains à travers l’espace et le temps » et Pierre-Alexis Herrault (DYNAFOR) qui a travaillé sur « Extraction de fragments forestiers et caractérisation de leurs évolutions spatio-temporelles pour évaluer l’effet de l’histoire sur la biodiversité : une approche multi-sources ». Prochain colloque Sageo du 6 au 9 novembre 2017 à Rouen. |