SERTIT : Un mariage et 30 ans de bilan
Catégorie: 3D, Cartographie, Imagerie, Institutions, Portraits, Satellite/Spatial
Né quelques mois après le lancement du premier satellite SPOT, le Service régional de traitement d’image et de télédétection de l’université de Strasbourg, alias SERTIT, a fêté ses 30 ans le 30 mars 2017. L’occasion de revenir sur l’histoire mouvementée d’une structure originale qui allie recherche, technologies et applications opérationnelles.
Nous sommes en 1983, autant dire à l’aube de la télédétection spatiale en France même si Landsat est en orbite depuis onze ans. Un premier groupement scientifique se crée au CNRS qui rassemble différentes équipes s’intéressant au spatial, financé par la région Alsace, le CNES et plusieurs organismes universitaires. Recherche, mais également formation et transfert de savoir-faire, le tout centré sur les problématiques régionales sont au menu du groupement. Laboratoires de physique, d’électronique, mais aussi géographes, géologues et écologistes se rassemblent autour de quelques pionniers comme François Becker.
Premières impressions
À l’époque, rien n’est simple et il faut fabriquer sa propre carte électronique pour être capable de traiter une image. Avec le soutien d’une filiale de Siemens, l’équipe du LAEP* transforme un scanner en imprimante/scanner grand format adaptée aux images satellites. En 1986 l’équipe restitue sur film à haute résolution de la première image acquise par SPOT 1 sur Strasbourg. « Notre premier acheteur fut l’IGN, s’amuse Paul de Fraipont, aujourd’hui directeur scientifique du SERTIT, qui se servait de notre scanner pour numériser ses cartes. » L’équipement est unique, rapidement connu, et nombreux sont ceux qui y font appel, pour numériser des photographies aériennes ou des cartes. À ces compétences très électroniques autour de la télédétection, le SERTIT ajoute deux composantes : l’expertise humaine sur l’interprétation des images et l’approche statistique pour leur traitement automatique. Ainsi, dès 1987, le SERTIT est officiellement créé au sein de l’université, avec le soutien de la région et de la communauté urbaine de Strasbourg. Tandis que l’activité autour du scanner assure la trésorerie quotidienne, le service propose des restitutions à façon et développe les premières applications exploitant l’imagerie satellitaire. Il est de tous les programmes mis en place par le CNES pour développer l’usage des images satellitaires et multiplie les contrats de recherche. Mais il se met également au service de clients pour développer des applications opérationnelles : ressources minières pour les Mines de potasse d’Alsace, développement urbain pour l’agence d’urbanisme (ADEUS), classement de la forêt Rhénane pour le CRPF…
Focus sur l’urgence
C’est presque par hasard que le SERTIT se lance dans la cartographie d’urgence. En 1990, une inondation majeure touche le Rhin et il se trouve que SPOT fait une acquisition au pic de la crue. « SPOT Image nous a demandé de voir ce qui pourrait être fait pour aider la protection civile » se souvient Paul de Fraipont. En 1991 le satellite radar ERS-1 est mis en orbite par l’agence spatiale européenne (ESA), une autre source d’information qui se moque des nuages. Dès 1993, le SERTIT a l’occasion de faire la preuve de l’utilité du satellite, qui capture tous les trois jours pendant près de deux mois les dégâts liés à la rupture de la digue en Camargue. La tache d’humidité y est nettement visible. Différents programmes nationaux et européens se succèdent et le SERTIT devient l’un des premiers services à fournir des cartes à valeur ajoutée dans le cadre de la Charte internationale espace et catastrophes majeures lancée en 2000 : estimation des dégâts, hauteur d’eau, routes coupées… sont ainsi fournis en quelques heures aux services de sécurité civile. Depuis, l’activité s’est professionnalisée et le SERTIT est devenu incontournable en matière de cartographie rapide, aujourd’hui en charge de service urgence de Copernicus ou travaillant directement pour la protection civile française. Mais faire fonctionner le service 24h/24, 7j/7 et 365 jours par an (ce qui est le cas dans le cadre de la Charte internationale espace et catastrophes majeures), implique une organisation inhabituelle au sein d’une structure qui reste universitaire. Les quinze personnes impliquées dans le service sont d’astreinte douze semaines par an, sans compter leur rôle de pilotage des réponses, de « duty operator », et tout ce qu’implique la gestion de plusieurs crises en parallèle. En cas de crise, les groupes se relaient en permanence. Le 30 mars, une nouvelle salle de crise était également inaugurée au dernier étage du bâtiment du SERTIT qui vient de renouveler sa certification ISO 9001. Elle offre plus de confort aux opérateurs qui traitent une quarantaine d’activations par an.
Le hamster et le renard
Impossible de rendre compte de la diversité des sujets de recherche et des applications développées par le SERTIT, aujourd’hui encore largement ancré dans sa région mais qui surveille de près (environ tous les dix jours) le niveau des eaux sur le lac Poyang en Chine depuis 2000 et caractérise les zones de transmission possibles de la bilharziose. Citons quelques analyses emblématiques comme le suivi de la reconstruction dans des zones touchées par des événements majeurs, l’évaluation des risques hydrologiques, le suivi des dépérissements des peuplements forestiers dus aux attaques de scolytes (coléoptères xylophages) après la tempête Klaus dans les Landes en 2009, la surveillance de défrichements en plaine d’Alsace, des coupes dans les Vosges, la cartographie des châtaigniers, la consommation d’espace agricoles par l’urbanisation, la cartographie des trames vertes urbaines à Strasbourg, mais également des pratiques agricoles favorables au grand hamster d’Alsace… Un dernier sujet qui peut paraître anecdotique mais pour lequel les analyses menées par le SERTIT ont permis à la France d’éviter une amende de 17 millions d’euros. Les cartes ont en effet montré qu’il restait plus de 20 % de luzerne ou de petit blé d’hiver dans une région agricole qui mise essentiellement sur le maïs. Cette culture laisse en effet les champs nus au moment où le rongeur sort de son hibernation annuelle, le transformant en cible de choix pour les busards et les renards qui s’en délectent sans vergogne.
Aujourd’hui plateforme labellisée Carnot, considéré comme l’un des « joyaux de l’Université », le SERTIT n’a pas toujours eu la vie facile et son positionnement en tant que plateforme financièrement autonome, cumulant programmes de recherche et commandes privées, ne lui a pas valu que des amis. Cet anniversaire était également le moment de sceller le mariage avec ICube, un gros laboratoire de près de 600 membres consacré aux sciences de l’ingénieur, de l’informatique et de l’imagerie. Du sang neuf qui va permettre de développer de nouvelles compétences en fouille de données, en analyse d’images. Premier exemple, une meilleure exploitation des ombres pour déceler automatiquement les bâtiments écroulés à la suite d’une catastrophe majeure. « Il est fondamental de développer des services qui tirent parti des nouvelles infrastructures comme Sentinel, insiste Paul de Fraipont. Sans cela, nous allons produire des cimetières de données. Il va falloir travailler sur deux fronts, l’expertise humaine pour bien choisir, et les processus automatiques qui vont tirer parti de la répétition. » Relais Copernicus sur la région Grand Est, partie prenante du futur programme franco-américain SWOT (topographie des surfaces en eaux), suivi par des acteurs locaux fidèles, l’équipe du SERTIT semble bien armée pour les 30 ans à venir !
- LAEP : Laboratoire des applications électroniques et physiques de l’École nationale supérieure de physique de Strasbourg (ENSPS, devenu TPS), ancêtre du LSIT, puis LSIIT, devenu aujourd’hui ICube