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Interrogations cartographiques

| 15 décembre 2015 | 0 commentaire

Catégorie: Cartographie, Données, Grand public, Institutions, Livres, Arts, Expos, Recherche, Reportages, Utilisateurs

Quand artistes, architectes, urbanistes, anthropologues et philosophes se posent la question de la fin des cartes, les réponses sont forcément multiples et parfois déroutantes pour les géographes.

La fin des cartes ? Drôle de sujet pour une rencontre interdisciplinaire. Les cartes seraient-elles en train de mourir sous les coups de boutoir du numérique ? Seraient-elles incapables de rendre visible les enjeux du monde actuel, plus constitué de réseaux que de zonages statiques ? Devrait-on les bannir en tant qu’expression ultime de la domination occidentale sur un monde artificialisé qui court à sa propre destruction ? Face à ces nombreuses questions, chacun est venu avec ses pratiques, ses expériences et son bagage théorique.

Aux limites de la cartographie scientifique

La carte scientifique, représentation zénithale inscrite dans un repère orthonormé et transcrivant différents objets inscrits dans l’espace à l’aide de signes graphiques, n’est pas toujours efficace. Les émotions lui échappent, tout comme le flou. Elle peine à rendre compte des points de vue des habitants face à un projet d’aménagement par exemple. Pour Jean-François Coulais, professeur à l’ENSA de Paris-Belleville, « la carte scientifique ne serait qu’une parenthèse dans l’histoire des cartes ». Elle a par exemple mis les architectes à distance du terrain qu’ils doivent maintenant se réapproprier. Alors, il faut construire de nouvelles représentations.

Représentations d’ici et d’ailleurs

Ainsi, pour faire comprendre un espace aussi complexe que la frontière entre Israël et la Cisjordanie, Cédric Parizot a pris l’option du jeu, qui permet d’incarner une fable, celle d’un jeune Palestinien flâneur. Ici, plus de carte zénithale, qui donnerait l’illusion de connaître tout le territoire. Au contraire, aidé d’un artiste, l’anthropologue ne propose que des visions immersives ou légèrement surplombantes et n’hésite pas à tordre l’espace euclidien, pour garder une vision un peu floue du territoire.

Pour aider les villageois de Stolac en Bosnie-Herzégovine à aménager leurs espaces publics, les paysagistes de Coloco se sont rendu compte que le seul élément qui faisait sens pour tous les habitants était la rivière. Son tracé a été peint sur un mur de la place publique et ce nouvel objet visuel est en quelque sorte devenu le plan local d’urbanisme de la ville. Devant cette représentation, les aménagements participatifs ont été discutés.

WEB-172-findescartes-colocoLes inspirations peuvent également venir du passé et de cultures non occidentales. Les cartes produites par les Aborigènes, par exemple, sont à la fois des cartes et des motifs, comme l’a bien montré l’anthropologue Barbara Glowczewski. Elles permettent de raconter une façon d’habiter différente, elles nourrissent les récits de vie, elles disent les parcours en s’affranchissant des distances euclidiennes.

Retour de la contre-cartographie

Mais la carte est un objet suffisamment polymorphe pour pouvoir être détournée et donner à voir ce que certains préfèrent ignorer. Dans le monde de la contre-cartographie, la carte devient un outil de revendication politique. C’est tout le sens du travail mené depuis les années quatre-vingts par le collectif Stalker en Italie, qui dénonce par exemple la concentration progressive des camps de Roms autour de Rome, tout en montrant comment la vie s’y organise. Citons également le travail de Karine Comby, artiste et doctorante qui s’est intéressée à un centre de Pôle emploi, où elle a elle-même travaillé. Dans 5 jours-homme, elle présente tous les déplacements effectués par Cédric, un agent du Pôle pendant une semaine de travail. Kilomètres parcourus, nombre de pas… Elle détourne la tyrannie du chiffre (des indicateurs de performance) et du traçage pour produire une carte à la fois esthétique et politique. Les outils les plus modernes peuvent également devenir des objets de contre-pouvoir : les GPS aident les migrants venant de Syrie à se déplacer à travers forêts et campagnes pour trouver de nouveaux passages des frontières.

L’une des nombreuses cartes produites par le collectif Stalker et présentée par Francesco Careri. Elle porte l’attention sur des sujets peu traités : les communautés de citoyens, les rencontres, les lieux d’hospitalité, les lieux accessibles et inaccessibles, les immeubles industriels occupés, les habitats temporaires, les situations critiques...

L’une des nombreuses cartes produites par le collectif Stalker et présentée par Francesco Careri. Elle porte l’attention sur des sujets peu traités : les communautés de citoyens, les rencontres, les lieux d’hospitalité, les lieux accessibles et inaccessibles, les immeubles industriels occupés, les habitats temporaires, les situations critiques…

La carte, les dispositifs géonumériques ne sont pas bons ou mauvais par nature et chaque contexte d’utilisation doit être étudié avec soin pour en comprendre le fonctionnement. « Il faut considérer la carte comme un objet de design total. Le centre de l’attention n’est pas dans l’objet lui-même mais dans le flux de relations qui s’organise autour de la carte » recommande en conclusion Jean-François Coulais, bien décidé à réinventer la carte à l’heure du virtuel*.

 

Marge

La fin des cartes
La fin des cartes ? est un projet collectif associant différents laboratoires de recherche, collectifs et le CSTB. Il a été initié en 2013 et a donné lieu à des rencontres, séminaires, journées d’études, interventions et expositions. Il s’est conclu mi-novembre par un colloque à l’École nationale supérieure d’architecture (ENSA) de Paris-Belleville et devrait se prolonger par une publication en 2016. www.lafindescartes.net

 

* Images virtuelles et horizons du regard, visibilités calculées dans l’histoire des représentations par Jean-François Coulais, chez MetisPresses, 38€

 

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