Observation de la terre par satellite : le maillon territorial s’impose
Catégorie: Données, Entreprises, Imagerie, Institutions, Marché, Reportages, Satellite/Spatial, Utilisateurs
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La multiplication des capteurs, la disponibilité de données fiables et pas chères, le développement de processus d’analyse quasi automatiques, l’engouement pour l’image et la 3D… autant de facteurs qui démocratisent progressivement l’imagerie satellitaire. Mais le chemin est encore long pour mettre ces ressources au service des territoires.,
L’Union Européenne a prévu de dépenser 13 milliards d’euros sur le spatial sur la période 2014-2020. La constellation Sentinel, développée dans le cadre de Copernicus, produit des Téraoctets de données gratuites chaque jour. Théia et Geosud permettent aux collectivités et aux organismes ayant une mission de service public d’accéder à des données Pléiades et SPOT gratuitement. Le plan satellitaire facilite l’accès pour les services de l’État. Les producteurs et éditeurs privés (Airbus Defense & Space, Digital Globe, mais également Esri) proposent des services de streaming simples à intégrer. Malgré toutes ces mesures (et bien d’autres), les images satellitaires restent peu utilisées par les professionnels des SIG, notamment ceux qui travaillent dans les collectivités. Le diagnostic est un peu le même à chaque colloque, et le dernier forum AppSpace, organisé du 17 au 19 octobre à Rennes, n’a pas échappé à la règle.
Des usages existent
Dans certains secteurs liés aux services publics, les images satellites sont déjà largement exploitées. CLS s’appuie sur une constellation de satellites pour assurer ses services de surveillance maritime, d’études de risques pour l’implantation de câbles sous-marins, de suivi des pêches illégales. Predict Services envoie des informations de prévention des risques quasiment en temps réel à la moitié des communes en France. Un service impossible sans imagerie satellitaire couplée à l’information météorologique. La possibilité d’obtenir régulièrement des images des sols en hiver est un atout précieux pour lutter contre les risques de pollution à Lannion-Trégor.
C’est bien l’usage dans les territoires qui semble à la traîne. Ces derniers n’ont pas toujours été au centre des préoccupations de ceux qui ont conçu les programmes spatiaux. Environnement, agriculture, sécurité, défense… sont depuis plusieurs années les grands thèmes qui président à la définition des capteurs et des modes d’accès. Quelle utilité pour les territoires européens (et à plus forte raison français), de disposer d’images satellitaires de moins bonne résolution que celles qui peuvent être acquises par avion ou par drone ? L’IGN a fait quelques expérimentations sur l’utilisation d’images Pléiades pour mettre à jour sa BD Ortho… mais qui n’ont pas été généralisées.
Il y a pourtant des usages, notamment dans la constitution de bases de données d’occupation du sol, qui sont devenues des outils importants pour les collectivités. Le besoin d’indicateurs récurrents, d’études diachroniques, s’appuie de plus en plus sur l’imagerie spatiale, qui a su évoluer en termes de résolution spatiale et temporelle. Il est vrai que dans ce cas, ce ne sont pas les collectivités elles-mêmes qui exploitent les images, mais les sociétés spécialisées avec lesquelles elles travaillent.
Mobilisation autour des territoires
La commission européenne et le CNES ont désormais bien compris l’importance des territoires régionaux dans la démocratisation des usages du spatial. Là encore, les dispositifs se multiplient, au risque de brouiller parfois la vision. Institut InSpace, Boosters, réseau Nereus, ESA BIC, Kalideos… si chaque structure a sa spécificité, toutes partagent un même objectif : développer les usages de l’imagerie spatiale en associant entreprises, recherche et territoires. Au printemps dernier, le CNES a par exemple signé une lettre d’intention avec six régions (dont la Bretagne qui accueillait le forum AppSpace) afin de faire émerger des territoires d’expérimentations pour le développement satellitaire. L’agence spatiale travaille également à l’intégration de l’imagerie spatiale dans le catalogue de l’UGAP. Un bon moyen de faciliter la commande publique.
Indicateurs, reporting, monitoring… plus besoin d’images
Mais les applications spatiales ne se développeront pas sans intermédiaires pour les transformer en « solutions », en « applications », en services. Les géomaticiens n’ont pas vocation à calculer des indices de végétation, même s’il reste important de développer des compétences en télédétection dans de nombreux cursus thématiques et géomatiques, comme l’ont rappelé les participants à la table ronde sur la formation.
Pour faciliter l’émergence d’entreprises, développer un écosystème viable au service des acteurs du territoire, voire du grand public, les acteurs institutionnels sont également à la manœuvre. Là encore, les dispositifs de soutien sont nombreux et il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans la jungle des financements, concours, appels à intérêt, même si certaines régions, comme la Bretagne avec son GIS BreTel, se positionnent comme facilitateurs et aiguilleurs vers les bons guichets.
Demain, y aura-t-il un brin de traitement d’images satellitaires dans le tableau de bord du maire comme Il y en a déjà dans ceux des agriculteurs ? L’avenir du satellitaire est-il dans le monitoring, désormais possible grâce à la répétitivité des acquisitions ? De jeunes entreprises s’y attellent, comme Kermap, né lors du hackathon Act In Space 2016, spin off du laboratoire LETG2 de Rennes, lauréat de nombreux prix (Airbus Global Earth Observation challenge, IGNFab, ESA EOEI…). Kermap utilise l’apprentissage profond pour produire différents indicateurs, par exemple autour de la nature en ville (confort des habitants, impact climatique…). Citons également GeoSigWeb qui travaille (dans le cadre d’un programme de R&D avec le CNES et ATOS) sur un indicateur de consommation des réserves foncières dans les zones d’aménagement à base d’imagerie Sentinel.
De l’idée au marché
Mais ces bonnes idées ont-elles un avenir économique ? Le marché français est sans doute suffisant pour des offres de services ciblés, qui impliquent une part importante de travail à façon pour chaque client. Mais pour construire des offres commerciales très packagées, c’est sans doute le marché européen qu’il faudra viser et là, c’est une autre histoire.
Les dispositifs actuels sont très actifs sur la détection d’idées et l’accompagnement des premières heures. Ils contribuent à faire émerger des startup originales, qui repoussent d’autant l’échéance de la rentabilité. Mais quand vient l’heure de passer à l’échelle du marché, elles sont souvent mal armées. « Dans les programmes de R&D, on pense le commercial à la fin, insiste Laurent Clergue, fondateur de GeoSIgWeb. Les PME ont une autre vision, elles ne vont vers des développements que s’il y a un marché possible. »
Sortir du cadre
Aussi sympathique qu’il soit, un forum comme AppSpace fonctionnait avant tout comme un « entre soi », entre les nombreux intervenants, les vieux routiers du spatial et quelques dizaines d’étudiants du secteur. « Jusqu’ici, il y a eu beaucoup d’échanges entre experts. Nous avons besoin de nous adresser à une communauté beaucoup plus large, jusqu’au citoyen, note Fabrice Phung, chef du projet Geobretagne à la DREAL. C’est également une question de vocabulaire. Ce qui fait le lien, c’est le numérique. La référence, c’est Google Maps ». Celles et ceux qui ont pu découvrir les nombreux avantages du spatial pour développer leur business ou mieux servir leur communauté se comptaient sans doute sur les doigts de la main. C’est aussi de ceux-là dont le spatial a besoin s’il veut faire émerger des acteurs européens capables de s’imposer sur un marché mondial nettement dominé par les États-Unis. Reste à trouver les moyens de les intéresser.
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Le Forum AppSpace Bretagne s’est tenu du 17 au 19 octobre au pôle numérique de Beaulieu (Rennes) par le CNES, inSPace Institute, le GIS Bretel, le booster Morespace avec le soutien de la région Bretagne.