De nouvelles solutions pour intégrer les flux piétons dans vos analyses géographiques
chapitre II : Rapprochement avec les SIG
Catégorie: Cartographie, Données, Entreprises, Logiciels, Marché, Mobilité, Reportages, Réseaux/Transports
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Après avoir détaillé comment les flux piétons sont captés grâce à nos téléphones portables, voyons comment ils sont modélisés et intégrés dans les SIG.
Précautions d’usages nécessaires
Les entreprises qui proposent des mesures des flux piétons restent très discrètes sur les applications sur lesquelles elles s’appuient, ainsi que sur leurs méthodes de redressement, ce qui limite leur utilisation par certaines sociétés d’études. « Nous nous intéressons à cette approche depuis plusieurs années, explique par exemple Fabrice Phelep d’Ellipsa, qui réalise des études de performance locale pour ses clients. Mais chacun a sa manière de modéliser et de redresser les données, nous ne récupérons que des données agrégées avec un effet trop « boîte noire » pour l’instant. Nos clients ont besoin d’être rassurés. » Car nous sommes bien ici dans le big data. Chez Mytraffic, ce sont plus de mille algorithmes qui sont utilisés pour assurer le nettoyage, le redressement et la mise en cohérence des données. Même très détaillés, les comptages donnent une fausse impression de précision. Aussi, l’exploitation des données doit plutôt se faire sur la base d’indices et de tendances (types de fréquentation, évolution au cours de la journée, de la semaine ou du mois, etc.).
La différenciation entre flux piétons, en vélo, en transport en commun ou en voiture est un véritable défi, et s’appuie sur la séparation des flux selon la vitesse des déplacements, leur longueur, les types d’arrêt… mais sans méthode qui fait réellement consensus. À ce jour, seul Asterop présente une séparation des types de flux.
Intégration dans les SIG : les nouvelles offres
Lancée officiellement en octobre 2020, l’offre Mob’n Flux a été construite par Asterop avec les données de Vectaury. Disponible sous forme de base de données et d’API directement exploitable dans Asterop Analyzer, Mob’n Flux différencie flux piétons et automobiles. Au mois, à la semaine, au jour, à l’heure… le nombre de passages et d’individus devant une adresse est comptabilisé. La provenance (Iris de provenance avec distinction des lieux de résidence et de travail) permet de définir un profil socio-démographique (sexe, âge, catégorie socio-professionnelle) des passants. « Nous cherchions à intégrer ce type de données depuis dix ans, explique Gérard Dahan PDG d’Asterop. Et il y a deux ans d’expertise et de discussions derrière notre partenariat avec Vectaury, dont nous n’exploitons qu’une partie des données. » Nettoyage des données aberrantes, exclusion des zones avec trop peu de données, croisement avec les données de tronçons… l’éditeur spécialisé dans le géomarketing a fait tout un travail de packaging technique avant de commercialiser Mob’n Flux.
Après avoir testé différents fournisseurs, Esri a choisi, pour sa part, d’exploiter l’API de Mytraffic (utilisée par exemple par SeLoger.com pour les bureaux et commerces) afin d’intégrer les flux piétons à son catalogue de données et géo-services.
Proposée sous forme d’un pack découverte aux utilisateurs ArcGIS Online, l’offre leur permet d’étudier une dizaine de points géolocalisés et d’accéder à une dizaine d’indicateurs, en partie issus du croisement avec les données socio-démographiques déjà au catalogue de l’éditeur. Ici encore, un gros travail d’analyse et de validation (via des comptages manuels) a été effectué.
Exploitation des données Mytraffic sous ArcGISÀ noter que Precisely (éditeur de Mapinfo depuis le rachat de l’activité à Pitney Bowes) travaille à l’international avec Unacast mais ne dispose pas de flux piétons sur la France à ce jour.
Exemples d’analyse
En géomarketing, la prise en compte de la réalité des passages (à la fois d’un point de vue quantitatif et qualitatif) peut être mobilisée dans de nombreuses études : potentiel d’un futur point de vente (d’une agence bancaire à un point de distribution de journaux gratuits à la sortie du métro), compréhension de sa performance, enjeux de cannibalisation entre deux points de vente, mais également adaptation de la communication visuelle en fonction des profils des passants.
« Les flux piétons nous intéressent, confirme Jean-Jacques Jesua du groupe La Poste. Nous avons testé Flux Vision d’Orange mais ce n’était pas adapté à nos problématiques, car l’offre ne mesure que des masses très agrégées. Nous testons d’autres solutions afin de répondre à des questions liées à l’évolution du réseau de nos 17000 points de contacts. SI nous fermons un bureau de poste en ville pendant plusieurs mois pour travaux, les clients vont-ils revenir ? Entre deux partenariats possibles pour créer un nouveau point de contact, lequel choisir ? Ces données pourraient nous aider à aménager nos horaires… ». Mais La Poste envisage également des usages au-delà de ses besoins internes. Ainsi les données Mytraffic sont expérimentées afin d’intégrer des indicateurs de flux dans sa plateforme Géointelligence des territoires (flux piétons réguliers et comparaison avec les flux à un instant t) et permettre par exemple à une collectivité de mesurer l’impact de telle ou telle animation commerciale.
Ces flux piétons donnent une image bien moins théorique des zones de chalandise, ce qui intéresse nombre d’entreprises. Au lieu d’analyser la population résidente ou travaillant sur un rayon autour du point de vente ou de service, ces données de flux mettent à jour des géographies de l’attractivité bien plus complexes, liées aux déplacements effectifs.
« Nous avons besoin d’une forte densité de population pour que notre modèle économique fonctionne, rappelait David Moulin, directeur du développement France de Mr Bricolage lors d’un webinaire organisé par Asterop et Vectaury. Nous avons besoin de bien modéliser les flux nomades. Cela nous rassure et nous permet d’être plus positifs en termes d’études, au-delà de la seule densité de population. Avec ce type de données, nous pouvons envisager des points de ventes dans quartiers encore peu exploités. Ces flux réels peuvent en outre être des éléments de négociation précieux vis-à-vis de certains bailleurs. »
Mais les entreprises ne sont pas les seules à s’intéresser à ce type de données. Ainsi, Arras a utilisé les données Mytraffic dans le cadre d’une étude de fond sur l’attractivité de la ville. Jérôme Fuseau de l’agence d’urbanisme de Bordeaux, utilisateur ArcGIS, a fait des tests sur une grande rue commerçante dans le cadre d’une étude sur l’intensité urbaine. En rendant visibles les micro-déplacements et en les qualifiant, ces données peuvent enrichir les études sur l’organisation de l’espace public des déplacements telles que la mise en place de pistes cyclables, l’élargissement de trottoirs ou le déplacement d’arrêt de transport collectif. Parce qu’elles s’appuient sur des données réelles, elles permettent en outre de mesurer l’impact de tel ou tel aménagement, de telle ou telle animation, comme le décrit Félix Motot de Kisio Lab dans un article paru sur Medium en juin dernier, qui étudie plusieurs cas d’usages.
Mais avant, on faisait comment ?
Si les solutions exploitant les données récoltées par les SDK ont aujourd’hui le vent en poupe, elles viennent enrichir et compléter d’anciennes solutions, bien connues des analystes des situations locales. Ainsi, Affimétrie (devenu Mobimétrie) a régné en maître pendant des années sur le marché de l’affichage en analysant la visibilité des grands panneaux publicitaires via des enquêtes de terrain (sondages) couplées à des redressements statistiques.
Flux Vision d’Orange offre également des informations sur les fréquentations par les piétons de tel ou tel territoire, enrichies d’informations sur leurs profils, mais à une maille incompatible avec les analyses de zones de chalandise.
Le comptage manuel, grâce à des enquêteurs postés en différents endroits stratégiques pendant plusieurs heures, est une solution efficace quand il n’y a pas trop de passage. En effet, avec environ 20 % d’erreur au-delà de 2 000 piétons à l’heure, ces comptages ponctuels ne permettent pas de comprendre le trafic piéton devant une gare par exemple. Des capteurs laser ou infrarouge peuvent remplacer les humains. Ce type de solution est par exemple utilisé par les collectivités afin d’évaluer le trafic dans un centre-ville à revitaliser. Si la mesure peut alors s’effectuer pendant plusieurs semaines en continu, la mise en place reste onéreuse, nécessitant alimentation électrique et entretien. De plus en plus, ces capteurs sont remplacés par des caméras dont la partie logicielle assure le comptage. Là encore, la solution revient assez cher et son efficacité diminue si la densité de passage devient trop importante, comme le rappelait un article paru sur le blog de Roofstreet en 2020. De plus, ces méthodes ne donnent aucune information sur qui passe ni sur les parcours effectués (d’où viennent les passants et où vont-ils ?).
Retrouvez la première partie de ce reportage ici