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Géocollaborer n’est pas jouer

| 20 mai 2013 | 0 commentaire

Catégorie: Cadastre, Cartographie, Données, Entreprises, Environnement, IDG/IDS, INSPIRE, Institutions, Logiciels, Open Data, Premium, Reportages, Standards, Utilisateurs, WebMapping

©Pigma

©Pigma

Mutualiser, harmoniser, partager, collaborer, coproduire… impossible désormais d’échapper à ce vaste mouvement qui ne laisse aucun acteur de l’information géographique à l’abri dans son pré, aussi carré soit-il. Les avantages sont nombreux et sont régulièrement présentés, alimentant tous les discours, des plus politiques aux plus techniques. Nous n’y reviendrons pas. Mais est-ce facile de réfléchir et d’agir à plusieurs ? Y arrive-t-on toujours ? Entre les lignes des nombreuses interventions des dernières Rencontres des dynamiques régionales à Bordeaux, se dessinent quelques-unes des principales difficultés rencontrées.

La géocollaboration ou la mort ! Le thème des septièmes Rencontres des dynamiques régionales organisées par l’Afigéo et Pigma en Aquitaine avait beau être présenté de façon plus policée (« la coproduction de données géographiques pour la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques »), l’injonction était bien là. Et chacun s’est plié à l’exercice, qui en expliquant tous les bénéfices tirés d’informations plus accessibles, qui en montrant comment son partenariat s’est mis en place, qui, enfin, en listant toutes les couches ainsi constituées. La force des discours était telle que, malgré des retours d’expériences plus que louables, on était en droit de se demander s’il n’y avait pas là un petit air d’incantation. Fallait-il convaincre les derniers résistants ? Rassurer celles et ceux qui dépensent une énergie non négligeable dans des processus compliqués ? Ou bien légitimer l’action des infrastructures de données géographiques régionales (IDG) à l’aube des nouveaux (et néanmoins hypothétiques) contrats de projets État/régions ?

Un chantier encore en construction

Car la géocollaboration n’est pas une activité de tout repos et nous sommes encore loin de vivre dans un monde parfait. Pour s’en rendre compte, il suffit de partager le « géorêve » de Pierre Macé, directeur de Pigma, l’IDG régionale invitante : « J’imagine un mode de fonctionnement où toute nouvelle donnée serait systématiquement intégrée dans une IDG, où chaque nouveau zonage accompagnant un texte de loi serait numérisé une fois et une seule, où chaque marché impliquant une intervention sur le domaine public s’accompagnerait de la livraison de plans de récolement directement intégrables, où chaque rapport ou étude produit par une entité publique serait accompagné des données numériques ayant permis sa création, etc. »

Vous préférez un exemple plus concret et immédiat ? Les Rencontres se tenaient à quelques kilomètres du nouveau pont Chaban-Delmas sur la Garonne, inauguré une dizaine de jours plus tôt. Matthieu Noucher, chercheur au laboratoire Ades n’a pas manqué de faire remarquer que le pont était visible depuis plusieurs mois sur Google Maps à la fois sur la photo aérienne (prise pendant les travaux) et dans les bases vectorielles, quitte à autoriser des calculs d’itinéraires en l’empruntant alors qu’il n’était pas ouvert. S’il était visible sur les scan des cartes du Géoportail de l’IGN, il ne l’était pas encore dans les couches vectorielles. Enfin, il était inconnu chez Mappy et sur le fond Pigma présenté sur le site de l’IDG. Et ce sont finalement les coproducteurs les moins « organisés » qui sont les plus justes, puisque le pont est apparu sur OpenStreetMap rapidement après son ouverture. Une situation inchangée six semaines après l’ouverture !

Le nouveau pont vu par OSM

Le nouveau pont vu par OSM

Gérer la complexité de l’organisation territoriale

Deux IDG en Suisse, mais pas aussi complètes l'une que l'autre...

Deux IDG en Suisse, mais pas aussi complètes l’une que l’autre…

Même les expériences les plus emblématiques ont leur part d’ombre. Ainsi, la Suisse qui est souvent citée comme l’exemple même de la mise en œuvre d’une IDG nationale, avec sa « loi sur la géoinformation » organisant la production et le partage, et son format d’échange INTERLIS, est à la peine. Robert Balanche de l’Office fédéral de la topographie en a bien montré les limites. « Notre système fédéraliste nous oblige à négocier très longuement avec les cantons pour la mise en place de notre IDG nationale ». Si les données géographiques concernent tout le monde dans tous les domaines, la mentalité fortement individualiste, les différences de moyens et de langues, poussent certains cantons à ne participer que très mollement à l’alimentation de l’infrastructure nationale. Par endroits, « les discussions durent depuis dix ans ! » Aussi, le portail des données agrégées des cantons (www.ikgeo.ch), est bien plus vide que le Géoportail fédéral (www.geo.admin.ch), qui présente celles issues des différents offices fédéraux et rassemble à ce jour plus de deux cents couches géographiques.

Si la plupart des IDG régionales en France ont pu rassembler services de l’État, collectivités et structures parapubliques autour d’une même table, certaines n’ont pas réussi à mettre en place une gouvernance mixte. Et même quand tous les acteurs publics sont rassemblés sous une même bannière, le double pilotage peut s’avérer lourd à gérer. Parfois, les tensions sous-jacentes peuvent se cristalliser autour de problèmes aussi éloignés du bien commun que le choix d’une salle pour une réunion publique ou l’ordre de passage et le niveau hiérarchique des intervenants. La coopération autour du territoire reste un sujet complexe, à tous les niveaux. Même si chacun sait qu’il a besoin des autres, la peur de perdre sa visibilité reste rampante.

Indispensable animation

Quand un véritable dispositif de coproduction se met en place, l’effort d’animation est intense et doit être mené avec doigté. Ainsi, au CRIGE PACA, pas moins de trois permanents sont mobilisés pour assurer la coordination des neuf pôles métiers. Ils se chargent de rassembler les acteurs et d’assurer la logistique des réunions (quasiment une par semaine). Ils ont la délicate mission de faire en sorte que les feuilles de route soient respectées alors que les participants ont tous autre chose à faire une fois qu’ils sont rentrés « à la maison ». Les animateurs, qui appartiennent à des structures adhérentes, doivent définir les axes de travail, trouver les financements et faire connaître les travaux de leur pôle. Des missions qui prennent du temps et nécessitent une bonne légitimité, que ce soit vis-à-vis de son organisme de rattachement ou des autres membres du pôle en question. « Il est important de permettre à l’animateur de valoriser sa participation » ajoute Christine Archias, directrice du CRIGE PACA. Il faut ensuite trouver le bon rythme de renouvellement des animateurs car plusieurs dangers les guettent : épuisement, concurrence entre les missions, perte de leur légitimité, etc.

Producteurs locaux, producteurs low cost ?

Côté technique, si « l’interopérabilité n’est plus un rêve d’informaticien » comme le rappelle Matthieu Noucher, elle implique une standardisation qui peut aller à l’encontre des « particularismes locaux » comme le disait François Élie, président de l’ADULLACT, cité par Marc Leobet, en charge du dossier INSPIRE au ministère du Développement durable. Mais ce qui est vrai dans le domaine de la coproduction de logiciels (avons-nous vraiment besoin de plusieurs plateformes techniques open source pour les IDG telles que Prodige, geOrchestra, EasySDI et Amigo ?), l’est-il pour les données ? Pourquoi dépenser de l’énergie et s’asseoir autour d’une table pour essayer de concilier différentes visions des informations géographiques nécessaires à l’exercice de son métier si ce n’est pour y faire entrer du local, du spécifique ? Concevoir des bases de données géographiques est toujours un exercice de réduction du réel. Vouloir réduire encore ces données à un ensemble de briques homogènes sur tout le territoire, définir un plus petit dénominateur commun, est le rôle de l’IGN et des organismes nationaux de production. Même si ce tronc commun est de plus en plus riche (on est passé de la BD Carto à la BD Topo, de la BD Ortho à 50 cm à celle à 30 cm…), le rôle des acteurs locaux est bien de compléter cette vision par leurs particularismes, par leur vision « plus proche du terrain » : une nomenclature adaptée à la forêt méditerranéenne ou au phénomène du mitage dans le Sud, une résolution spatiale différenciée en fonction des enjeux (et des financeurs) pour une orthophotographie, une mesure de l’extension urbaine négociée entre partenaires…

Il ne peut y avoir de production locale sans particularisme, les producteurs locaux ne sont pas des producteurs au rabais, au contraire. Les concepteurs d’OpenStreetMap l’ont bien compris. La notion de Tag, à la fois précise mais largement ouverte, permet à chacun d’introduire sa touche, même personnelle. Et c’est là que l’interopérabilité doit jouer son rôle, en permettant une réconciliation de visions multiples et particulières. Le métier d’intégrateur a de beaux jours devant lui.

Un travail d’orfèvre

Quand la collaboration consiste à faire produire des bases par un sous-traitant externe, il faut se mettre d’accord sur un cahier des charges (et s’assurer qu’il est réaliste) et donc définir le niveau de compromis a priori. L’exercice n’est déjà pas facile car la conciliation des différentes visions de ce qui peut sembler être un même objet géographique (une forêt par exemple) n’a rien d’évident. Quand cette production doit être assurée par les partenaires eux-mêmes, en récupérant et en assemblant différentes sources, le travail devient à la fois sémantique et technique. Ainsi, Fabien Blanchet, du forum des marais atlantiques qui assure la coordination du pôle métier sur la biodiversité de GeoPal (IDG des Pays de la Loire), a montré les difficultés auquel son groupe doit faire face. Ils doivent faire leur chemin au milieu de 90 lots de données, 25 cartes et 35 services WMS afin d’en extraire ce qui peut être utile au plus grand nombre. « Certaines données sont peu compatibles en l’état. Pour d’autres, nous construisons un socle commun attributaire en extrayant quelques attributs de chaque base. L’échelle de représentation est également objet de discussions intenses. »

147-DynReg-Presdechezmoi-webToutes ces difficultés n’empêchent pas les acteurs de l’information géographique d’avancer. Pigma a d’ailleurs profité des Rencontres bordelaises pour signer deux partenariats, l’un avec l’IGN autour de l’adresse et l’autre avec GRDF. Des projets comme « Près de chez moi » (http://presdechezmoi.aquitaine.fr/) qui vient d’être lancé, prouvent qu’il est possible de travailler la collaboration à plusieurs niveaux. Le service en ligne d’informations locales associe à la fois la récupération de données officielles (INSEE), l’animation locale (via un correspondant en commune) et la contribution ouverte. Il est également doublé d’un outil de pilotage plus professionnel sur l’attractivité des territoires.

Ainsi, approches grand public et professionnelle, associant acteurs de la sphère publique et du monde privé, basées à la fois sur des informations officielles et communautaires… sont désormais possibles. Et c’est dans ce monde aux frontières floues que les IDG régionales doivent négocier leurs futurs financements et trouver leur positionnement. Un exercice qui est loin d’être simple !

Dans le cadre de sa thèse, Jade Georis-Creuseveau a enquêté sur la contribution des IDG à la gestion des territoires. Elle a interrogé plus de 700 personnes participant plus ou moins intensément à une IDG. Si les avis sont presqu’unanimes pour saluer les bénéfices globaux et informationnels de cette participation, ils sont plus partagés sur les bénéfices inter organisationnels et territoriaux voir principalement négatifs sur les bénéfices économiques et sociaux.

Dans le cadre de sa thèse, Jade Georis-Creuseveau a enquêté sur la contribution des IDG à la gestion des territoires. Elle a interrogé plus de 700 personnes participant plus ou moins intensément à une IDG. Si les avis sont presqu’unanimes pour saluer les bénéfices globaux et informationnels de cette participation, ils sont plus partagés sur les bénéfices inter organisationnels et territoriaux voir principalement négatifs sur les bénéfices économiques et sociaux.

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