Theia avance à pas comptés
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Conçu pour faciliter l’usage de la télédétection spatiale dans les politiques publiques et la recherche, Theia* en est désormais à sa quatrième année de fonctionnement. Au moment de préparer le renouvellement de la convention qui lie les onze organismes qui y participent, le pôle « surfaces continentales » présente ses avancées.
Elles ont beau tomber du ciel, les images satellitaires ne tombent pas sous le sens ! Elles restent complexes à comprendre et à exploiter, et les non-spécialistes les boudent. Depuis les années 1990, les dispositifs se succèdent pour en démocratiser l’usage : ISIS, KALIDEOS, ORFEO, POSTEL… et aujourd’hui Theia. Les enjeux sont plus forts que jamais : il y va de l’optimisation des investissements publics dans la filière spatiale (voir à ce sujet le rapport Fioraso), mais également de notre capacité à répondre aux défis environnementaux, économiques et sécuritaires.
Un premier bouquet de données
Tout en haut de la chaîne de valeur imaginée par les fondateurs du pôle Theia, il y a la production et la diffusion de données. Sur ce point, tout semble aller pour le mieux. La station de réception installée à Montpellier dans le cadre de l’Equipex Geosud est entrée en phase de fonctionnement. Il faut maintenant deux heures entre l’acquisition d’une image et sa livraison sur le serveur sous forme orthorectifiée. Cinq couvertures complètes de la France en haute résolution exploitant des données RapidEye puis SPOT sont disponibles gratuitement pour tous les acteurs publics. Des données Lidar, radar, Pléiades, Sentinel-2, la couche SPOT World Heritage, ainsi que des produits plus élaborés (biomasse, hauteurs des lacs et rivières…) sont également au catalogue sur différentes zones du globe. Dans le cadre de la politique de mise à disposition des images Pléiades à prix coûtant aux acteurs publics, des acquisitions stéréo ont été programmées depuis juillet 2016 sur vingt-sept préfectures, etc. Le serveur Geosud ne chôme pas : « 11,5 millions de kilomètres carrés de données SPOT 6 et 7 ont été téléchargés en 2015 et la couverture nationale 2014 a été réutilisée quinze fois » se félicite par exemple Pierre Maurel (IRSTEA), membre du bureau exécutif Theia.
Ça va même aller de mieux en mieux grâce aux données Sentinel-2. Les images du premier satellite lancé en 2015 complètent utilement l’offre Landsat. Quand le deuxième satellite aura rejoint son jumeau (lancement prévu en mars 2017), chaque point du globe pourra être « imagé » tous les cinq jours, selon treize bandes spectrales avec des résolutions de 10 à 20 m selon les longueurs d’onde, le tout sur 290 km de large. Le pôle a par ailleurs étendu son spectre de récolte puisqu’il commence à travailler sur les données aéroportées (avec l’IGN), in situ (issues d’observatoires nationaux sur l’hydrologie, les glaciers, les crues, les précipitations…), s’initie aux drones grâce aux actions de l’IGN et à l’hyperspectral grâce à l’ONERA.
Des plateformes techniques qui montent en puissance
Pour soutenir cette production et la mettre à la disposition du monde de la recherche et des acteurs publics, l’infrastructure informatique devient plus efficace, même si beaucoup reste à faire. Désormais, les trois serveurs qui se répartissent les données (Geosud à Montpellier, CNES à Toulouse et IGN à Paris) sont accessibles par le biais d’un serveur d’identification unique. Peu visible, un travail important est également mené qui facilitera la mise à disposition de traitements sur l’infrastructure, en encapsulant notamment des fonctions d’ORFEO Toolbox.
Car Theia ne s’arrête pas là même si la mise à disposition de données en reste la partie la plus visible. Le « hub » (réparti sur plusieurs infrastructures) est là pour servir des communautés d’utilisateurs variées allant des chercheurs les plus pointus aux géomaticiens néophytes, en passant par les décideurs publics. À terme, l’infrastructure informatique doit fournir services, traitements en lignes et produits à haute valeur ajoutée.
Vers de nouveaux produits
Les centres d’expertise technique (CES), qui regroupent plusieurs laboratoires, sont là pour concevoir des produits et services prêts à être industrialisés. Ils ont déjà produit des résultats sur les hauteurs d’eau, mais d’autres produits ne devraient pas tarder à être disponibles.
Une méthodologie est par exemple en cours d’élaboration pour produire entièrement automatiquement une couche nationale d’occupation du sol, exploitant principalement les données Sentinel-2. Exploitant des données à 10 et 20 m de résolution (selon la longueur d’onde) avec une unité minimum de collecte située autour de 1000 m2, elle pourrait être produite tous les ans, voire tous les semestres, avec une nomenclature en une quinzaine de postes emboîtables. Elle servirait ainsi au suivi de la consommation des terres agricoles, à l’identification des risques de pollution liés à la rotation des cultures, à la réalisation de bilans hydriques… comme l’ont montré plusieurs des « testeurs » du futur produit. Mais il reste encore du travail pour stabiliser la nomenclature et bien distinguer les différents postes.
Un autre produit est annoncé pour début 2017 : une couche d’information sur le manteau neigeux, publiée tous les cinq jours. L’algorithmie nécessaire est ici plus simple et la chaîne de production s’appuie sur des données SPOT, Landsat et Sentinel-2. En 2018, un produit de synthèse annuel combinant plusieurs images pourrait également être proposé.
Ancrage territorial
Theia s’appuie également sur des réseaux d’animation régionale (ART) où se retrouvent laboratoires de recherche, infrastructures de données géographiques et services de l’État. Ils sont là pour fédérer et former les utilisateurs, rapprocher scientifiques et acteurs publics, promouvoir Theia sur le terrain régional… Sept fonctionnent actuellement dont un dédié aux usages dans les territoires d’outre-mer. Certains s’inscrivent dans les dispositifs locaux déjà en place ou en cours de mise en place tels que Booster en PACA ou A2S (alias Alsace Aval Sentinelle) en Alsace. L’implication de l’échelon régional semble de plus en plus indispensable au regard de la loi NOTRe qui donne clairement aux nouvelles régions un rôle important dans le paysage national de l’information géographique. Mais force est de constater que les actions des ART sont encore centrées sur les travaux de recherche (financement de thèses par exemple, tests et validation des méthodologies mises au point par les CES), en lien avec des thématiques régionales clés (végétation, sols…). Leur mission de vulgarisation passe par l’organisation de journées d’information sur l’intérêt de la télédétection dans l’action publique et la rédaction de fiches méthodologiques. Certains de leurs membres interviennent dans des formations courtes. Est-ce suffisant pour développer l’usage de la télédétection par de simples géomaticiens ? Pour que décideurs et chefs de service s’appuient sur des indicateurs thématiques à forte composante spatiale ? Leur mode de fonctionnement (de la recherche à sa valorisation par les acteurs publics) n’est-il pas trop linéaire ? C’est l’une des questions posées par l’ART de Midi-Pyrénées qui a commandé une étude au cabinet Aida, «Les ART : Recherche-innovation et écosystème de développement des applications de la télédétection, une étude exploratoire ». Cette dernière sera présentée le 1er décembre 2016 lors du premier séminaire utilisateurs de l’ART à Toulouse.
Malgré ces avancées, plusieurs ombres planent au tableau de Theia. Les financements actuels sont limités dans le temps et aucune visibilité à long terme n’est possible. « Il faut travailler vers un accès garanti et consolidé aux données, avec un bouquet d’imagerie multi-capteur et multi-résolution au service d’une action publique opérationnelle et pérenne » insiste Selma Cherchali, responsable des programmes environnement, continental et hydrologie au CNES. La seule source satellitaire dont la pérennité est aujourd’hui assurée pour les quinze prochaines années est Sentinel, de part son inscription dans le programme européen Copernicus, qui garantit également un accès gratuit aux données pour tous. Une fois encore, le dispositif bute sur un modèle économique viable à l’heure où l’engagement des institutions ne peut plus être garanti. Du coup, chacun se tourne vers les acteurs privés, grands oubliés du dispositif actuel. Non mentionnés dans la première convention, les porteurs du pôle Theia sont désormais conscients qu’ils sont de plus en plus indispensables pour assurer une véritable démocratisation des produits d’observation de la terre. Mais comment faciliter l’émergence d’un écosystème ? Là encore, les défis sont nombreux. Il y a certes des questions de coûts, qui ne sont pas toutes réglées, mais il y a également des enjeux de formats, de formation, de communication… des dossiers auxquels les membres du pôle sont diversement sensibles.
- Theia : Le pôle de données et de services surfaces continentales Theia a été créé en 2012 par neuf organismes (le CEA, le CIRAD, le CNES, le CNRS, l’IGN, l’INRA, l’IRD, l’IRSTEA, Météo France), auxquels se sont ajoutés en 2014 le CEREMA et l’ONERA. Son objectif est de faciliter l’usage des images issues de l’observation des surfaces continentales depuis l’espace.
- Pour accéder directement aux présentations du séminaire utilisateurs Theia 2016, suivez ce lien