Noël 2021 : quelques livres à glisser sous le sapin
Catégorie: Cartographie, Grand public, Livres, Livres, Arts, Expos
Par Thierry Rousselin, Tmcftn
Dans les cadeaux qui donnent l’air intelligent ou qui présentent bien sur la table du salon, les livres de cartes sont devenus des classiques. Coup d’œil sur trois ouvrages de la production automne-hiver 2021, largement mis en avant dans les librairies, aux styles très différents.
Au-delà de la thématique cartographique commune, il n’y a pas de comparaison possible entre un ouvrage historique, un atlas géopolitique et un « coffee table book » de datavisualisation. Pourtant, chacun illustre une approche différente.
Coup de cœur : 300 ans de cartes marines autour du monde
300 ans de cartes marines autour du monde, publié à l’occasion des 300 ans du Service Hydrographique (ancêtre du SHOM) est un bonheur absolu : pédagogique, didactique, précis mais laissant aussi le lecteur s’immerger dans des reproductions pleine page. On attend déjà le tome 2 prévu (malheureusement) pour 2321.
Coup de blues : Le Nouvel Atlas Géopolitique du Dessous des Cartes
Le Nouvel Atlas Géopolitique du Dessous des Cartes est, une nouvelle fois, une déception pour les amateurs de cartographie. Dans les émissions récentes sur Arte, la cartographie se limite déjà le plus souvent à du PowerPoint animé. Mais dans cette version papier, le propos est clairement de vulgariser des analyses géopolitiques en utilisant des représentations cartographiques classiques, voire pauvres. Ce choix assumé peut se défendre pour toucher le plus grand nombre (et assurer les ventes avec le label « vu à la télé »). Mais on peut regretter que le Dessous des Cartes reste figé dans la vision de Jean-Christophe Victor, qui, très novatrice en 1992, est désormais datée.
Face à l’évolution accélérée des représentations cartographiques proposées par les médias (journaux, sites webs), face à l’émergence de nouveaux acteurs (comme en témoigne le Prix Pulitzer 2021 attribué à une équipe de journalistes, géographes et data scientists de Buzzfeed), n’est-il pas temps pour le Dessous des Cartes de réfléchir à mieux justifier son nom ?
Coup d’essai ou coup de maître : Atlas of the Invisible
Unanimement salué par la presse anglo-saxonne* et récompensé de multiples prix**, l’Atlas of The Invisible s’avère plus complexe à analyser.
Le travail de James Cheshire (professeur de géographie et de cartographie à l’University College de Londres) et Oliver Uberti (ancien senior design editor de la revue National Geographic) rend compte d’un véritable « work in progress » couplant data science, data visualisation et réflexions sur la cartographie en les appliquant à la réanalyse d’événements passés ou à la compréhension de phénomènes en cours. Chaque lecteur trouvera donc à quelques pages de distance des cartes qu’il considèrera comme des réussites ou des ratages tout aussi absolus. Car la variété des sujets traités permet à chacun d’aborder ces nouvelles formes de représentations au plus près de ses sujets d’intérêt personnels.
Imaginons que vous ayez grandi en écoutant les comptes rendus de la guerre du Vietnam et que vous ayez bossé quelques années dans la géographie militaire, vous passerez des heures sur la réanalyse proposée des bombardements américains de 1970 à 1973, basée sur les données désormais déclassifiées.
Ou si vous préférez, au vu des débats actuels franco-français, vous pourrez vous plonger dans l’analyse du grand mythe anglais sur l’identité des bâtisseurs de Stonehenge. La cartographie est ici basée sur les analyses ADN des Yamnaya venus du Caucase.
Ce beau livre, trop vite classé en « coffee table book », donne peu d’explications sur le processus de réflexion cartographique à l’œuvre pour chaque visualisation produite, mais les auteurs les ont largement commentés lors d’interviews et sur leur blog.
Ainsi, dans le chapitre sur les bombardements du Vietnam déjà cité, les auteurs ont croulé sous la masse d’informations disponibles. Devaient-ils représenter par année, par opération, par type de munitions, par type d’avion, par base aérienne d’origine ? Devaient-ils tenir compte de la qualité des informations géographiques disponibles pour guider les bombardements (qualité qui a changé au fil des années) ? Ils ont donc choisi d’une part de grouper et simplifier et d’autre part de faire évoluer les fonds cartographiques en fonction des connaissances de l’année des opérations dont ils cartographient les dégâts.
Dans un autre chapitre, les auteurs veulent donner à voir la pollution liée au trafic aérien. Le point de départ est classique et déjà vu cent fois dans des data visualisations du trafic aérien. Mais les auteurs souhaitent illustrer la différence en termes de bilan carbone entre les émissions à basse et à haute altitude. Soudain, ça devient beaucoup plus compliqué. Alors ils testent de multiples solutions (multiples palettes de couleurs et épaisseurs de traits) pour finalement conclure que la meilleure représentation est une palette en noir et blanc.
Au total un livre stimulant, à mettre en perspective avec certaines publications récentes comme l’Atlas critique de la Guyane (CNRS Editions).
- Atlas of the invisible, par James Cheshore et Olivier Uberti, existe en 2 versions (UK et US), environ 40 $
* Quelques critiques d’Atlas of the Invisible :
- https://www.johngrimwade.com/blog/2021/11/03/visualizing-the-invisible/
- https://theconversation.com/why-eye-catching-graphics-are-vital-for-getting-to-grips-with-climate-change-165983
- https://www.rgs.org/geography/geovisualisation/atlas-of-the-invisible-ice-flows/
** Parmi les nombreuses récompenses de l‘Atlas of the invisible : British Cartographic Society Award 2021, John C Bartholomew Award for Thematic Mapping 2021, Stanford’s Award for Printed Mapping 2021