La Guyane, territoire du satellitaire à plus d’un titre
Catégorie: Cartographie, Données, Environnement, IDG/IDS, Imagerie, Institutions, Reportages, Satellite/Spatial, Utilisateurs
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La Guyane et l’espace, c’est une longue histoire, qui ne peut se réduire au centre spatial de Kourou. Pour preuve, le séminaire et les ateliers qui se sont tenus les 11 et 12 avril derniers à Cayenne et qui ont réuni une cinquantaine de participants sur le thème « Observation de la terre par satellite : enjeux et usages pour la Guyane ». L’occasion de découvrir une région qui a développé des applications très opérationnelles, mais qui restent fragiles.
84 000 km2 couverts à 96 % par la forêt tropicale, 270 000 habitants répartis le long de la côte et à l’aval des deux principaux fleuves… La Guyane ne ressemble à aucune autre région. Cette enclave française en Amérique du Sud doit faire face à de multiples problèmes : pression démographique avec ses conséquences sur l’urbanisme, l’agriculture et les services publics en général ; orpaillage illégal ; isolement ; déforestation, etc.
De multiples usages
Pour répondre à ces enjeux, voilà déjà de nombreuses années qu’elle s’appuie sur l’imagerie satellitaire ; « En 1999, on a réalisé la première carte sur les zones humides avec des données Landsat » rappelle Sébastien Linarès, aujourd’hui chef de projet à l’état-major de lutte de contre l’orpaillage et la pêche illicites à la Préfecture, mais autrefois en poste à la DIREN devenue DEAL il y a dix ans. Landsat puis les différentes générations de satellites SPOT ont permis de mener de nombreuses études et de cartographier un territoire mal connu. Pourtant, l’affaire n’était pas gagnée car la Guyane est bien souvent sous les nuages. Même lorsqu’une antenne de réception directe a été installée au centre IRD de Cayenne en 2006 (SEAS), il a fallu convaincre SPOT Image (Airbus Defence & Space aujourd’hui) de ne pas appliquer les règles habituelles qui bloquent l’acquisition quand le couvert nuageux est trop important. Pendant cinq ans, le dispositif a capté de nombreuses images. Ainsi, dès 2008, une mosaïque complète avec une résolution de 2,5 mètres a servi de base à la réalisation de la BD Carthage. Le BRGM a effectué des études sur la turbidité des grands cours d’eau grâce au canal proche infrarouge de SPOT 5. L’ONF et le Parc Amazonien de Guyane répertorient les formations végétales particulières et travaillent, avec l’IRD, à comprendre les capacités de résilience de la forêt au changement climatique.
Les images satellitaires guident également les acquisitions en Lidar aérien menées par l’ONF afin de préciser les volumes de bois et le relief, essentiels avant d’envisager toute exploitation dans un espace forestier très difficile d’accès. Côté DAAF, Sentinel 2 sert aujourd’hui à caractériser l’occupation agricole des sols, à la réalisation d’un masque forêt tandis que les données radar de Sentinel-1 sont testées pour le suivi de la déforestation. Plusieurs thèses sur les milieux aquatiques font appel à la télédétection, notamment sur la couleur de l’eau… La liste des usages est loin d’être exhaustive.
En une vingtaine d’années, malgré les nuages, de nombreuses applications ont su tirer profit de l’imagerie satellitaire rendue accessible aux acteurs publics via des processus comme SEAS (l’antenne de réception directe), Geosud, la délégation de service public Pléiades ou Copernicus.
Observatoire de l’activité minière
Dès 2008, un observatoire de l’activité minière (OAM) est mis en place par le Préfet. Il s’agit de détecter le plus tôt possible les chantiers illégaux qui ne cessent de se multiplier et d’orienter les missions des forces d’intervention. Grâce aux travaux de Valéry Gond du Cirad puis de Sébastien Linarès, deux phénomènes sont suivis dans un premier temps grâce à un processus semi-automatique basé sur des images SPOT 5 acquises via l’antenne SEAS : la déforestation et la turbidité des eaux, bons indicateurs de la présence de chantiers. L’information, qui peut également servir à suivre les chantiers légaux, doit être partagée entre les différents partenaires concernés : Forces armées, Gendarmerie, Parc Amazonien de Guyane, ONF, DEAL, DAAF, Préfecture. Après plusieurs évolutions techniques, et notamment l’abandon de la couche turbidité, impossible à générer efficacement sans SPOT 5, l’observatoire a continué son existence et a su s’adapter aux nouvelles sources satellitaires. Il s’appuie aujourd’hui principalement sur la détection semi-automatique à partir des données Sentinel-2 et l’analyse visuelle d’images Pléiades sur certains petits chantiers. Sentinel-1 est testé pour fournir une couche d’évolution de la déforestation. « Depuis le début de l’OAM, 2 087 images ont été traitées » se félicite Sébastien Linarès. Ces données de base sont utilisées par les agents de terrain, après confirmation des détections. Ces derniers maintiennent une base de données des exploitations qui s’appuie également sur les mesures prises lors des missions (relevés GPS). La création d’un nouvel état-major dédié en janvier 2019 devrait renforcer la circulation de l’information entre les partenaires concernés autour d’une plateforme modernisée.
Suivi des constructions illicites
En 2011, 40 % des constructions sur 9 communes littorales étaient illicites. Sous la pression démographique et dans un contexte foncier bien particulier (l’État est propriétaire de plus de 96 % des terres), l’habitat informel se développe, avec ses problèmes de pauvreté, de densité, d’insalubrité, de sécurité ainsi que d’occupation de zones à risques ou à enjeux environnementaux… En 2016, le Préfet a souhaité mettre en place un pôle de lutte contre les constructions illicites. Dans ce cadre, Jordan Ropars, alors élève ingénieur au CNAM, a étudié le potentiel des images satellitaires dans le cadre de son travail de fin d’études. La méthode qu’il a proposée s’appuie à la fois sur les images Sentinel-2 pour identifier les zones de déforestation et la photo-interprétation d’images très haute résolution pour l’identification des constructions concernées sur des zones à enjeux déjà identifiées. Grâce à un accès gratuit à Pléiades via Geosud, la DEAL, qui pilote le dispositif a pu récupérer suffisamment d’images (5 pendant la saison sèche en 2017 par exemple) sur la zone de Cayenne pour mettre en œuvre la méthode. Désormais opérationnelle, elle permet de suivre mensuellement la progression du phénomène. Les collectivités qui s’engagent dans cette lutte contre les constructions illicites reçoivent donc régulièrement des rapports illustrés et précis des évolutions sur leur territoire. Mais le manque de moyens et de réponses (que faire des personnes à reloger ?) limite l’implication des acteurs territoriaux, d’où l’importance d’une détection précoce (avant la construction) à l’aide des images Sentinel (NDVI). Les collectivités ont rarement le personnel technique pouvant prendre en main les données, qui « dorment » dans les tiroirs.
Une situation fragile
Même si la Guyane est sans doute l’une des rares régions à avoir un usage aussi opérationnel de l’imagerie satellitaire, sa situation reste fragile. Le manque de sensibilisation des décideurs, la difficulté à maintenir des compétences, l’absence d’animation sont les trois points les plus mis en avant par les participants au séminaire. Ils avaient également été relevés par Realia dans son étude pour un Schéma Territorial de l’Information Géographique en Guyane menée en 2017, ainsi que dans l’étude sur « Les possibilités de développement de l’usage de la télédétection satellitaire en DEAL » réalisée en 2018 par le groupe Magellium, Artal et Rouge Vif (l’éditeur de DécryptaGéo). Des faiblesses bien connues des acteurs territoriaux de métropole mais qui semblent exacerbées en Guyane où perdurent deux plateformes régionales, GéoGuyane portée par les services de l’État et Guyane SIG porté par la CTG. La grande partie des compétences techniques, au-delà d’un petit « noyau dur » de quelques spécialistes historiques, repose sur des volontaires en service civique, dont les contrats sont de plus en plus difficiles à renouveler. Aujourd’hui la CTG, créée en 2015 pour reprendre les compétences de la région et du département, porte le nouveau projet SEAS dont tous attendent beaucoup. Même si elle apparaît comme un acteur territorial légitime pour assurer l’animation autour de l’information géographique, elle est elle-même en phase de recrutement de son chef de projet SIG. À la DEAL, il n’y a plus de compétences en télédétection depuis le début de l’année.
Le caractère très opérationnel des missions menées au PAG, à l’ONF, à la DEAL, à la DAAF, à la Préfecture est à la fois la force et l’une des faiblesses de la télédétection en Guyane. Force car il a poussé chacun à avancer, à trouver des solutions, à les mettre en œuvre, à se remettre en cause si nécessaire. Faiblesse, car il limite le temps consacré aux échanges et à l’observation à plus long terme, à la construction d’une connaissance plus transversale et partagée du territoire. Ainsi, quand la DEAL mène son observatoire des constructions illicites à la demande du Préfet pour des missions de police, l’agence d’urbanisme (Audeg) observe elle-aussi ces quartiers avec d’autres méthodes pour en comprendre la dynamique spatiale et sociale.
Après deux jours de séminaires et d’ateliers, les acteurs guyanais semblent convaincus de la nécessité d’avancer ensemble, de capitaliser sur leurs expériences, de mutualiser les compétences afin de les stabiliser, de se mettre autour de la table pour construire les référentiels et les données thématiques dont ils ont besoin. Les organismes de recherche comme l’IRD, le CNES, également porteurs de SEAS III, étaient présents pour les soutenir. Ces deux jours ont en outre été l’occasion de découvrir une toute jeune association OpenStreetMap Guyane, qui a bien l’intention d’être « dans la boucle » elle-aussi et qui a sans doute beaucoup à apporter. La Guyane sera-t-elle demain reconnue comme un territoire d’exception en termes d’utilisation de l’imagerie satellitaire ? Tous semblent avoir la volonté d’agir… Reste à avancer concrètement.