Environnement, santé, territoire : le triptyque d’avenir
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Longtemps concentrés sur les seules problématiques de soins, les acteurs de la santé ont désormais bien conscience des relations complexes mais étroites entre santé et environnement. Du coup, la composante territoriale entre en force dans les études, et les cartes se multiplient.
« Le soin ne contribue qu’à hauteur de 11% à la santé », rappelle Laurence Tandy. De nombreux phénomènes agissent sur notre état de santé, dans des proportions et avec des effets cumulés encore mal cernés. La rencontre entre bases de données sur les patients, les pathologies et un certain nombre de facteurs environnementaux ne peut se faire sans analyse spatiale.
Eau, air, bruit… à la loupe
Différents paramètres environnementaux sont désormais à l’étude et les observatoires se multiplient, sur le radon, le bruit, la qualité de l’air et de l’eau, la vétusté des bâtiments…
L’INSERM mène par exemple plusieurs études sur le cancer de l’enfant. Le programme Geocap de géolocalisation de cancers pédiatriques a donné lieu à divers articles et thèses sur les expositions environnementales (champs magnétiques, polluants divers, routes, sites industriels…). Un article a été publié récemment sur le risque de leucémie aiguë chez l’enfant à proximité des routes à fort trafic. Elle s’appuie sur les 2 760 cas de leucémies diagnostiqués chez des enfants de moins de 15 ans en France métropolitaine entre 2002 et 2007. Les résultats montrent une fréquence de nouveaux cas plus élevée de 30 % sur les leucémies myéloblastiques chez les enfants dont la résidence se situe à moins de 150 m d’une route à grande circulation qui sont exposés sur une longueur de plus de 260 m.
Quand les données manquent, les bases géographiques s’avèrent utiles. « Les occupations du sol à grande échelle, le RGE permettent d’enrichir les analyses en termes d’exposition, explique Perrine de Crouy-Chanel. Pour étudier les pesticides par exemple, c’est un moyen pour contourner le manque d’information sur les diffusions réelles de produits dans l’atmosphère ou les sols. »
Une approche renouvelée des inégalités territoriales
Depuis quelques années, chercheurs et responsables de santé publique s’intéressent aux effets cumulés des facteurs environnementaux et à leurs conséquences dans la formation d’inégalités territoriales de santé, qui ne peuvent plus être étudiées du seul point de vue des temps d’accès aux soins.
Ainsi, Equit’Area, mené par des chercheurs de l’EHESP de Rennes « explore la contribution de certaines pollutions et nuisances environnementales aux importantes inégalités de santé qui existent en France et qui ont tendance à croître au cours de la dernière décennie. » Des études ont été produites sur Paris, Lille, Lyon et Marseille. Les dernières données publiées datent de 2006 mais le projet a permis de mettre en relation un indicateur de « défaveur » socio-économique avec des taux d’exposition et questionne ainsi l’équité des politiques de réduction de la pollution de l’air en regard des inégalités sociales.
Ces travaux ont largement inspiré ceux menés par l’ARS PACA sur les inégalités territoriales de santé en 2014, repris à leur tour par d’autres ARS, notamment en Limousin-Aquitaine-Poitou-Charentes. Au cœur des plans régionaux santé environnement (PRSE), les ARS doivent en effet produire des diagnostics territoriaux, qui ne peuvent se faire sans analyse spatiale.
Pour composer leur indicateur, les analystes ont mobilisé différentes sources de données, agrégées aux cent trente-trois espaces de santé de proximité (ESP) qui couvrent le territoire régional : qualité de l’air (NO2, O3, PM10) fournis par Air PACA, qualité de l’eau (conformité bactériologique et présence de pesticides) recueillis par l’ARS, inventaire des anciens sites industriels et des sites et sols pollués (BASIAS du BRGM) et habitat potentiellement indigne combiné à l’ancienneté de la construction (FILOCOM). Une première analyse en composante principale fait ressortir un gradient Nord/Sud et Est/Ouest sur le pourtour méditerranéen. Elle montre également une forte pression sur les régions côtières et urbaines, mais s’appuie avant tout sur les variables de la qualité de l’air. Une deuxième analyse en classification ascendante hiérarchique définit quatre profils environnementaux des territoires, qui ne sont pas en contradiction avec la première analyse mais montrent que les facteurs environnementaux ne sont pas toujours cumulatifs.
Études à l’échelle urbaine
Les ORS interviennent également dans les évaluations d’impacts sur la santé de projets urbains. « Nous avons par exemple étudié le projet de réaménagement de la friche Saint-Sauveur à Lille dès sa conception afin d’anticiper ses impacts possibles sur la santé, commente Olivier Lacoste. Les SIG sont très intéressants dans cette approche où nous étudions les questions relatives à la qualité de l’air, au bruit, aux îlots de chaleur. » C’est un travail qui ne peut se faire qu’en étroite collaboration avec les agences d’urbanisme, les aménageurs, les responsables des transports publics, les associations de surveillance de la qualité de l’air et les collectivités. Elle a donné lieu à la production d’analyses et d’indicateurs synthétiques qui ont été pris en compte dans le projet d’aménagement. Ce rapprochement avec les agences d’urbanisme est dans les gènes mêmes de certains ORS, comme en région parisienne où l’observatoire est hébergé dans les locaux mêmes de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU).
La télé-épidémiologie, fer de lance du CNES |
La télé-épidémiologie existe depuis au moins une quinzaine d’années. Elle consiste à analyser les relations climat-environnement-santé par télédétection spatiale. Il s’agit de mettre en évidence les liens entre l’émergence ou la propagation des maladies infectieuses et les changements climatiques et environnementaux. Elle concerne encore essentiellement les maladies infectieuses liées à des moustiques (dengue, paludisme…), même si certaines études ont été menées sur les rongeurs. |
Pratiquée pendant longtemps à l’échelle continentale, elle aborde désormais des échelles plus opérationnelles grâce à la très haute résolution. La dengue, par exemple, qui est une maladie très urbaine, ne peut se contenter d’images SPOT 5 et il faut des images Pléiades ou GeoEye pour l’aborder, comme ce fut par exemple le cas en Martinique. Les images ont permis d’établir des cartes d’occupation du sol assez précises pour identifier les gîtes (distinction entre bosquets d’arbres, zones de bitume…). En combinant observation de la terre et météorologie, il est désormais possible d’éditer quotidiennement des cartes de recommandation de traitement à 10 m de résolution. |
L’analyse peut aller au-delà des cartes d’occupation du sol. La turbidité de l’eau, la production chlorophyllienne, l’humidité… autant de facteurs qui peuvent influer sur la production larvaire. |
Une étude emblématique a été menée au Sénégal sur la fièvre de la vallée du Rift. Les empreintes des mares qui se remplissent en saison des pluies ont été cartographiées. Ce sont ensuite les variations de niveau dans ces mares qui sont étudiées. Ces variations sont en effet responsables de la production des moustiques avec un niveau d’agressivité variable selon leur ampleur et les périodes de l’année. Deux moustiques différents sont concernés, qui n’ont pas tout à fait le même comportement, ce qui a impliqué de modéliser deux coefficients d’agressivité. Une couche de végétation est également exploitée (qui indique la distance à parcourir pour les moustiques) pour aboutir à la carte journalière. |
Les études sont nombreuses, d’autant plus que ces maladies infectieuses concernent désormais les pays du Nord. Mais elles ont du mal à passer en mode opérationnel. Il aura par exemple fallu une dizaine d’années pour que les travaux effectués au Sénégal aboutissent à un service opérationnel dont le transfert technologique est en cours d’étude. |