Oublié le zéro papier !
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Le développement des outils numériques a-t-il signé la fin des traceurs et autres imprimantes grand format ? Que nenni ! Même si les volumes baissent, la carte imprimée reste un produit utile, comme nous l’expliquent quelques consommateurs avisés.
Les utilisateurs de SIG ont toujours été de bons clients des vendeurs de traceurs et d’imprimantes grand format. Mais, après des années de production intensive de papier, les outils mobiles ont progressivement permis d’emporter les données directement sur le terrain, voire de les mettre à jour et d’enregistrer les rapports d’activité en direct. Pourtant la carte fait de la résistance !
La production baisse indéniablement
« Il y a trois ans, nous imprimions environ dix mille planches A0 chaque année pour la région Rhône-Alpes-Auvergne-Bourgogne, constate Boris Lambert de Veolia Eau. Aujourd’hui, c’est deux fois moins. » Son collègue de la région méditerranéenne confirme la tendance. Il faut dire qu’entre-temps, le projet CaNOPé mobile a été déployé et les agents de terrain bénéficient maintenant d’une interface cartographique sur leur smartphone. Mais ce n’est pas tout. « Les collectivités locales pour lesquelles nous exploitons le réseau nous demandaient des jeux de plans, ce qui était prévu dans leur contrat. C’est de moins en moins le cas car l’information est mise à disposition via un Intranet » complète Stéphane Ursely, administrateur SIG pour la région Méditerranée chez Veolia Eau. « Aujourd’hui, dans notre service géomatique, nous n’avons plus que deux imprimantes grand format, et une seule est sous maintenance » explique pour sa part Alain Puricelli du Grand Lyon. Ici aussi, la production de plans semble avoir baissé, mais elle est délicate à évaluer. « C’est aussi lié au fait que les services utilisateurs se sont eux-mêmes équipés d’imprimantes et sont devenus autonomes » ajoute le responsable SIG de la métropole. Le développement des outils Web permet également de limiter les impressions systématiques pour les communes adhérentes. « Nous fournissons également aux communes des fonds adaptés à la création de plans-guides, sous forme de fichiers Illustrator, précise Alain Puricelli. Elles se débrouillent avec leurs prestataires pour fabriquer leur propre produit. »
L’armée, autrefois grande consommatrice de cartes, imprimait des dizaines de milliers d’exemplaires de sa carte de base qui étaient stockés dans l’attente d’un futur conflit. Une situation qui a bien changé. « Aujourd’hui, nous n’imprimons plus à l’IGN que les cartes à caractère obligatoire, telles que celle des camps d’entraînement, ainsi que les cartes aéronautiques (low flying charts) qui ont une durée de vie d’un an » explique le colonel Bruno Chable, chef de la section géographique au Bureau géographique, hydrographie, océanographie et météorologie de l’état-major des Armées. Finis, les stocks, place à la production en flux tendu. Désormais, l’OTAN compte une carte pour vingt soldats.
Sur le terrain, la carte garde sa place
« En situation de crise, quand il faut comprendre comment fonctionne le réseau, rien ne remplace le plan, constatent Boris Lambert et Stéphane Ursely de Veolia Eau. Dans chaque territoire, il y a une mallette d’urgence qui contient un jeu de plans. Quand une canalisation casse en pleine campagne et en pleine nuit, les plans sont indispensables, ils rassurent et ils marchent même quand il n’y a pas de réseau. »
Il en est de même dans le domaine militaire, où seules les forces spéciales sont équipées de toutes sortes d’outils numériques. Disposer d’un référentiel cartographique commun est essentiel pour tous ceux qui sont sur le terrain. Quand les ordres d’opérations sont émis, les données géographiques à utiliser sont décrites précisément afin d’assurer l’interopérabilité entre les forces armées et éviter les tirs fratricides pour cause de projections ou d’informations différentes. Mais la bonne vieille carte de base ne suffit plus. « Avant, les besoins des utilisateurs étaient satisfaits avec un ou deux types de cartes différentes. Aujourd’hui, nous avons toute une variété d’utilisateurs et d’utilisations », confirme le colonel Bruno Chable. « Les analystes de renseignement travaillent à l’écran et impriment de petites cartes à la demande. Les forces sur le terrain doivent se positionner, se déplacer, utiliser leur armement. Et elles ont encore besoin de la carte papier pour assurer ces différentes tâches. Dernièrement pour une opération sur une zone, nous avons utilisé 900 mètres de papier. » Ces différents besoins s’appuient sur la carte au 1/50 000 produite dans le cadre d’une coopération internationale (MGCP). « On dispose aujourd’hui d’un socle que l’on densifie en cas de besoin selon une thématique particulière. En Afrique, on s’intéresse aux pistes par exemple. Dans ce cas, deux possibilités d’intervention selon le temps disponible et les sources possibles : soit on ajoute une couche vectorielle sur la carte de base, soit on plaque une simple image raster en surimpression. » Où élaborer et imprimer les cartes produites dans l’urgence ? Il arrive qu’elles soient réalisées au plus près du terrain et que les traceurs prennent eux aussi l’avion, comme ce fut le cas au Mali pour les forces françaises ou en Afghanistan pour l’armée britannique. « En 2002, les Anglais ont embarqué un détachement de géographes militaires à Kaboul pour alimenter les troupes sur le terrain. Cela évitait d’encombrer le réseau de télécommunications entre le Royaume-Uni et Kaboul. En 2006/2007, les liaisons se sont améliorées et la production cartographique quotidienne pouvait être réalisée depuis Londres, ce qui était moins stressant, détaille Thierry Rousselin, directeur opérationnel chez Magellium. Du coup, la centaine d’hommes qui avaient été envoyés sur place ont été déployés sur le terrain au plus près des opérations, avec leur kit d’impression A3. Les Américains font un peu la même chose. » Désormais, la carte papier est bien conçue dans ce qu’elle peut apporter de meilleur, pour son utilité propre. « Ce n’est pas un hasard si l’US Army Geospatial Center a été l’un des promoteurs du GeoPDF » ajoute Thierry Rousselin.
Procédures administratives et papier font toujours bon ménage
La dématérialisation complète des procédures administratives est loin d’être achevée et si l’impression de cartes et plans n’est plus nécessaire à chaque étape de l’instruction, c’est souvent avec un bon vieux bout de papier que repartent les administrés venus se renseigner sur l’urbanisme, déposer un permis de construire, etc. « Nous avons discuté avec le service urbanisme de la dématérialisation de la prochaine révision du PLU, mais la direction n’a pas souhaité prendre le risque cette année » note Alain Puricelli. Son service devra également produire quelque deux mille plans de contrôle du PLU, soit un peu moins de deux tirages en moyenne pour chacune des mille deux cents feuilles à produire.
Les tirages papier restent également importants sur les murs des bureaux, dans les couloirs et derrière le fauteuil des responsables de divisions territoriales et des chefs de service : gestionnaire des déchets, de la voirie… Tous apprécient le plan au mur. Et si le portrait du président de la République est une obligation dans le bureau du maire, le plan de la commune ou la photographie aérienne est un signe tout aussi manifeste de l’autorité locale.
La carte papier pourra-t-elle être supplantée un jour par le numérique ? Peut-être, mais il y a encore du travail avant d’y arriver. « Même si vous prenez un très grand écran, très cher, vous aurez une résolution de l’ordre de 90 points par pouce. Alors qu’on sait maintenant imprimer à 2 400 points par pouce. La précision n’a rien à voir » annonce, confiant, Arnaud Janin d’HP France. Même si ses clients impriment moins de mètres carrés de cartes et de plans, leur exigence de qualité augmente. Les documents portent plus d’informations, la représentation des détails doit être parfaite, les couleurs maîtrisées et stables, les papiers de bonne qualité. Et c’est encore autour d’un plan ou d’un grand tirage que l’on discute le mieux.
« La carte papier reste très pratique, pliée dans la poche, même pour ceux qui ont des GPS. Ce qui pourrait la remplacer ? Le jour où on inventera le drap intelligent, le tissu numérique, qui sait ? » s’interroge Bruno Chable. Restera alors à régler la question des moyens. Quand le tissu numérique coûtera le prix d’une feuille de papier, promis, nous referons un dossier !
Retour d’expérience |
L’espace nordique jurassien : entre numérique et papier |
L’Espace nordique jurassien (ENJ) est une petite association qui fédère l’ensemble des stations pratiquant des activités nordiques dans le Jura. Elle permet à une trentaine de gestionnaires de fédérer certains moyens, comme ce fut le cas il y a cinq ans sur la cartographie. Accompagnée par un consultant, l’association a choisi de concevoir ensemble son SIG professionnel, son application cartographique pour son site Internet, son site mobile et les plans de pistes. Elle a fait le choix de la gamme Business Geografic pour les aspects numériques. Côté papier, « nous devions retrouver de la cohérence car chaque station avait son propre plan, certains étaient très bien mais d’autres n’avaient rien » explique Nicolas Gotorbe, l’un des deux salariés de l’association. Comme les domaines communiquent entre eux, l’ENJ a choisi de découper l’espace en onze territoires correspondant aux logiques de pratique. Les plans, qui s’appuient sur les référentiels IGN (couches alti et topo du RGE) ont ainsi été harmonisés en termes d’orientation, de charte graphique et d’échelle (1/50 000) avec l’aide de Latitude Cartagène. Mais comme certains gestionnaires disposaient avant le projet de plans plus détaillés, cinq plans personnalisés au 1/25 000 sont également édités. Les pictogrammes et couleurs sont cohérents entre les applications numériques et les impressions. Les données sont exportées vers Illustrator puis InDesign via Map Publisher et l’ENJ est désormais autonome dans sa production de plans. Imprimé en recto verso (d’un côté le ski de fond, de l’autre les pistes de raquettes) sur papier à la fibre très serrée, chaque plan, qui tient facilement dans la poche, coûte environ 40 centimes d’euros. Dix centimes sont reversés à l’IGN et 15 à 20 centimes reviennent à l’imprimeur, le reste couvre les frais de maintenance (une édition environ par an). Au total, ce sont plus de 50 000 plans qui sont distribués chaque année gratuitement aux touristes venus à la journée ou en séjour. |
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