De l’art de l’intranquillité en géomatique

Catégorie: Entreprises, Formation, Institutions, Marché, Reportages, Utilisateurs

Les géomaticiens ne sont pas des gens tranquilles. Qu’il s’agisse de défendre leur service ou leur parcours personnel, les embûches sont nombreuses et le manque de reconnaissance pèse. C’est ce qui ressort du colloque de novembre dernier sur l’emploi et la formation ainsi que du séminaire organisé par le CNFPT qui a rassemblé plus d’une centaine de géomaticiens et géomaticiennes de la fonction publique territoriale.

Fluctuat nec mergitur, la géomatique devrait peut-être faire sienne la devise parisienne. Battu par les flots d’un océan de décideurs agités, le bateau géomatique n’en continue pas moins à avancer, contre vents de réformes et marées de restrictions budgétaires. Mais c’est au prix d’une intranquillité parfois difficile à porter.

En quête de reconnaissance

À la question « à quel niveau sont prises les décisions relatives aux orientations stratégiques du SIG dans votre collectivité ? », 75 % des répondants du dernier sondage effectué par le groupe SIG Topo des AITF, répondent que les élus ne sont pas impliqués. En effet, les décisions sont généralement prises par l’administration elle-même. La rareté des schémas directeurs spécifiques (qui ne concernent que 18% de la centaine de collectivités ayant répondu au questionnaire), le fait que le service dédié au SIG soit majoritairement situé aux niveaux N-2 (48 %) et N-3 (21 %), vont dans le même sens. Les élus sont en général peu concernés par l’information géographique, considérée comme un dossier purement technique. Pas étonnant du coup qu’ils se tournent d’abord vers leurs services de communication quand la technique devient politique, comme dans le cadre de l’open data. Et plus de la moitié des 1 820 géomaticiens et géomaticiennes qui ont pris le temps de répondre à la dernière enquête métiers menée par Géorezo, l’Afigéo et le GDR Magis pensent que le métier de géomaticien n’est pas suffisamment reconnu. Un sentiment largement partagé par celles et ceux qui se voient refuser le droit de présenter le concours d’ingénieur territorial alors qu’ils sont souvent en poste depuis plusieurs années et qu’ils ont le même parcours de formation que bien des collègues qui pilotent avec succès des services SIG. Alors qu’une fiche géomatique a été insérée dans les codes Rome depuis 2009, géomaticien reste « un métier en émergence » pour l’APEC.

Ce manque de reconnaissance n’est pas sans effet sur le marché de l’emploi. Pierre Lombard, chef du bureau SIG du conseil général de Seine-Saint-Denis, qui pilote une équipe de cinq personnes, s’en désole : « J’ai du mal à faire passer l’idée de profils spécialisés quand je dois recruter. » Car c’est bien là l’un des problèmes de la géomatique : elle recouvre des métiers très différents, et implique une large palette de compétences.

La géomatique est-elle condamnée à être une profession en perpétuel devenir ? Les services en charge de l’information géographique devront-ils toujours se positionner et se repositionner, comme l’a montré, dates et dénominations à l’appui, Jean-Marie Fournillier, remontant le cours de l’histoire du SIG du Grand Lyon ? « Mon boulot depuis trente ans, c’est de rédiger des schémas directeurs et de réorganiser le service » ironise le directeur du service de l’information géographique.

Un positionnement difficile

Il est certain que la nature transversale de l’information géographique, au service des services, ne facilite pas son positionnement organisationnel, dans une France qui aime les boîtes et les structures hiérarchiques, dont la culture d’ingénierie territoriale s’accorde mieux avec la notion verticale de projet que celle, bien trop horizontale, de ressources partagées. Pourtant, à la faveur des créations d’infrastructures de données géographiques (IDG), d’intercommunalités, de communautés urbaines et autres établissements publics de coopération territoriale, certains tirent leur épingle du jeu. Et c’est parfois dans les petits territoires que le portage politique se fait le mieux, comme à la communauté d’agglomération Loire Forez qui rassemble quarante-cinq communes en territoire montagneux autour de Montbrison (16 000 habitants). Ici, depuis 2004, le SIG est un projet mutualisé, porté par les élus avec une commande politique claire : « Un vrai bonheur » comme a tenu à le faire savoir Aline Bruyère lors du séminaire national SIG organisé fin novembre par le CNFPT à l’INSET de Montpellier. Malheureusement, au même moment, les IDG régionales, mêmes les plus importantes et les plus emblématiques comme le CRIGE PACA qui fêtait ses 10 ans en fin d’année, doivent se « bricoler » un budget pour passer l’année 2014. Les nouveaux contrats de projets État-région (quelles que soient leurs prochaines dénominations) n’étant pas encore définis, les structures de coopération autour de l’information géographique semblent bien fragiles. Le portage politique reste affaire d’hommes et de femmes personnellement convaincus, à l’image de Philippe Mussi, vice-président de la région PACA, qui a pris le temps de suivre le séminaire des AITF dont il a admiré « l’étonnante biodiversité », sensibilité écologiste oblige.

Malgré cette absence de conscience politique de l’utilité de l’information géographique, le bateau géomatique avance, les partenariats se nouent et perdurent, les usages se multiplient. Les journées organisées par les IDG régionales font généralement le plein comme Geopal et la PPIGE en décembre dernier (voir article page 18). S’il reste encore 29 % de « SIG centralisateurs uniques imposés à tous », 57 % sont désormais conçus comme des « plateformes d’applications SIG partageant des données géographiques mutualisées » selon le sondage AITF. Grâce aux évolutions technologiques, les usages se sont développés. Si les élus et décideurs ne perçoivent pas forcément tout l’intérêt de l’information géographique, les utilisateurs semblent, eux, l’avoir bien compris et ils font vivre leur patrimoine informationnel.

Ainsi, même si les géomaticiens regrettent leur manque de visibilité, ils reconnaissent que cela ne les entrave pas fondamentalement. 73 % de ceux interrogés par l’AITF pensent que le positionnement du service SIG ne les empêche pas d’être efficaces dans leurs missions. 85 % des répondants à l’enquête Afigéo sont optimistes, voire très optimistes sur les perspectives de l’emploi en géomatique à cinq ans.

Pas tranquilles, les géomaticiens, mais pas désespérés non plus, car ils connaissent la valeur de leurs savoir-faire, même s’ils ont du mal à le faire savoir.

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Métiers, compétences… l’impossible cartographie

Sous un même vocable, la profession de géomaticien regroupe des réalités très différentes. Parmi les nombreuses activités citées par les répondants de la dernière enquête métier, la cartographie occupe la première place. Elle est suivie par l’acquisition/intégration de données non topographiques, la mise en place, le développement et l’administration d’un SIG, avant les relations avec les partenaires et les activités d’échanges, une catégorie d’activité qui n’était classée qu’en septième position en 2003.L’analyse des résultats de l’enquête fait également ressortir quelques profils métiers, qui demanderaient à être détaillés : un profil enseignement/recherche/traitement d’image ; un profil modélisation spatiale, rédaction d’études ; un profil cartographe, développement de bases de données et acquisition de données à petite échelle ; un profil administration SIG, formation, échanges de données…

Les intitulés de postes sont également très variés et ne précisent que peu les missions attendues, qui restent très liées à la taille de l’organisme. Techniciens et techniciennes SIG, responsables SIG, administrateur SIG, chargé de mission SIG, chef de projet SIG, chargé d’études SIG, ingénieur d’études SIG… pas facile de savoir à quelle offre correspond son profil.

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Pas assez matheux les géomaticiens ?

L’accès au concours d’ingénieur territorial est de plus en plus refusé aux géomaticiennes et géomaticiens ayant eu un cursus universitaire. Pour preuve un extrait de la lettre de refus reçue par une personne ayant un master Pro en sciences du territoire avec une spécialité en ingénierie du développement territorial et deux ans d’expérience professionnelle en tant que chargé d’études géomatiques dans une agence d’urbanisme.

« Cette expérience est principalement basée sur la programmation, la gestion de bases de données et la production de documents cartographiques. Elle n’a pas permis de démontrer ni de justifier que l’intéressé a acquis l’ensemble des compétences scientifiques contenues dans les diplômes requis au concours et qui lui auraient permis, dans son cas particulier, la conception d’un système d’information complexe : les mathématiques, la physique, la programmation scientifique avancée… »

 

 

• Pour accéder directement à la synthèse du colloque Métiers et compétences en géomatique : des formations aux emplois, avancées concrètes et perspectives du 14 novembre 2013 au CNAM, suivez ce lien