GéoDataDays 2020 : la transition au cœur des débats
Catégorie: 3D, Cartographie, Données, Entreprises, Environnement, Imagerie, Institutions, Logiciels, Open Data, Reportages, Sécurité/défense
Par Françoise de Blomac, pour l’Afigéo
Placés sous le thème de la transition, les GéoDataDays ont fait la preuve de l’utilité de l’information géographique et de ses techniques pour aborder des questionnements aussi variés que la place de la nature en ville, la lutte contre les îlots de chaleur, la prévention et la gestion des risques de submersion marine, la création de pistes cyclables… Outil de connaissance, d’aide à la décision et de mobilisation, la géomatique doit aussi faciliter une compréhension plus globale des enjeux de la transition. Et ce n’est pas toujours facile.
Avec un grand débat et plusieurs sessions dédiées à la transition écologique, climatique et énergétique, les GeoDataDays ont mis l’accent sur des retours d’expérience qui montrent que la géomatique et ses acteurs se mobilisent autour de ce sujet d’importance.
Une meilleure connaissance
Avant d’envisager des mesures de lutte ou d’adaptation au changement climatique et à ses conséquences, il est important de comprendre, de mesurer, d’établir des diagnostics partagés. Les exemples ne manquent pas car les systèmes d’information géographiques sont d’excellents réceptacles pour analyser la complexité des systèmes humains.
Ainsi, quand il est arrivé chez Valorem à la suite d’une reconversion professionnelle, Claudio Rumolino, ancien cartographe et devenu énergéticien a été très surpris d’y trouver autant de spécialistes des SIG. « La cartographie et les données géographiques sont les ingrédients de base pour concevoir un parc d’énergie renouvelable » a-t-il reconnu. Champs de vents, potentiel solaire, réglementation limitant l’installation de parcs éoliens, puis données parcellaires et topographie… toute la vie d’un projet passe par le SIG. Les assureurs sont, eux-aussi, de gros consommateurs de données géographiques et utilisateurs de SIG comme l’a rappelé Christophe Delcamp, Directeur adjoint de la Fédération Française de l’Assurance et membre de la Mission Risques Naturels. Parce qu’ils s’engagent à maîtriser le coût financier de la survenance d’un aléa, les assureurs doivent géolocaliser et analyser les risques des biens qu’ils assurent. Mais l’information géographique leur permet également de fournir de nouveaux services dans la perspective du changement climatique. Ainsi, depuis 4 ans, un produit couvre les risques de sous-production agricole grâce à l’analyse d’images satellitaires, qui vérifie si l’état de développement des plantes cultivées est conforme aux attendus.
Le suivi de l’artificialisation a fait l’objet d’une session qui a montré tout l’apport des bases de données d’occupation du sol, à différentes échelles. Cette imbrication des échelles spatiales et temporelles est l’un des enjeux de la compréhension du changement climatique, qui a besoin de données historiques pour alimenter ses modèles d’évolution et de comprendre les interactions entre de nombreux phénomènes. En travaillant à des échelles de plus en plus fines, une métropole comme Montpellier peut suivre au plus près l’artificialisation des sols ainsi que les actions de renaturation, comme l’a montré Konrad Rolland de SIRS (groupe CLS).
Grâce aux images satellites (qui permettent d’isoler la végétation) et à la thermographie aérienne, les îlots de chaleurs urbains sont bien mieux connus et peuvent être mesurés, comme l’ont par exemple présenté Kermap et Aérodata France. Un nouveau sujet émerge, lui aussi capté par les satellites (en l’occurrence, un satellite chinois), la pollution lumineuse qui devrait faire bientôt l’objet d’une analyse à l’échelle de toute la région Occitanie, grâce aux travaux de La Telescop.
La mobilisation de capteurs optiques et lidar sur drones ou sur de petits avions permet d’obtenir régulièrement des données très détaillées sur l’évolution de la végétation (voir la présentation de Hugues Heurtefeux de l’EID Méditerranée) ou du trait de côte, comme l’a montré Benjamin Pradel de l’Avion Jaune, qui a ainsi pu mesurer précisément la dégradation des falaises rocheuses en Aquitaine.
Philippe Abadie, délégué régional Occitanie de l’IGN a annoncé de nouvelles données bien utiles dans la compréhension des changements en cours sur le littoral : la mise en ligne prochaine de l’ortho littoral V3 sur le portail Géolittoral ainsi que la constitution par l’IGN et le SHOM d’une nouvelle base de données de la limite terre-mer, LimTIM, qui hérite, complète et harmonise les travaux menés dans le cadre de Litto3D.
Ces données sur le littoral alimentent plusieurs observatoires (en Occitanie, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, en Aquitaine), essentiels dans la gestion du littoral et l’anticipation des risques de submersion marine. Mais ces observatoires ne se contentent pas de présenter le trait de côte et la morpho dynamique du littoral. Ils incluent l’analyse des enjeux socio-économiques, les réglementations, etc.
Abordant les questions de prospective, Naja Touati de l’université de Toulouse a présenté un travail mené avec l’agence d’urbanisme et la métropole toulousaine pour établir un diagnostic microclimatique et identifier des zones à enjeux en termes de stress thermique : îlots de chaleur et leur évolution possible en fonction de différents scénarios de changement climatique. Pour cela, de nombreuses données ont été assemblées allant de l’occupation du sol aux températures, en passant par l’inventaire des établissements sensibles, la localisation des personnes vulnérables et des enquêtes sur les comportements des ménages. Les cartes climatiques, outils de diagnostic microclimatique peuvent alors être mobilisées par les urbanistes et prises en compte dans le PLUi-H de la métropole, en s’appuyant sur plusieurs types de représentations plus ou moins détaillées.
Aide à la décision
Les décideurs ont besoin de tableaux de bord et d’indicateurs synthétiques, car, comme l’a rappelé Agnès Langevine, Vice-présidente de la Région Occitanie en charge de la Transition écologique et énergétique, de la biodiversité, de l’économie circulaire et des déchets « en tant qu’élue, ces outils sont compliqués à utiliser… toutes ces cartes et ces couches très utiles aux chargés de mission, ne sont pas simples à interpréter pour l’aide à la décision ».
Elle semble avoir été entendue par TerraNIS qui propose un tableau de bord sur la végétation urbaine, baptisé GreenCity. Sur la base d’un maillage hexagonal, les collectivités découvrent les surfaces végétalisées (obtenues grâce à l’imagerie satellitaire) ainsi que des indicateurs sur la connectivité des espaces verts, la part des espaces privés et publics, sur la surface d’espace vert ou de canopée par habitant, sur leur accessibilité… Elles peuvent même identifier les potentiels de plantation sur certaines parcelles.
Vincent Lecamus d’Immergis mise également sur les tableaux de bord, quand il s’agit de concevoir des mobilités douces. Les équipes du spécialiste de l’acquisition à grand rendement d’imagerie à 360° enfourchent désormais leurs vélos pour parcourir les pistes cyclables existantes et en réaliser une cartographie détaillée. Mais les SIG qu’il met en place pour ses clients incluent bien d’autres données sur les flux, le relief, le réseau routier, les services disponibles (où sont les réparateurs par exemple). La vision imagée permet d’identifier des points noirs et nourrit les tableaux de bord web, qui servent à toutes les étapes, depuis les schémas directeurs jusqu’aux travaux de jalonnement des nouveaux équipements.
Dans le domaine de l’énergie, les données agrégées par maille sur les consommations annuelles diffusées par Enedis aident à affiner les politiques publiques de rénovation énergétique. Ainsi, des études ont été menées sur la thermosensibilité des bâtiments, en faisant le lien entre consommation, bâti (BD Topo) et températures.
Aide à la mobilisation
L’information géographique doit en outre être capable de mobiliser tous ceux qui doivent l’être dans l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Par leur capacité de « mise en récit », les cartes restent des outils importants, comme l’a bien montré le conseil départemental de l’Hérault. Marie Sarre et Philippe Carbonnel ont produit différentes simulations de submersion marine sur deux sites du département selon les scénarios de référence (2030, 2050 et 2100). Croisées avec les enjeux (patrimoine, habitat, activités socio-économiques, installations sensibles, environnement… 13 thèmes ont été étudiés), elles ont servi à générer des indices de vulnérabilité par mailles hexagonales de 100 mètres de côté qui aident les gestionnaires à repenser leurs activités et nourrissent les réflexions sur les stratégies d’adaptation.
À Bastia, c’est une maquette 3D réalisée par IGO qui a permis aux élus de se rendre compte que 20 cm d’augmentation du niveau de la mer pouvait avoir beaucoup d’impacts, comme l’a montré Irène Lescure de BRL Ingénierie.
Si Esri a largement fait évoluer ses logiciels afin d’intégrer toujours plus de fonctions d’analyse, il travaille également cette mise en récit, bien visible dans le succès des story maps, qui prouvent, elles aussi, que les représentations cartographiques peuvent jouer un rôle de mobilisation. « Mettez-en plus dans les bulletins municipaux » a ainsi proposé Jean-Yves Garinet de Magellium.
Encore des données à ouvrir
Les intervenants et participants au débat sur la transition ont posé la question de l’ouverture plus large des données d’intérêt dans la lutte contre le changement climatique. Ouverture des données de l’IGN en cours, publication des données agrégées de consommation électrique, carte en ligne de l’aléa sécheresse ont été saluées. D’autres données pourraient être ouvertes comme SIOUH sur les ouvrages hydrauliques, qui n’est pas disponible sur toute la France. Certaines données pourraient être très utiles pour l’analyse (production énergétique par exemple) mais relèvent du secret des affaires, ce qui pose la question de modes de diffusion agrégés ou de la création de cercles de partage plus fermés entre acteurs de la transition. Les régies locales de données, les portails thématiques ou territoriaux, de plus en plus co-construits sont des maillons essentiels du partage des données, au-delà de l’open data. « La donnée partagée et reconnue est importante, c’est elle qui nous permet d’établir des diagnostics partagés. C’est un enjeu citoyen et de démocratie, insiste Agnès Langevine. C’est comme cela que nous pouvons élaborer des solutions acceptables ».
Partir des usages
Face au déluge d’informations mobilisables, plusieurs intervenants ont insisté sur la nécessité de partir des besoins et des usages, et d’arrêter la course folle à la captation systématique. « Au début de notre expérience sur la ville intelligente, naïvement, on voulait tout capter » a ainsi rappelé Fabien Blasco, directeur de l’innovation à Montpellier Méditerranée Métropole. Aujourd’hui, la métropole mise plus sur la co-construction de services pensés avec les citoyens et les usagers de la ville au quotidien. Mais c’est un travail long, qui nécessite de mettre autour d’une même table « élus, citoyens, chercheurs, entreprises pour construire des stratégies collectives de lutte contre le changement climatique » comme le souhaite Fabien Blasco, ce qui n’est pas toujours facile. « Je n’ai rien contre les POC (preuves de concepts), a insisté pour sa part Hélène de Boissezon, qui en soutient plusieurs au nom du CNES dans le cadre du Space Climate Observatory, mais ils doivent répondre à de vrais besoins, partir des usages, des métiers et non de nos possibilités technologiques ».
La mobilisation des habitants, usagers et citoyens est également devenue essentielle à toutes les étapes. C’est en équipant plaisanciers et véliplanchistes de petits capteurs bathymétriques qu’Inatysco a pu améliorer la calibration des modèles de submersion marine qui ne se nourrissent de ces données ainsi que de données satellitaires. Dans certaines villes, Immergis organise des carto-parties pour repérer les zones propices à la création de nouvelles pistes cyclables.
Multi-échelle mais pas toujours en cohérence
Acquise par des drones, des avions, des satellites, des téléphones portables ou via de grandes enquêtes statistiques, l’information géographique se décline à toutes les échelles, mais pas toujours de façon uniforme. « Quand nous avons voulu travailler sur la réduction des déchets en Occitanie, nous n’avions pas de données homogènes sur la région, s’est désolée Agnès Langevine. Idem pour le travail sur la ressource en eau. » Les données détaillées restent trop souvent parcellaires et plusieurs intervenants du débat ont insisté sur la nécessité des décloisonnements entre communautés, de la mise en place de méta-observatoires qui permettent d’avoir une vision à la fois détaillée et générale, capable de transcender les thématiques classiques. Se pose également la question de l’articulation des données disponibles avec les différents niveaux de planification. « Les intercommunalités font leurs plans climat, les régions aussi, la France a sa feuille de route, mais nous n’avons rien pour savoir si nous sommes dans les objectifs » a insisté l’élue régionale.
« Les questions complexes liées à la transition exigent des données géographiques plus évoluées, plus diversifiées, plus actualisées, plus précises et des outils plus adaptés pour en faciliter l’usage effectif » résume Magali Stoll, directrice des programmes et de l’appui des politiques publiques de l’IGN. Encore un bel appel à l’innovation technologique en géomatique, mais qui ne doit pas oublier au passage de prendre en compte sa propre empreinte écologique. Un sujet que l’édition 2020 n’a pas eu le temps d’aborder… Rendez-vous l’an prochain ?