Télédétection et développement : Mind the gap
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Développer et optimiser l’usage de l’imagerie satellitaire et des technologies géospatiales au service des objectifs de développement est un enjeu récurrent depuis… quarante ans. Deux réunions organisées à Paris en avril ont permis de faire le point sur les avancées (réelles) et les freins (puissants). Pour éviter qu’un fossé ne se creuse entre l’offre et ses utilisateurs potentiels, la vigilance est de mise.
L’Agence française de développement (AFD) organisait le 11 avril avec le CNES, l’IRD et le Fond français pour l’environnement mondial (FFEM) une conférence dans le cadre du cycle « Idées pour le Développement » (iD4D). Le premier objectif de la réunion était de présenter à des acteurs du développement (personnels de l’AFD, bailleurs de fond, ONG, représentants de pays du Sud), un état de l’art des capacités actuelles et futures de l’imagerie spatiale et de les illustrer à travers quelques projets phares. Le second visait « à faire émerger des propositions pour favoriser leur utilisation dans les pays du Sud ».
Gros enjeux mais des moyens difficiles à mobiliser
Jacques Moineville, directeur délégué de l’AFD, a d’entrée centré le débat sur les enjeux clés : disposer de moyens de contrôle et de mesure fiables des grandes évolutions démographiques et climatiques (urbanisation, déforestation, désertification) dans un contexte d’outils statistiques et d’observatoires au sol défaillants. Dans ce domaine, les acteurs français savent faire preuve de compétitivité et d’excellence, via des partenariats novateurs. Ce fut par exemple le cas sur les projets du bassin du Congo et de l’Indonésie, dans lesquels l’AFD était impliquée. Mais Jacques Moineville a néanmoins souligné la difficulté de traiter de sujets d’ampleur subcontinentale voire continentale avec des financements encore en grande partie nationaux. Bernard Dreyfus, directeur général délégué à la science de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) s’est pour sa part félicité de la mise en place progressive d’un réseau mondial de plateformes de télédétection. Après la Guyane, La Réunion et Montpellier (GeoSud), la plateforme de Libreville (Gabon) et bientôt celles de Madagascar et d’Haïti doivent favoriser l’accès aux données, résoudre (via des stations de réception locales) les problèmes de couverture de zones très nuageuses et encourager l’interdisciplinarité dans les usages. Mais il a néanmoins souligné les limites liées à la formation, au développement des capacités et aux services aval tout en déplorant, lui aussi, le manque de financements… durables. Ces enjeux ont ensuite été bien illustrés par certaines présentations : mise en place d’antennes de réception et de plateformes (IRD), suivi de couvert forestier dans un cadre REDD (SIRS), suivi du développement des plantations d’huile de palme (Greenpeace), gestion de la ressource halieutique en Indonésie (CLS) et aide à la décision agricole (Geosys).
Attention aux décalages
Bien que présentant des savoir-faire réels, les présentations ont occasionné de nombreuses questions de l’auditoire (une centaine de participants) et fait ressortir plusieurs décalages. Notons d’abord que les « futurs heureux bénéficiaires » sont bien informés comme l’a montré la pertinence de leurs questions. Tous les acteurs s’accordent sur la nécessité de tenir compte du besoin et du contexte local des pays concernés. Trop de projets « plaquent » des méthodes génériques appliquées « aux pays en voie de développement ». Le manque de coordination et la multiplicité des initiatives rendent difficiles une vision cohérente et partagée de ce qui est à faire, tant pour les acteurs locaux que pour les industriels proposant des compétences. Enfin, la dimension des coûts, pourtant implicite dans la plupart des questions, est restée peu abordée. Autant d’enjeux résumés par Jean-Luc François de l’AFD dans son intervention. Les deux projets phares déjà financés pour un montant de 18,5 millions d’euros par l’AFD (station SEAS gabonaise et mise à disposition des images sur le bassin du Congo) ont certes des résultats positifs. Mais il reste du chemin pour pérenniser l’efficacité de ces actions. L’accès aux données satellitaires est nécessaire mais pas suffisant. Le modèle économique au-delà du soutien initial est à affiner et la demande aval reste à « construire ». Enfin l’efficience du recours à la télédétection et les économies qu’elle autorise sont autant de sujets sur lesquels les décideurs (internationaux comme locaux) restent à convaincre.
Huit jours plus tard, une partie des mêmes se retrouvait à Ubifrance mais en configuration inversée. L’AFD et le FFEM présentaient à un auditoire d’une quarantaine d’entreprises les possibilités de financement de projets au titre du Cadre d’intervention transversal Climat-Développement 2012/2016. Le portefeuille « finance environnementale » de l’AFD est passé de 200 millions d’euros en 2006 à 1,4 milliard en 2011 avec près de 600 millions décaissés depuis 2007. Valérie Reboud a détaillé les engagements REDD+ de l’AFD, qui ont représenté près de 170 millions d’euros dans le bassin du Congo sur 2010-2012. Le FFEM a présenté la FISP-Climat qui vise à financer des innovations dans le domaine du changement climatique par l’intermédiaire de dons. Cinq à dix projets seront sélectionnés en 2013 et 2014, avec un niveau de subvention (plafonnée à 500 000 euros) de 30 % des coûts d’investissement du projet. À vos idées.
Thierry Rousselin*
GEO2012
- Pour en savoir plus : Toutes les présentations sont en ligne sur le site de l’AFD
* Merci à Bénédicte Navaro (AFD) et Alexandra Boulay (Ubifrance) pour leurs précieuses notes