Quand les précaires de la recherche coopèrent
Catégorie: Entreprises, Environnement, Imagerie, Portraits, Satellite/Spatial
Dans quelques jours La TeleScop, spécialisée dans la télédétection spatiale, déposera ses statuts en tant que société coopérative : une première ! Retour sur le parcours de « ces intermittents de la recherche » qui veulent juste continuer à travailler.
Bastien Nguyen Duy, 34 ans, est depuis cinq ans en charge des opérations de la station de réception Geosud de Montpellier. Claire Dupaquier, 29 ans, est arrivée à Montpellier en 2013 pour travailler au laboratoire Tetis (IRSTEA) sur l’occupation du sol du bassin de Thau en tant qu’ingénieure d’étude. Julie Chaurand, 27 ans, est la docteure en écologie de la bande. Elle vient de finir sa thèse au sein du même laboratoire sur la cohérence interterritoriale des trames vertes et bleues. Sophie Ayoubi, 37 ans, est depuis quatre ans la responsable de la communication de Theia, après avoir été chargée de communication web aux Parc Nationaux de France pendant quatre ans également. Outre leur fine connaissance de l’imagerie spatiale et de ses usages, tous ont un point commun sur lequel ils ont eu le temps de réfléchir lors de leurs pauses déjeuner à la Maison de la télédétection à Montpellier : à quelques semaines près, la fin de leur contrat est pour l’été 2018, et il ne sera pas renouvelé.
Précaires institutionnalisés
Car Bastien, Claire, Julie et Sophie (et ils ne sont pas les seuls) n’ont jamais été titularisés et enchaînent les CDD depuis des années. La loi Sauvadet qui devait favoriser leur titularisation après six ans de contrat précaire, se retourne maintenant contre eux. Sans postes ouverts par les établissements publics qui les emploient, ils ne peuvent plus continuer leur mission, alors même que leurs fonctions ne sont pas remises en cause et encore moins la qualité de leur travail. « Les ressources humaines de l’IRSTEA m’ont proposé de me mettre au chômage pendant quatre mois, afin d’échapper aux obligations de la loi Sauvadet, puis de m’embaucher en CDD pour un an, renouvelable » explique Sophie. Mais l’absence de toute perspective d’évolution la fait réfléchir. Elle renchérit : « ça fait 14 ans que j’enchaîne les contrats à durée déterminée, personne ne veut ouvrir de poste en communication, alors que les besoins sont là. »
Le choix de l’économie sociale et solidaire
Que faire ? « Monter une startup, se faire éventuellement racheter par un grand groupe et déposer le bilan une fois la technologie absorbée ? J’ai déjà vu ce que ça donne. Non merci ! » S’insurge Bastien. L’hiver dernier, une émission de France Inter lui donne la solution : monter une société coopérative, une SCOP. Ainsi, chaque salarié est également associé et participe au capital, le dirigeant est élu, les profits qui ne sont pas réinvestis dans l’entreprise sont répartis entre les salariés-associés. « La SCOP nous permet de mutualiser nos compétences, d’être administrativement indépendants et de continuer à faire valoir notre expertise auprès de clients publics et privés » analyse Bastien, désormais gérant pour quatre ans. Grâce aux spécialisations des uns et des autres et à leurs profils très complémentaires, La TeleScop couvre toute la chaîne de valorisation des images satellitaires : acquisition, production, analyse, communication…
Malgré ses avantages (exonération partielle d’impôts sur les sociétés, de contribution économique territoriale), ses valeurs et sa gouvernance démocratique, la SCOP reste peu utilisée dans le domaine technique. En géomatique, IdGéo fait figure d’exception. Quand la petite équipe de La TeleScop a présenté son projet au concours organisé par la chambre régionale de l’économie sociale et solidaire d’Occitanie, elle a été sélectionnée et a permis aux organisateurs de découvrir la précarité de certains ingénieurs de recherche et chercheurs. « Nous avons été accompagnés depuis le début, » se félicite Bastien. Détails du projet, structure, calendrier, financement, contacts avec les banques… à chaque étape l’union régionale des SCOP a été présente et de bon conseil. Début juillet, les trois associés fondateurs vont déposer les statuts de l’entreprise, tandis que Sophie les rejoindra quelques mois plus tard, une fois terminé son contrat.
Déjà, les projets ne manquent pas, tant avec les anciens employeurs qu’avec de nouveaux organismes publics et privés. « Nous avons un lien très étroit avec la recherche et un haut niveau d’expertise, on peut travailler sur des sujets très précis et aider à valoriser les travaux des chercheurs beaucoup plus simplement et rapidement que certains dispositifs officiels » s’amuse Bastien. L’équipe a également bien l’intention de continuer à innover et a déposé un dossier Muse (Montpellier Université d’Excellence) sur la création d’indicateurs de pauvreté à partir d’analyse d’images satellitaires en deep learning. La jeune entreprise sera d’ailleurs sur le village des startups du Toulouse Space Show du 26 au 28 juin, ce qui montre bien la difficulté à faire valoir un autre modèle entrepreneurial.
Pendant que les organismes de recherche continuent à jongler avec des emplois précaires et des temps partiels pour accomplir une part de plus en plus importante de leurs missions, les vacataires s’organisent. L’aventure de La TeleScop pourrait bien attirer d’autres intermittents de la recherche et donner des idées à divers spécialistes de l’information géographique.
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