Madagascar ou l’enfumage cartographique
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Partie en fumée, la forêt malgache ? C’est en tout cas ce que répètent en chœur scientifiques, ONG, médias et politiques. Et s’il s’agissait plutôt d’un écran de fumée ? Xavier Amelot, géographe à l’université de Bordeaux Montaigne (laboratoire Adess) a mené l’enquête.
Depuis les années quatre-vingt, Madagascar est devenu l’un de ces territoires symboliques, durement touchés par la déforestation et la perte de biodiversité qu’il est urgent de protéger. Pour Yann Arthus-Bertrand par exemple, le constat est sans appel : « Depuis des siècles est pratiquée sur l’île une agriculture sur brûlis appelée tavy, qui, du fait d’une surexploitation au cours des dernières décennies s’est révélée particulièrement dévastatrice pour les milieux naturels. En effet, en raison de l’importante croissance démographique […], Madagascar subit une déforestation anarchique effrénée. L’expansion agricole a entraîné la disparition de plus des 4/5e de la forêt primaire qui couvrait 90 % de l’île au début du siècle et, chaque année, près de 1 500 km2 de forêt sont détruits » (365 jours pour la terre, édition de La Martinière, 2000).
À la recherche de la forêt primaire
Mais d’où vient cette certitude que l’île était couverte de forêt primaire au début du XXe siècle ? C’est en fouillant dans les bibliothèques de l’université de Tananarive que Xavier Amelot a commencé à douter fortement de la véracité de cette assertion. Les plus anciens chiffres qu’il trouve datent du début de la colonisation et sont fournis par les services forestiers de la colonie. Ils annoncent 12 millions d’hectares de forêt (120 000 km2), ce qui est déjà bien en deçà des 90% de la surface de l’île (soit 531 000 km2). Certainement exagérés, ils ont surtout pour mission d’attirer les colons pour exploiter la manne forestière. Ces mêmes services forestiers constatent d’ailleurs une forte déforestation : la forêt couvrait une surface de 7 millions d’hectares en 1921, moitié moins en 1927 pour descendre à 1,4 en 1934. Pourquoi des chiffres si alarmistes ? Il faut dire que la connaissance de l’île est très partielle et que les mesures se font principalement le long des principales voies de communication. « Nous sommes dans le discours colonial destiné à justifier l’accaparement » résume Xavier Amelot. Oublions les savanes anciennes et la vraie géographie de l’île, oublions également le savoir-faire des paysans en matière de pastoralisme et d’abattis-brûlis, diabolisons les feux, confondant au passage feux de brousse et feux de forêts pour instaurer la vision d’indigènes irresponsables. « Et aujourd’hui, la pauvreté et la démographie ont remplacé l’archaïsme des pratiques indigènes dans le discours écologiste, mais le responsable est toujours le paysan » s’insurge le géographe.
Une évolution mal mesurée
Pourtant, les cartes anciennes se ressemblent énormément et la ceinture forestière malgache, somme toute modeste, semble peu évoluer après les premières cartes d’Alfred Grandidier en 1875. Les quelques cartes d’évolution de la couverture forestière mises à jour par Xavier Amelot semblent pourtant toutes partir d’une situation autour de 20 millions d’hectares de forêt dans les années cinquante. Mais cette carte initiale serait en fait un recyclage d’une carte publiée en 1974 par l’ORSTOM (aujourd’hui IRD) sur les régions climatiques. Ainsi, l’ensemble des régions humides devient une hypothétique forêt originelle couvrant une bonne moitié est de l’île. On pourrait croire que l’observation satellitaire aurait mis tout le monde d’accord, mais il n’en est rien. Selon les auteurs, les mesures effectuées à l’aide d’images Landsat en 1973 s’étalent de 10 à 15 millions d’hectares de forêt. En 1992, une analyse d’images basse résolution mentionne 16 millions d’hectares de forêt tandis qu’une autre, fait état de 5,8 millions d’hectares l’année suivante. La variété des sources, des méthodes et des définitions même de la forêt empêche toute approche cohérente et les analyses de la déforestation publiées régulièrement n’ont aucune valeur scientifique.
Les études de terrain un peu précises montrent pourtant que la déforestation, ici, comme ailleurs, est un phénomène complexe, plutôt récent, qui se concentre le long des voies de communication, lié au développement des mines, du bois d’œuvre, du charbonnage et des cultures commerciales. Et les traces de village remettent en cause l’idée d’une forêt primaire héritée de temps immémoriaux. Mais ces chiffres alarmistes détournent l’attention des vrais problèmes (et donc, des vraies solutions) et dictent les politiques publiques centrées sur la conservation d’aires protégées qui ont conduit à des expulsions de population, et au développement de nombreux conflits d’usage.
* Yann Arthus-Bertrand : 365 jours pour la terre, édition de La Martinière, 2000
- Plus de détails sur cette étude dans L’espace protégé ou la nature enfermée, un article publié par Xavier Amelot, Véronique André-Lamat, Laurent Couderchet dans Les espaces protégés – Entre conflits et acceptation, publié chez BELIN en 2014.