Cartes en mains contre Lili la tigresse
Catégorie: Cartographie, Environnement, Imagerie, Reportages, Satellite/Spatial, Utilisateurs
Même si le paludisme ne concerne plus que quelques zones en Guyane, le moustique tigre a pris pied dans la métropole et les épidémies de dengue et de chikungunya frappent durement certains territoires d’outre-mer. Enjeux économiques, de qualité de vie, de santé publique, mais également environnementaux doivent être pris en compte dans la lutte contre les moustiques. Dans le cadre du programme « Lutte contre les moustiques nuisants et vecteurs », une extension Qgis permettant de connaître les risques liés au moustique tigre en milieu urbain a été développée par SIRS et le CIRAD.
Risquez-vous de vous faire piquer par un moustique tigre demain en faisant votre jogging matinal ? Pour permettre à l’Entente interdépartementale pour la démoustication du Languedoc-Roussillon (EID Méditerranée) de modéliser le risque de présence de moustiques tigre, en associant cartes d’aléas (les moustiques) et de vulnérabilité (les Hommes) au 1/10 000 en milieu urbain, à différentes périodes de l’année et de la journée, des données précises sur l’occupation du sol, la végétation et la présence humaine sont mobilisées.
Petites et grandes taches vertes
Côté végétation, il s’agit essentiellement de regrouper les différentes strates végétales sans taille minimale de collecte a priori, afin de repérer les zones propices au moustique. Ce sont les images RapidEye acquises dans le cadre du programme GeoSud qui ont été mobilisées, ainsi que les orthophotographies disponibles sur les villes étudiées : Nice, Montpellier et Porto-Vecchio.
Même s’il n’a pas une capacité à se déplacer sur de très grands trajets, le moustique tigre peut passer d’une zone à l’autre. Pour élargir la possibilité de transfert d’habitat entre zones végétalisées et cerner au mieux la tache verte, des zones tampons sont générées, qui servent à créer des regroupements par la méthode de dilatation/érosion souvent utilisée pour le calcul de trames vertes.
Population présentielle
Les contours iris, recalés sur la BD Topo, permettent de projeter la population résidente (INSEE) sur le bâti et de prendre en compte les résidences secondaires, les établissements spéciaux (hôpitaux, campings, hôtels…). Mais l’INSEE ne donne aucune information sur le nombre de personnes présentes dans ces structures à telle ou telle date. Ce sont les données des offices du tourisme qui sont exploitées, généralement fournies sous forme de listes, qui répertorient les populations mensuelles dans les établissements ou fournissent des estimations pour les populations hors établissements (résidences secondaires, visites à des amis, nuits chez l’habitant…).
Occupation du sol
Autre élément clé, l’occupation du sol. Toutes les informations sur la population présentielle sont rapportées à l’occupation du sol issue d’Urban Atlas qui découpe l’espace urbain en une vingtaine de postes. Grâce aux photographies aériennes, les cimetières, les serres en zone agricole, les espaces ouverts (ceux de plus de 2 hectares sont moins appropriés à albopictus, qui craint les courants d’air) sont pris en compte afin d’aboutir à cinq classes : tissu urbain discontinu ou bâti diffus, habitats ou activités diverses, décharges et chantiers, grands espaces ouverts urbanisés et peu favorables. L’analyse des photographies aériennes permet également d’identifier les zones fréquentées à l’heure de la piqûre du soir (rues piétonnes, promenades urbaines, places où il y a beaucoup de restaurants…).
Ainsi, même si toutes les données de base utilisées sont gratuites (images satellites et aériennes, Urban Atlas, statistiques INSEE, fichiers tourisme), elles nécessitent des traitements en amont non négligeables avant d’être intégrées dans l’outil de calcul des aléas, vulnérabilités et risques.
Calcul des cartes
Dans le module Qgis, l’utilisateur croise ses couches de végétation et d’occupation du sol pour définir l’aléa. Des coefficients viennent pondérer chaque case de la matrice : ainsi, les taches en tissu urbain discontinu sont nettement plus favorables aux moustiques que les grands espaces ouverts peu végétalisés. Mais ces coefficients varient en fonction de la saison. Pour prendre en compte cette variabilité temporelle, les résultats d’un modèle dynamique de la population du moustique tigre, créé par le CIRAD, peuvent être intégrés. Ce dernier établit le lien entre la population de moustiques et la météo selon les phases du cycle de vie des moustiques (œuf, larve, adulte, mort) tout en prenant en compte les arrosages des jardins pendant l’été. Un chiffre quotidien, produit pour chaque ville, donne un taux normalisé de femelles fécondées en recherche de repas sanguin. Il vient affiner les coefficients de pondération selon les différentes périodes de l’année. En l’absence de données météo, l’utilisateur peut lui-même paramétrer les coefficients de pondération selon les saisons étudiées.
Du côté de la vulnérabilité
Les cartes de vulnérabilité doivent prendre en compte la localisation des personnes en fonction des saisons et des deux pics d’agressivité de la bête, à savoir le matin au lever du soleil et le soir au coucher. L’estimation de la population présente est calculée en appliquant des coefficients réducteurs aux données INSEE/offices du tourisme selon les heures. Le soir, en été, un quart des habitants est considéré comme absent de son lieu de couchage et ce taux est poussé aux deux tiers pour les touristes à l’hôtel, en camping ou chez l’habitant. Ces populations « manquantes » sont ensuite projetées sur les zones de fréquentation touristique.
Le risque est issu du croisement de l’aléa et de la vulnérabilité. Il est réparti en cinq grandes classes et toujours calculé sur des périodes particulières. Si le modèle temporel n’est pas utilisé, seules trois périodes sont considérées (début, fin et cœur de saison). Le risque est également calculé pour des heures données (matin, soir, risque maximal).
L’interface développée par SIRS sous Qgis (algorithmes en Python) permet d’enchaîner simplement les traitements, paramétrés par des opérateurs non experts à l’aide de boîtes de dialogues. Le choix de Qgis permet également de déployer l’application à moindre coût sur des postes de travail qui ne sont pas tous du dernier cri.
En donnant à voir un zonage fin où le moustique tigre a le plus de chances d’être présent et de faire des victimes, cette cartographie devrait permettre d’améliorer la prévention, en ciblant mieux les actions et en permettant de tester différents scénarios de traitement. La modélisation pourrait également s’enrichir de facteurs socio-économiques et devra sans doute rapidement s’adapter à une présence du moustique dans d’autres zones géographiques que l’aire méditerranéenne. Pour l’instant, l’utilisation reste essentiellement interne à l’EID Méditerranée et au conseil général de Corse. À quand un indicateur hebdomadaire reçu sur votre téléphone vous disant que cette semaine, il y a gros risque de piqûre autour de chez vous et que c’est t-shirt à manches longues obligatoire pour votre jogging du matin ?
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L’ennemi, c’est lui !
Aedes albopictus, alias moustique tigre, nous vient d’Asie du Sud-Est. Apparu en Italie dans les années quatre-vingt-dix, il a fait son chemin, petit à petit, au gré des transports, n’hésitant pas à s’inviter dans les remorques et habitacles des voitures et des camions. Désormais, il est présent dans une bonne partie du Sud de la France et a tendance à remonter le long des grands axes autoroutiers. Les femelles, qui piquent sans relâche une fois fécondées avant d’aller pondre leurs œufs, peuvent transmettre à l’homme la dengue et le chikungunya. Contrairement à certaines de leurs collègues, les tigresses sont parfaitement silencieuses. Le développement du moustique tigre inquiète les autorités car il est très difficile à éradiquer, avec un mode de vie parfaitement adapté à l’urbain, qui sait tirer profit de la moindre petite surface humide ou coupelle d’eau stagnante pour pondre ses œufs. Impossible donc d’entreprendre de grandes opérations systématiques de démoustication comme pour d’autres espèces. C’est par la sensibilisation et la responsabilisation de chacun que passe la lutte : la chasse aux petits trous d’eau est ouverte…
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LIFE+
Le programme LIFE, lancé par l’Union européenne en 1992, en est aujourd’hui à sa quatrième version, baptisée LIFE+, qui a permis de soutenir financièrement quelque deux cents projets portant sur différentes thématiques environnementales. C’est dans ce cadre et avec un budget de 4 millions d’euros (dont la moitié prise en charge par l’Union européenne) que le projet « Lutte contre les moustiques nuisants et vecteurs de maladies : proposition d’une gestion intégrée compatible avec le développement durable » a été mené de 2010 à 2013. Ce projet est soutenu par l’Adege (www.adege.eu), Agence nationale pour la démoustication et la gestion des espaces naturels démoustiqués, qui regroupe les deux ententes interdépartementales (EID Méditerranée et Rhône-Alpes), les départements de la Corse du Sud, de la Haute-Corse, de la Martinique, de la Guyane ainsi que le syndicat dédié du Bas-Rhin. Dans ce cadre, de nombreux outils ont été mis au point et testés, qu’il s’agisse de pièges, de systèmes de diffusion d’insecticides ou de logiciels. Le projet a aussi donné naissance à un guide de bonnes pratiques et a permis de financer certaines études à caractère plus sociologique.