Overture Maps : la carte du futur et la crise d’adolescence d’OpenStreetMap
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par Florian Lainez, contributeur OpenStreetMap et CEO de Jungle Bus
La récente création de la fondation Overture Maps, plus qu’une alliance de tous contre Google Maps, adoube définitivement OpenStreetMap comme le socle commun de la carte du futur. Un train que les Européens seraient bien inspirés de ne pas manquer.
C’est par un communiqué de presse de la Linux Foundation qu’a été faite l’annonce de la création d’Overture Maps, association de Meta (ex-Facebook), Microsoft, Amazon et TomTom pour créer la carte du futur. Il s’agit plus précisément d’une base de données cartographique commune, basée avant tout sur les données open data d’OpenStreetMap (OSM).
Cette alliance est tout d’abord une mesure pragmatique : la masse critique nécessaire pour cartographier et surtout garder à jour la cartographie du Monde est si élevée que la collaboration est désormais nécessaire pour tout acteur n’ayant pas la taille de Google ou Apple. Et les données OpenStreetMap en sont devenues l’irremplaçable pivot.
Or ces données sont le fondement des ambitieux projets de Métavers de Meta ou de la smart map pensée par TomTom et permettent de booster l’offre commerciale des services Cloud d’Amazon et de Microsoft, respectivement AWS et Azure. Créer un socle cartographique commun fiable révèle donc un intérêt partagé par chacun de ces acteurs.
Tuer Google Maps et plus encore
Cette alliance est aussi une mesure stratégique : Overture vise à l’évidence à rivaliser avec l’omniprésent Google Maps et avec Apple Plan.
C’est également un moyen de couper l’herbe sous le pied des potentiels nouveaux arrivants sur le marché. Après tout, le chinois Huawei ou encore le français Qwant basent également leurs cartes, respectivement Petal Maps et Qwant Maps sur des données OpenStreetMap.
Or Overture est pensé comme un OSM enrichi. TomTom adjoindra ainsi ses nombreuses données collectées via les capteurs de l’IoT et en premier lieu ceux des nombreuses voitures équipées de sa solution, notamment auprès de ses clients Stellantis, Volkswagen ou encore Uber. La collecte de données des véhicules paraît en effet essentielle pour disposer d’une carte en temps réel. TomTom vise donc à contrecarrer Android Auto de Google ou encore Here Maps, racheté en 2015 par un consortium constitué d’Audi, de BMW et de Daimler.
Conscient de jouer sa survie, TomTom opère un véritable virage à 180°. L’ouverture et la collaboration marquent ainsi pour le Néerlandais l’avènement de ce qu’il n’hésite pas à nommer « TomTom V2 ».
Cette alliance est enfin l’aboutissement logique d’un long processus : les concurrents de Google Maps investissent depuis des années OpenStreetMap afin d’en exploiter les données directement dans leurs produits internes.
Au-delà du développement de nombreux outils utiles à la communauté OpenStreetMap (comme RapiD) ou du soutien de projets d’ingénierie essentiels (comme MapLibre), les « AFAM » — c’est-à-dire les GAFAM sauf Google — réalisent des projets de cartographie assistée par IA (comme Map with AI) permettant d’améliorer drastiquement les données. Ils rachètent également des services connexes, comme Mapillary, le street-view libre acquis par Meta en 2020. Ils fournissent des données retravaillées prêtes à l’emploi, comme la distribution Daylight de Meta.
Nul doute que la majorité des centaines d’ingénieurs de ces firmes qui contribuent aujourd’hui directement à OpenStreetMap sera progressivement réassignée à Overture.
Si l’on rajoute à cela un ticket d’entrée pour intégrer le conseil d’administration de la nouvelle fondation s’élevant à 3 millions de dollars par an et une ambition d’impliquer de nombreux acteurs privés comme publics, tout laisse à penser qu’un point de bascule sera prochainement atteint.
En particulier, un effet de bord prévisible est de pousser un écosystème de partenaires dont la donnée géographique n’est pas le cœur de métier vers l’open data. Yelp, Booking … seront pourraient être incités à partager plus largement leurs données afin d’en récolter les fruits à leur tour.
La crise d’adolescence d’OpenStreetMap
L’absence dans l’alliance de la fondation OpenStreetMap — qui a été mise devant le fait accompli — acte sa relégation comme simple fournisseur d’une base de données upstream. Désormais, le monde entier utilisera en effet les données OSM mais ce sera via sa vitrine grand public, Overture, un écosystème contrôlé directement par les membres du consortium.
La communauté OpenStreetMap se retrouve de facto marginalisée, qui plus est par le biais de la fondation Linux qui a servi dans l’opération de faire-valoir auprès des libristes.
OpenStreetMap n’a pas su — ou voulu — créer les indispensables alliances dans sa récente phase d’explosion d’activité. Le projet collaboratif n’a également pas mené à bien d’indispensables réformes concernant sa gouvernance, la licence juridique de ses données ou encore l’exploitabilité effective des données.
Trouver sa nouvelle place s’avérera désormais une tâche délicate pour OpenStreetMap pour qui le rapport de force s’est inversé.
Cartographie et souveraineté numérique
Pour tous les développeurs d’applications et de services consommateurs de services cartographiques, disposer de technologies à la demande plus efficaces plutôt que de devoir entrer dans la caverne d’Ali Baba qu’est OpenStreetMap est une avancée certaine.
Nul doute non plus que les acteurs publics dont le paradigme actuel repose encore largement sur leur propre plateforme open data seront largement séduits.
Pour les acteurs européens de la cartographie et du cloud qui subissent l’écrasante domination de Google, cette annonce sonne comme une nouvelle ère où l’accès aux données cartographiques brutes va enfin devenir une commodité.
Néanmoins, rester simple consommateurs d’Overture s’annonce à bien des égards comme une faute stratégique. La majorité des acteurs Européens du numérique qui a jusqu’à présent raté le train d’OpenStreetMap serait tout aussi bien inspirée de repenser sa stratégie liée aux données géographiques.
Car Overture pourrait bien agir comme un pharmakon, tout à la fois remède ou poison selon la dose ingérée. Trop déléguer la gestion de ces données pourtant vitales dans les innovations de ces prochaines années pourrait en effet aggraver la situation de dépendance de tout l’écosystème Européen auprès d’acteurs essentiellement américains.
Auteur :
Florian Lainez, contributeur OpenStreetMap et CEO de Jungle Bus
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Pour en savoir plus :
- Le site officiel de la fondation Overture Maps : https://overturemaps.org
- Communiqué de presse de la fondation Linux : https://www.linuxfoundation.org/press/linux-foundation-announces-overture-maps-foundation-to-build-interoperable-open-map-data