Spécial GeoDataDays : s’organiser en pratique, le chantier du MaaS
Catégorie: Données, Entreprises, Grand public, Institutions, Logiciels, Marché, Mobilité, Open Data, Reportages, Réseaux/Transports, Services
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Associer calcul d’itinéraires multimodal, réservation, paiement, billettique, information voyageur en temps réel et guidage pas à pas… Tel est l’objectif de la mobilité en tant que service, alias MaaS. Inutile de préciser que le MaaS ne se fera pas sans geodata ! Mais quelles sont les forces en présence et comment s’organiser ? Éléments de réponses avec le débat organisé lors des GeoDataDays sur le sujet.
Simplifier l’expérience voyageur, réduire notre empreinte carbone, utiliser plus souvent les transports en commun, fluidifier le trafic… le MaaS a toutes les vertus et a pris sa place dans la nouvelle Loi d’orientation sur les mobilités (LOM). Mais c’est un vaste chantier. À l’échelle d’un pays comme la France, il implique d’assembler, de mettre en cohérence, de diffuser plusieurs centaines de jeux de données géolocalisés sur les voies de communication, les lignes et les arrêts de transport en commun, les équipements tels que parkings ou bornes de recharge électrique, les horaires de passage, les informations temps réel, les taux de remplissage, les tarifs, etc. Des jeux de données produits essentiellement par des autorités organisatrices de transport, des collectivités mais également des entreprises privées, des grands acteurs comme des petits.
Un point d’accès national en construction
Conformément aux exigences européennes, l’État s’est doté d’un point d’accès national, transport.data.gouv.fr, plateforme sur laquelle tous les producteurs d’information voyageur sont censés déposer leurs données afin de faciliter le travail des réutilisateurs (développeurs d’applications diverses). À l’initiative du ministère en charge des transports et gérée comme une startup d’État au sein de la DINSIC, une petite équipe de trois personnes s’affaire pour porter la bonne parole de l’open data, de la licence ODbL et des standards, assurer le moissonnage des données depuis data.gouv.fr, aider les producteurs à vérifier leurs jeux de données (validateur GTFS, le format utilisé pour les données d’horaires des transports en commun) et à les publier, en utilisant si nécessaire la plateforme nationale (fonctions d’entrepôt). Quelles données sont concernées ? Pour l’instant, les horaires théoriques des transports en commun ainsi qu’en temps réel pour les lignes régulières, les aires de covoiturage, les données statiques et dynamiques sur les vélos en libre-service, les bornes de recharge de véhicules électriques sont en cours d’assemblage. Tous les chantiers n’avancent pas au même rythme. « La moitié de la France est disponible pour les horaires théoriques, ce qui représente cent cinquante autorités de transport, détaille Béatrice Mercier, en charge de l’animation de transport.data.gouv.fr. Mais sur l’information temps réel, nous n’avons référencé que cinq réseaux qui utilisent les deux formats que nous acceptons, GTFS RT et SIRI ». Seuls quatre services de vélos en libre-service sont référencés sur une vingtaine. À terme, d’autres jeux de données devraient être accessibles sur cette déclinaison transport de data.gouv.fr.
Arrêts et lignes de bus, pourquoi ne pas miser sur OSM ?
Même si la France est bien couverte en données géographiques de base, la description des réseaux de transport (lignes, itinéraires et arrêts) est loin d’être homogène et complète. « Les données qui viennent des producteurs sur les points d’arrêt des bus contiennent beaucoup d’erreurs, même en région parisienne, souligne Bertrand Billoud, en charge du marketing chez Kisio Digital. On a tout intérêt à utiliser OpenStreetMap pour ce type de données. Grâce à des outils comme Jungle Bus, il est possible de structurer, de mettre à jour les données sur les réseaux de transport. »
Open Data, une nécessité
Tous les participants au débat sont unanimes : l’open data est essentielle au déploiement du MaaS. « Même s’il y a encore de nombreuses collectivités qui n’ont toujours publié aucune donnée, beaucoup de chemin a été fait ces dernières années » tient à souligner Aline Batifol, responsable de la plateforme géospatiale chez Mappy, qui a connu le temps où tout un service était mobilisé pour appeler chaque collectivité afin de signer une convention pour récupérer les données de transport. Le point d’accès national est une initiative saluée, qui doit aider tous les territoires à avancer, même les plus petits qui n’ont qu’une ou deux lignes de transport en commun.
Du terrain au numérique et inversement
Tout est-il pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ? Loin de là. « On est loin d’avoir terminé, souligne Étienne Pichot Damon, membre de Datactivist qui accompagne les producteurs dans leur stratégie d’ouverture de données. À Lyon, un touriste étranger qui utilise Google Maps, ne voit pas les transports en communs. Il peut marcher, prendre un Uber ou utiliser une trottinette. » Pourtant, la métropole lyonnaise a été l’une des pionnières dans l’open data, mais elle a choisi une licence qui bloque les utilisations commerciales massives. « Il faut se poser la question des objectifs de l’ouverture, poursuit Étienne Pichot Damon. S’agit-il de contrer Google ou de faire en sorte que les gens puissent voir le réseau de transport en commun dans un maximum d’applications afin de l’utiliser ? »
La réponse n’est pas simple, car les applications portées par les grands acteurs mondiaux comme Google ou Waze posent de plus en plus de problèmes aux collectivités. En envoyant du trafic sur des voies secondaires, devant des écoles, elles remettent en cause les politiques d’aménagement. La guerre autour des trottinettes en free floating est également emblématique. « Aux États-Unis, le prix des maisons augmente dans les impasses, car la circulation y est maîtrisée » nous apprend Étienne Pichet Damon. Certaines collectivités envisagent même de publier des données qui forceraient les algorithmes à mentir, décorrélant ainsi la réalité de son double numérique. Une mauvaise idée pour Étienne Pichot Damon qui craint une perte de confiance dans les applications. Pourtant, la pilule ne passe pas dans les collectivités qui ne veulent pas se laisser dicter leurs politiques d’aménagement par des applications. « Il faut arriver à combiner les intérêts particuliers des déplacements et la cohérence des politiques publiques » insiste Benoît Masson, adjoint au directeur de l’information géographique à la métropole de Lille.
Lors du débat, plusieurs solutions sont envisagées pour mieux prendre en compte ces questions de congestion. En taxant chaque course Uber, la ville de Toronto récupère des données qui lui ont permis d’adapter son plan de déplacements et de créer de nouvelles lignes de transport en commun là où la demande était la plus forte. Mappy a aidé une agglomération à analyser ce type de données. Même approche dans bien des villes, qui intègrent un maximum de retours pour faire évoluer leur réseau de transport. « Nous travaillons avec Waze, ajoute Benoît Masson, nous savons récupérer leurs données et les analyser, mais quand nous avons voulu leur retourner de l’information, en l’occurrence des itinéraires de délestage, on nous a répondu « on ne peut pas ouvrir le fichier Shape » ». Comment arriver à un cercle vertueux où chacun bénéficie des connaissances des autres et où les objectifs d’aménagement n’entrent pas en contradiction avec les intérêts des particuliers qui recherchent fluidité, rapidité et simplicité ? Ne faudrait-il pas par exemple obliger les applications à intégrer des transports en commun (ce qui implique de disposer des données nécessaires dans le bon format !) ?
De la place pour tous ?
Reste que les objectifs des éditeurs d’applications d’aide à la mobilité sont parfois très différents. Tous essayent d’aller vers le MaaS en incluant un maximum de moyens de transport et de nouvelles briques (billettique, réservation…), mais avec des moyens différents. Citymapper ne s’intéressera jamais aux territoires ruraux, mais l’application de votre collectivité n’aura sans doute jamais l’efficacité d’un Google Maps, d’un Waze ou d’un HERE WeGo. « Il est important qu’il y ait des applications minimales portées par les acteurs publics si l’offre commerciale est défaillante, mais on n’a sans doute pas besoin de milliers d’applications. Certaines ont un coût de développement par utilisateur bien trop important », analyse Étienne Pichot Damon. À Lyon, Optimod ne recueille que 5 % des usages, loin derrière l’application de la TCL (autorité de transport et marque connue des Lyonnais) et les applications internationales. Pour Kisio Digital, filiale de Keolis, groupe SNCF ou pour Mappy, l’open source est un choix important pour faire exister des alternatives nationales. En publiant les sources de son calculateur d’itinéraire Navitia et en multipliant les API ouvertes, Kisio Digitial a vu son marché se développer. Grâce à des briques open source, Mappy peut aujourd’hui proposer une offre fonctionnelle sur l’ensemble du territoire.
Vers quelle application se tourneront les 13 millions de touristes attendus pour les jeux olympiques de 2024 afin d‘être guidés dans leur langue ? N’auront-ils le choix qu’entre des trottinettes et des taxis ? Les quatre années qui viennent promettent d’être intenses et créatives.