La carte perd une légende
Catégorie: Cartographie, Formation, Institutions, Portraits
Avec la disparition de Michèle Béguin, décédée le 12 mars dernier, c’est tout le monde de la cartographie qui est en deuil. Infatigable formatrice de générations de cartographes puis de géomaticiens, elle a su transmettre sa passion des cartes avec humour et bienveillance.
Difficile de faire le compte des cartographes et géomaticiens qui sont passés entre les mains de Michèle Béguin. Entre ses premiers cours à la Sorbonne, la fondation et la direction du DESS de cartographie thématique puis du master Carthagéo, ce sont sans doute plus de cinq cents personnes qu’elle a initiées à l’art cartographique.
Cartes en main
Du lointain Vietnam où elle est née, elle a sans doute gardé cet amour des voyages, qu’elle n’aurait ratés sous aucun prétexte. Tous les départs étaient bons à prendre, surtout quand il s’agissait d’accompagner ses étudiants. Ils l’ont menée du Brésil à la Jordanie, du Québec à la Tunisie en passant chaque année par Saint-Dié-des-Vosges. De sa terre bretonne, elle a hérité le goût des bonnes choses, un art de vivre simple où l’amitié et la convivialité figuraient tout en haut de la liste. Chacun connaissait sa bonne humeur, sa capacité à se moquer d’elle-même et à rire de tout.
Michèle Béguin a également été une cartographe d’importance. C’est Aimé Perpillou qui a inspiré sa thèse sur la cartographie des sols. Ardente défenseuse d’une cartographie claire, lisible par tous, sans mensonges ni chichis, elle est intervenue dans la rédaction de nombreux atlas. À l’heure de l’informatique et du numérique, elle s’est battue pour que les SIG n’oublient pas les règles de la sémiologie, et que les cercles proportionnels le soient vraiment. Car pour Michèle Béguin, les cartes étaient puissantes, et leurs auteurs devaient en avoir conscience.
Au service de la transmission des savoirs
Dès ses premières années d’enseignement, Michèle Béguin a choisi son camp, celui de la transmission. Totalement investie dans cette école de cartographie qui l’avait accueillie à la fin des années soixante, elle l’a accompagnée jusqu’à en faire le master Carthagéo, aujourd’hui sous la triple tutelle de l’université de Paris 1, Paris 7 et de l’ENSG. Son ouvrage La Représentation des données géographiques, écrit en collaboration avec Denise Pumain, sa complice de toujours, reste un manuel de référence. Elle a su maintenir cet art délicat de l’enseignement alors que la cartographie est passée en quelques années du tire-ligne à la souris, de l’atmosphère secrète des cabinets de curiosités réservés à quelques initiés à l’exposition fulgurante des globes virtuels. Elle reconnaissait elle-même avec humilité ne pas tout comprendre aux SIG. Mais cela ne la gênait pas. Elle avait bien compris l’importance d’une bonne maîtrise des outils, qu’elle a organisée, tout en continuant à enseigner les principes de la cartographie aux futurs géomaticiens.
Le véritable Facebook de la cartographie
Même si elle n’a pas signé des dizaines d’articles scientifiques, Michèle Béguin a beaucoup fait pour la cartographie, et cet apport a traversé les générations et les outils. Car toutes celles et ceux qu’elle a passionnés et formés avec rigueur composent aujourd’hui un vivier exceptionnel, et, pourrait-on dire, une diaspora colorée. Michèle Béguin les a accompagnés vers toutes sortes de carrières : chercheurs, professeurs, cartographes de presse, responsables géomatiques dans des entreprises ou des organismes publics, créateurs d’entreprises, commerciaux ou responsables de formation chez des éditeurs de SIG… Il paraît même que certains sont devenus journalistes ! Elle était fière de chacun de ses étudiants, quel que soit son parcours, même apparemment tortueux. À l’aide de son petit carnet (qui aurait sans doute sa place au département des cartes et plans de la BNF qu’elle adorait tant), elle suivait la carrière de chacun mais également sa vie familiale. Et elle n’a jamais commis la moindre erreur.
Son énergie, son humour et sa force n’ont pas été suffisants pour vaincre la maladie qui l’a emportée en quelques mois. Mais son œuvre est là, bien vivante, dans les nombreux souvenirs qu’elle a laissés à toutes celles et ceux qui ont eu la chance de la rencontrer.
Repères | |
1942 : | Naissance à Hué au Vietnam |
1967 : | Diplôme de l’École supérieure de cartographie géographique |
1972 : | Premiers cours à l’université de Paris I |
1975 : | Thèse sur les problèmes de méthode et d’échelle dans la cartographie de l’utilisation des sols, sous la direction de Fernand Joly, et fondation du DESS de cartographie thématique de Paris I avec Daniel Noin |
1989 : | Publication de l’Atlas de la France rurale, agricole et forestière par l’INRA |
1994 : | Parution de la première édition de La Représentation des données géographiques, co-écrit avec Denise Pumain chez Armand Colin |
2002 : | Michèle Béguin est nommée chevalier de la Légion d’honneur |