Aides agricoles : l’impossible carte équitable
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Certaines cartes peuvent changer la vie quotidienne de milliers de personnes. Le futur zonage des zones défavorisées simples, qui a été présenté aux organisations professionnelles de l’agriculture en décembre dernier, suscite la polémique. Plusieurs milliers d’agriculteurs (principalement les éleveurs) risquent de perdre une indemnité compensatoire essentielle à leur survie économique.
Voilà maintenant près de dix ans que l’Europe réclame une mise à plat de cette carte, établie en 1976. À l’époque, chaque pays avait plus ou moins défini ses propres critères, ce qui permettait de prendre en compte les situations locales au prix d’une absence totale d’homogénéité à l’échelle du continent et donc de « mesurabilité ». Le nouveau zonage s’appuie d’une part sur des critères biophysiques communs à toute l’Europe et non négociables, correspondant à la partie verte de la carte (pente, qualité des sols, conditions météorologiques). Plusieurs bases de données (référentiels pédologiques régionaux, données météo, Bd Alti, Registre parcellaire graphique…) ont été mobilisées et analysées avec un SIG pour établir une première liste de communes. Depuis plusieurs mois, InfoSol de l’INRA travaille avec les représentations professionnelles et le ministère pour définir des critères complémentaires, acceptables pour l’Europe, qui permettront de faire rentrer dans le nouveau découpage une partie des communes éliminées par les seuls critères biophysiques. Plusieurs cartes ont été proposées, prenant en compte des critères de charge de production, des éléments paysagers (les haies, les zones humides), l’organisation agricole, etc. Mais aujourd’hui, certains départements restent largement exclus et plusieurs milliers d’éleveurs risquent de perdre jusqu’à la moitié de leur revenu.
L’exercice est contraint (budgétairement, temporellement…) et suscite aujourd’hui de vives inquiétudes, d’autant que cette aide en conditionne d’autres (aide à l’installation par exemple). La version définitive attendue pour le 15 février saura-t-elle prendre en compte des critères capables d’apaiser les agriculteurs ? On peut en douter.
Cette carte de facture très « scientifique » et les polémiques qu’elle suscite sont un bon exemple des limites d’un monde entièrement mesurable. La volonté de transparence des critères d’attribution, de reproductibilité du raisonnement, se heurte à l’histoire, au vécu,aux injonctions politiques contradictoires… ici, mesurable n’est pas forcément synonyme d’équitable.