Sentinel dans l’agriculture, où en est-on ?
Catégorie: Données, Environnement, Imagerie, Logiciels, Marché, Matériel/GPS, Recherche, Reportages, Satellite/Spatial, Services, Utilisateurs
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Avec treize bandes spectrales et un taux de revisite de cinq jours en tout point de la planète, les deux satellites Sentinel-2 du programme Copernicus semblent particulièrement bien adaptés aux problématiques agricoles. Si les données acquises répondent à de nombreuses problématiques, elles ne sont pas toujours simples à exploiter comme l’ont expliqué les intervenants du dernier séminaire AgroTIC.
En 2017, environ un million d’hectares ont été “télédétectés”, d’après l’enquête menée par Nina Lachia, responsable de l’observatoire des usages de l’agriculture numérique, soit environ 5 % de la surface agricole utile nationale. Si la part des drones reste modeste (15 %), Sentinel est encore loin de s’être imposé côté satellite, où SPOT 5, 6 et 7 sont encore largement majoritaires.
Des sentinelles pour l’agriculture
Pourtant, les deux satellites Sentinel-2 (capteurs optiques multispectraux) ont de nombreux atouts à faire valoir. Avec une image acquise tous les cinq jours, il est possible de suivre de près l’évolution des cultures et de détecter tout changement brusque dans le cycle. La richesse radiométrique (qui va jusqu’au moyen infrarouge) permet de différencier les espèces, de caractériser les besoins en eau et les stades de développement. La résolution spatiale (entre 10 et 20 mètres selon les bandes spectrales) est adaptée à la taille des parcelles. De plus, politique spatiale européenne oblige, ce sont des données gratuites, dont la continuité est assurée pour une quinzaine d’années ! La présence de plateformes facilitant l’accès aux données (PEPS du CNES, Copernicus Open Access Hub de l’agence spatiale européenne (ESA), le SEDAS, Amazon Web Service… et bientôt les DIAS), ainsi qu’à des outils génériques et des produits intermédiaires est également fondamentale, même s’il n’est pas toujours simple de s’y retrouver entre les plateformes. Les Sentinel Toolbox de l’ESA, rassemblés dans une interface unifiée (SNAP), réunissent de nombreuses fonctions (détection de nuages, index de végétation, couleurs naturelles…). Notons que le CESBIO (pôle Theia) propose ses propres outils de détection de nuages ainsi qu’une occupation du sol en 17 classes (OSO).
Nombreux sont les professionnels du numérique agricole qui ont intégré les images Sentinel à leur offre. Elles ont par exemple remplacé Landsat et Deimos depuis 2015 dans le service Pixagri (suivi état cultural) de Terranis. Elles offrent aux clients de Geofolia d’Isagri une couche d’information supplémentaire qui répartit les parcelles en cinq classes en fonction du développement végétatif. « Le premier satellite Sentinel-2A a été lancé en juin 2015. Nous avons intégré notre première image en décembre de la même année. Dès avril 2016, nous utilisions les images Sentinel-2 en routine » détaille Cécile Tartarin de Geosys. Les images sont ici utilisées par les assureurs et les coopératives pour identifier des parcelles présentant des anomalies de développement, pour évaluer les dommages après un orage de grêle, etc. Dans le domaine de la vigne, ITK les exploite afin de spatialiser les modèles de rendement.
Des données à apprivoiser
Mais les images Sentinel imposent leurs contraintes. Si une image est acquise tous les cinq jours, elle est rarement sans nuages. En France, même avec les meilleurs algorithmes de détection, dans certaines régions et à certaines périodes de l’année, seules une à deux images sont réellement exploitables, comme l’analyse Charles Henri Colin en charge de la recherche et du développement chez Isagri. Difficile dans ces conditions de garantir un service continu tout au long de la saison culturale et d’être sûr de capter un accident de croissance.
Se pose également la question de la précision des images, qui est de plus de douze mètres actuellement. Mais dès cet été, grâce à l’utilisation de la GRI (tapis d’images bien géolocalisées sur lesquelles seront recalées les nouvelles acquisitions), les images diffusées par l’ESA devraient atteindre une précision de dix mètres, tandis que les séries temporelles (images superposées) pourront être recalées à environ 3 mètres près.
Enfin, les deux satellites, génèrent un flux massif de données auquel les éditeurs de logiciels et fournisseurs de services doivent s’adapter. Comme le rappelle Dorian Ginane de Geomatys, spécialisé dans l’exploitation de gros volumes de données et notamment des données Sentinel (projets Sparkindata, DIAS…), la constellation est dans le peloton de tête des producteurs de big data au monde. Couvrir tout le territoire métropolitain représente 314 TO de données sur un an. Un tel volume change la façon de stocker et d’exploiter des services, afin d’éviter de télécharger ou d’analyser des données inutiles.
Une nouvelle génération de services
Les données Sentinel-2 sont l’occasion de développer de nouveaux services et produits. Ainsi, dans le cadre du CES surfaces irriguées de Theia, le CESBIO travaille sur une cartographie automatique des grands types de culture et des surfaces irriguées. La méthode a été testée sur deux bassins-versants et présente de bons résultats, même si certaines cultures non irriguées sont encore mal différenciées. L’intérêt serait de disposer de cette information très tôt dans la saison culturale et sous une forme facilement compréhensible pour les gestionnaires.
Terranis est en train de finaliser les développements d’AgriSpark, conçu en partenariat avec des industriels, des institutions et des chercheurs qui utilisera entre autres des données Sentinel. Prévision de rendement, préconisations azotées et détection d’anomalies dans le développement des cultures devraient ainsi être proposées sous forme de services commerciaux dès 2019. SMAG développe une plateforme baptisée Big Agro Data, qui assemble différents flux de données et diffuse des indicateurs consolidés sur différentes thématiques. Premier projet concret : Datacrop, qui permet d’effectuer de la prévision de rendement sur le blé à l’échelle de la parcelle en associant données météo, Sentinel-2 et parcellaires (il faut d’abord déterminer un potentiel de rendement en fonction de différents facteurs physiques et économiques). « Notre ambition est de proposer un taux de rendement précis à 95 % à un mois de la récolte » explique Olivier Descroizette de SMAG. Le rendement est calculé à l’hectare puis aggloméré aux parcelles, communes ou aires de récolte des silos, qui sont les premiers clients du service en cours de test.
Xavier Bailleau, agriculteur hors norme et ancien salarié de Geosys, attend également beaucoup des images Sentinel 2 qu’il utilise pour calculer la biomasse présente sur une parcelle, pour piloter ses apports en soufre sur le blé ou en engrais azotés.
Chercheurs, institutions et experts privés ne manquent pas d’idées pour imaginer de nouveaux services grâce aux données Sentinel. Reste à trouver les clients et les modèles économiques qui rendront ces produits viables.
N’oubliez pas le radar |
Même si elles sont moins directement lisibles, les images radar des deux satellites Sentinel-1 peuvent s’avérer très utiles dans le domaine agricole. Elles permettent par exemple de mesurer l’humidité des sols et donc d’isoler la part d’humidité liée au couvert végétal. Associées aux données optiques, elles sont une aide précieuse pour une meilleure caractérisation des sols. |
Theia a produit en 2017 une série de cartes de l’humidité des sols à l’échelle de l’Occitanie en s’appuyant sur l’occupation du sol du CESBIO et le traitement des données Sentinel-1. Un produit intéressant qui pourrait être généré en temps réel. |
Pour aller plus loin :
- Site de présentation du séminaire Agrotic sous ce lien
Vidéos de la journée
- Première partie : https://www.youtube.com/watch?v=8vOcW2TEAzY
- Deuxième partie : https://www.youtube.com/watch?v=0MX_TWkZ510