Géomatique dans les espaces naturels : de briques et de broc
Catégorie: Cartographie, Données, Entreprises, Environnement, Institutions, Logiciels, Matériel/GPS, Open Data, Reportages, Utilisateurs, WebMapping
Mesurer l’évolution des vergers, faire découvrir la biodiversité de nos campagnes aux jeunes générations, compter les tortues d’un étang, développer le tourisme alternatif en milieu rural… les espaces naturels génèrent chaque année des millions de données géographiques. Avec peu de moyens, les géomaticiens mettent en place des briques de systèmes d’information, qui s’assemblent progressivement, tant bien que mal.
Il en faut du monde pour protéger les espaces naturels ! Des grands organismes comme le Museum d’histoire naturelle, aux plus petites associations de défense de telle ou telle chauve-souris, en passant par les DREAL, les parcs naturels, les conservatoires, les réserves, sans oublier un réseau d’entreprises militantes et des milliers d’amateurs… un écosystème complexe produit chaque jour les données qui apportent la connaissance essentielle à toute protection. Réunis par l’ATEN début juin, les géomaticiens des espaces naturels sont au cœur d’une chaîne d’information complexe. Ils font preuve d’une bonne dose de pragmatisme pour faire vivre ce patrimoine de données en perpétuelle construction.
Beaucoup d’open source
La diversité des structures s’accompagne d’une grande diversité de moyens, mais rarement pléthoriques ! Il y a bien quelques licences ArcGIS pour mener des traitements complexes et des analyses approfondies. Mais en matière de saisie, de production cartographique de base, de diffusion et de partage… ce sont les outils open source qui dominent. QGIS tient la tête, suivi par R pour les besoins statistiques, complétés par des développements à partir de briques open source. Au parc naturel régional (PNR) Normandie-Maine, la cartographie interactive grand public se fait sous Google Maps, les cartes techniques exploitent Carmen, le SIGWeb de diffusion du ministère de l’Écologie, tandis que les observatoires s’appuient sur différentes plateformes open source telles que GeoTrek (développé avec l’aide de Makina Corpus). Les analyses SIG sont réalisées sous ArcGIS ou QGIS et un site Web a été développé pour suivre l’évolution des vergers. Basé sur Leaflet et les données fournies par GéoBretagne, il présente en deux fenêtres interactives l’évolution du nombre de vergers entre 1950 et 2010, dont la surface a chuté de 73 %.
Beaucoup de stagiaires
Pour développer des chaînes de traitements et des interfaces adaptées à leurs missions, ce sont souvent des stagiaires qui sont mobilisés. Ainsi, les conservatoires botaniques nationaux ont fait développer un plug-in QGIS par quelques étudiants ingénieurs spécialisés en géomatique et réseau (ESIPE-MLV) afin de faciliter la production de séries de cartes statiques, nécessaires par exemple au rapportage INSPIRE. Les stagiaires y ont ajouté une cartothèque Web (réalisée avec Elastic Search) qui permet aux onze conservatoires de retrouver en ligne leurs productions. Un outil, baptisé PlantMap, « facile à utiliser et à administrer, robuste et capable de produire des centaines de cartes, peu coûteux et partageable » se félicite Thomas Milon de la Fédération des conservatoires botaniques nationaux. C’est également un stagiaire en BTS, Thibault Romanin, qui a développé en deux mois GeoSites, une application Web open source pour publier l’inventaire du patrimoine géologique du parc national des Écrins. En effet, cet inventaire national, mené par la DREAL avec l’aide du BRGM, se présente principalement sous la forme de fiches PDF, difficilement manipulables. Le jeune géomaticien a constitué une base PostGIS reprenant l’ensemble des documents (répartis sur 55 bases de données pour le seul parc) et a développé une interface d’accès simple (Leaflet) exploitant différents fonds cartographiques (Google Maps, OpenStreetMap, Geoportail).
Beaucoup de briques
« Le code est publié sur Github et il est le plus générique possible, afin d’être facilement réutilisable, précise Camille Monchicourt du parc des Écrins. Il va par exemple nous servir pour présenter le petit patrimoine bâti. » L’application elle-même réutilise des développements qui ont déjà été réalisés dans les différents parcs nationaux. La modularité des développements, le codage sous forme de paramètres d’un maximum d’éléments, l’attention à la documentation et à l’animation… sont des clés essentielles de cette réutilisation. « Il faut également faire attention à ne pas s’enfermer dans le sujet que l’on traite quand on conçoit le modèle conceptuel de données, rappelle la géomaticienne. Enfin, on essaye soit de faire du SIG, soit de faire du Web, mais pas du WebSIG qui nous semble un peu bâtard. »
Même si les nombreuses ressources développées commencent à former une infrastructure à la fois « lâche » et riche, elles ne peuvent tout résoudre. La mise à disposition d’outils qui scannent et génèrent des fiches de métadonnées pré-remplies à 80 % aux normes INSPIRE, pouvant ensuite être moissonnées par les grands catalogues, n’est pas suffisante pour faire décoller leur saisie dans les parcs naturels nationaux. « Pourtant, remarque Bruno Lafage, en charge de la géomatique à la fédération, les parcs sont volontaires pour partager et ouvrir leur patrimoine de données géographiques. Et que dit la directive INSPIRE ? Exactement la même chose ! » À ses yeux, il est urgent que les parcs replacent le catalogage au centre de leur mission de gestionnaire de données, une tâche qu’ils ont encore du mal à appréhender.
Car ces acteurs des espaces naturels, aussi variés soient-ils, se trouvent impliqués dans la constitution des grandes infrastructures nationales comme l’inventaire national du patrimoine naturel par exemple. Certains animent la saisie locale, d’autres produisent directement des données ou les assemblent. Assurer cette remontée d’information n’a rien de trivial comme l’ont très bien montré Emilia Buenaventes des réserves naturelles de France (RNF) et Mathieu Bossaert du conservatoire d’espace naturel (CEN) du Languedoc-Roussillon lors du forum TIC ATEN. Réserves et conservatoires disposent de leurs propres outils de saisie, de leurs modèles de données plus ou moins structurés, animent des réseaux d’associations, ils ont des statuts différents, etc. Et pourtant, les deux sont essentiels à la connaissance de la biodiversité. Assurer la bancarisation des données, leur formatage, vérifier leur géolocalisation et leur cohérence, prendre en compte les restrictions de diffusion imposées par les partenaires locaux… un important travail a été réalisé pour intégrer quelque 3,7 millions de données valides, qui ont permis à l’INPN de découvrir pas moins de 7 000 nouvelles espèces (champignons et insectes principalement).
Aller jusqu’au grand public
OpenStreetMap apparaît comme un outil privilégié pour développer des démarches participatives, d’autant que le modèle de données peut facilement être adapté via les tags et leurs attributs. Mais les géomaticiens et chargés d’études sont les premiers à reconnaître que la plateforme n’est pas facile à prendre en main pour un amateur de nature sans culture informatique particulière. Et comme c’est cette population qu’il est intéressant de mobiliser pour améliorer la connaissance de la biodiversité, des développements s’avèrent nécessaires. Au PNR Normandie-Maine, c’est la société Iggdrasil qui a mis en œuvre Chimère, une application en ligne open source qui facilite la saisie de données sur les vergers pouvant être rapidement intégrées dans OSM. Car l’équipe du parc manque de moyens humains pour mettre à jour et enrichir son inventaire de 2010. Elle espère ainsi pouvoir solliciter ses partenaires (propriétaires de vergers par exemple) pour faire vivre son observatoire tout en reversant une partie des données (non nominatives) dans OSM. Et c’est encore un stagiaire (de l’Institut de Géographie Alpine) qui a conçu la maquette d’une petite application pour le conseil de développement du PNR des Préalpes d’Azur. Elle permet aux animateurs (eux-mêmes totalement néophytes en cartographie) qui souhaitent développer un tourisme itinérant misant sur les déplacements doux, de disposer d’une cartographie minimale du territoire. Une base essentielle lors des cartoparties, qui offre également aux habitants mobilisés une visualisation rapide du fruit de leurs efforts.
La mobilisation du grand public est essentielle à la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles. C’est d’ailleurs un des domaines où les sciences participatives sont le plus développées. Là encore, les géomaticiens doivent être capables de mieux comprendre les attentes des amateurs, même s’ils n’ont pas pour mission de développer seuls des applications grand public. Des entreprises spécialisées sont là pour les aider, comme l’ont réaffirmé plusieurs intervenants (Natural Solutions, ENEO, Iggdrasil).
Un Mooc botanique |
Avec plus de dix mille inscrits fin juin, le MOOC botanique lancé par Tela Botanica et ses partenaires le 5 septembre dernier est d’ores et déjà un succès. En sept semaines et à raison de 2h hebdomadaires, les participants y apprennent à différencier les espèces, à remplir un carnet d‘observation à l’aide de vidéos et d’exercices pratiques… concoctés par une quinzaine d’experts du monde entier. Une initiative qui développera le réseau des contributeurs, espérons-le. |
- Pour accéder directement aux présentations du dixième forum TIC des espaces naturels organisé par l’ATEN, suivez ce lien