Chroniques d’un GéoPeuple
Catégorie: Cadastre, Cartographie, Données, Recherche, Reportages, Secteur public
Le projet de recherche GéoPeuple, qui analyse les dynamiques de population en fonction du territoire et des découpages administratifs, est désormais achevé. Il a permis de développer des logiciels, des bases de données et des méthodologies novatrices au service de l’analyse géo-historique. Reste à capitaliser sur ces avancées pour mieux comprendre le lien étroit et complexe entre population et territoire.
S’il est un domaine qui a la cote en géomatique, c’est bien l’Histoire ! Ainsi, le programme de recherche GéoPeuple, soutenu par l’ANR de 2010 à 2013, avec un budget de 290 000 euros, a rassemblé des laboratoires de géomatique (le COGIT de l’IGN, le LISIS de l’IFSTTAR), d’histoire et de démographie (le LaDéHis de l’EHESS) et de traitement d’images (le LIP6 de l’UPMC). Son objectif était d’étudier les liens possibles entre évolution démographique et territoire, en France, sur les deux cents dernières années. Comment s’articulent découpages territoriaux (communes), éléments naturels tels que relief ou hydrographie et éléments construits tels qu’équipements, urbanisation, infrastructures…
Les remembrements ont-ils eu un impact visible sur la population des communes concernées ou ne sont-ils qu’une forme de réajustement ? Comment l’arrivée du chemin de fer a-t-elle modifié la dynamique de population des communes traversées ? Pour répondre à ces questions (et à beaucoup d’autres), les chercheurs du projet se sont appuyés sur plusieurs sources.
200 ans de population communale
Pour suivre la population communale depuis la Révolution, une base historico-démographique a été constituée, rassemblant en un seul point et selon un modèle de données original tous les contours communaux successifs, reconstitués à partir de la BD Carto (géométrie initiée par Hervé Le Bras). À chaque commune est associée une population (BD Cassini) à différentes dates. L’un des premiers résultats du projet est la mise en ligne d’un site Internet (http://geopeuple.coriolys.fr/) qui permet de suivre l’évolution d’une commune, de sa population et de sa densité, exploitant l’API du Géoportail.
Reconstituer une base vectorielle historique
Et s’il était possible de disposer d’un référentiel à grande échelle cohérent remontant jusqu’à la fin du XVIIIe siècle ? Les géomaticiens du projet se sont attachés à géoréférencer puis vectoriser les éléments clés de la carte Cassini et de la carte d’état-major (modèle de 1889). Mais cela ne suffit pas à générer une base cohérente à travers les époques. Il faut également « aligner » les objets géographiques (moulins, églises, hameaux, routes, forêts…) pour cerner leur évolution dans le temps. Un chantier monstrueux si l’on prend en compte qu’il y a plus de quatre cents termes dans la légende d’une carte d’état-major. Le projet s’est limité à l’étude de trois zones (Grenoble, Saint-Malo, Reims et dans une moindre mesure Agen) et il a fallu pas moins de cent heures pour saisir un quart de feuille de la carte de Cassini. Pour accélérer le processus, le travail du LIP6 a été précieux. Ses spécialistes de la reconnaissance des visages sur les photos ont mis au point un outil (disponible en open source) permettant de reconnaître quasiment automatiquement certains symboles de la carte de Cassini (églises, moulins, hameaux…) en prenant en compte le contexte spatial. Les résultats sont encourageants mais impliquent de disposer de solides bases d’échantillons qui assurent l’apprentissage du système.
Premières analyses
C’est en associant ces deux sources de données que les chercheurs du COGIT ont mené les premières analyses. Une analyse en composantes principales a été présentée, qui prend en compte aussi bien l’espace construit (tissu urbain, routes, voies ferrées…) que naturel (relief, hydrographie…) et la population sur trois périodes (fin XVIIIe, fin XIXe et début du XXIe siècles). L’analyse fait apparaître des motifs de dynamique cohérents avec les grands phénomènes globaux (industrialisation, périurbanisation, exode rural…), mais également capables de prendre en compte des phénomènes locaux tels que la présence d’une caserne militaire.
Même si le projet est aujourd’hui clos, la mise à disposition des modèles conceptuels, des données et des outils produits devrait permettre de poursuivre l’analyse spatio-temporelle de la population. Et les personnes présentes au séminaire de clôture ne manquaient pas d’idées pour accélérer la saisie des fonds anciens. Faire appel au crowdsourcing en mobilisant la communauté OpenStreetMap ou comme le fait par exemple la bibliothèque publique de New-York pour assurer une bonne vectorisation des plans anciens de la ville ? Monter des partenariats avec les collectivités locales et les infrastructures régionales ? Toutes les pistes méritent d’être explorées car ces premiers travaux ont bien montré que les cartes anciennes ne sont pas seulement de beaux habillages pour site Web, mais qu’elles peuvent réellement aider à la compréhension du présent. Pas inutile par les temps qui courent.
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Deux siècles de peuplement
La croissance de la population fut assez homogène en France jusqu’en 1831. C’est à partir de cette date que le développement urbain se profile ainsi que l’exode rural, avec une période de repli vers des zones éloignées de l’Allemagne et de l’Italie lors de la deuxième guerre mondiale. Quels sont les déterminants de cette évolution ? « Elle est très liée à la fécondité, qui est elle-même liée à la pratique de la contraception et à l’âge du mariage » insiste Hervé Le Bras, venu inaugurer le colloque de clôture GéoPeuple par une petite leçon de démographie historique par les cartes. Mais le démographe insiste également sur l’importance des fleuves. Au final, le réseau des villes français apparaît très stable dans le temps. Ainsi, parmi les dix plus grandes villes actuelles, sept l’étaient déjà en 1831.
Cette évolution s’est faite sur un maillage de communes moins figé qu’il n’y paraît. Des 43 035 communes créées à la Révolution, 28 000 n’ont jamais connu aucune transformation. Mais 15 000 ont connu au moins un changement et certaines en ont en commun un nombre certain. Deux grandes périodes ont été propices à ces absorptions, fusions, créations… Ainsi, les premières années (jusqu’en 1848) ont été marquées par de multiples réajustements. La situation s’est ensuite stabilisée avant une nouvelle période de remue-ménage au milieu des années soixante-dix.
À lire
- Hervé Le Bras et Emmanuel Todd : L’invention de la France, édition Gallimard, 2012