Quand innovation et progrès divorcent
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Optics Valley, réseau qui rassemble entreprises, chercheurs et collectivités autour des hautes technologies en Île-de-France a organisé une journée sur le thème Innovation technologique et citoyenneté. S’il y fut peu question du citoyen, généralement synonyme d’individu, l’intervention d’Étienne Klein, physicien et philosophe, a permis de mettre les notions d’innovation et de progrès en perspective.
La notion d’innovation a envahi toutes les politiques industrielles et elle est sur tous les agendas de recherche. L’Union européenne souhaite devenir une Union de l’Innovation à l’horizon 2020 et le terme est cité de multiples fois dans toutes ses publications. La notion n’y est jamais vraiment définie mais elle doit résoudre tous nos problèmes : épuisement des ressources naturelles, changement climatique, développement durable, vieillissement de la population… Elle va stimuler l’économie et améliorer nos conditions de vie.
Une définition évolutive
Aujourd’hui, la vision purement technique a cédé le pas à une vision plus large, qu’exprime la définition proposée dans Manuel d’Oslo publié par l’OCDE en 2005 : « Une innovation est la mise en œuvre (implémentation) d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé (de production) nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques d’une entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures. »
Au lieu de pratiquer des incantations à l’innovation comme moyen de résoudre tous nos problèmes, le physicien recommande de l’interroger sous différents angles : « Avoir conscience que l’aboutissement de l’innovation est incertain, qu’elle requiert des investissements, qu’elle doit produire des objets appropriables, des connaissances nouvelles ou renouvelées et se demander si elle doit également produire un avantage compétitif. »
Un progrès de plus en plus mal vécu
Notre rapport à l’idée de progrès a beaucoup changé depuis quelques années. « Il y a encore une génération, l’expression “on n’arrête pas le progrès” était une salutation enthousiaste adressée au futur, analyse Étienne Klein. Il n’était pas bien de vouloir freiner le progrès. Aujourd’hui, l’expression signifie plutôt qu’il n’est plus dans le pouvoir d’aucun humain d’arrêter le progrès. Il échappe à notre maîtrise. Même si les innovations sont de plus en plus nombreuses, elles sont décorrélées de la notion de progrès. Déjà Kant avait prévu le coup et annonçait que toute innovation n’est pas un progrès. »
Pour le philosophe, le progrès est une notion à la fois « consolante et sacrificielle ». L’espoir d’amélioration dans le futur nous console du présent. Une utopie crédible et attractive donnait du sens aux sacrifices consentis et nous donnait envie d’avancer ensemble. Aujourd’hui, au nom de quoi sommes-nous prêts à nous sacrifier ? Le futur n’est plus configuré, nos attachements sont horizontaux.
L’incertitude au cœur du progrès
Pourtant, il est dans la nature même de la connaissance scientifique de produire de l’ignorance, de l’incertitude. Sur ce point, Étienne Klein cite Einstein : « Il n’y a pas de chemin qui mène de la connaissance de ce qui est, à la connaissance de ce qui doit être. » Ce qu’exprimait également Paul Valéry : « L’homme sait assez souvent ce qu’il fait, mais il ne sait jamais ce que fait ce qu’il fait. »
Même s’il existe de nombreuses définitions du progrès depuis le siècle des Lumières, croire au progrès, c’est penser qu’on peut relativiser le négatif, qu’il est ce sur quoi on peut travailler, que le négatif est le ferment du positif. Aujourd’hui, critiques et doutes dominent dans notre époque de post-modernisme. « Nous savons désormais que le nombre de problèmes ne diminue pas au fur et à mesure que nous avançons, le progrès est devenu une inquiétude diffuse. Cette méfiance a généré le fameux principe de précaution, que de plus en plus de gens veulent compléter par le principe d’innovation, ce qui montre bien que progrès et innovation ne marchent plus côte à côte. Nous sommes désormais dans un état de conscience malheureuse comme disait Hegel. Nous savons que le changement climatique est en cours, mais cela nous plonge dans une sorte de tétanie, nous refusons d’y croire, nous sommes dépassés par l’absence de solutions » se désole Étienne Klein, qui conclut : « Les innovations, c’est ce que chacun voit changer autour de soi, elles nous rapprochent du futur, mais comme le futur nous faire peur, elles sont le bouc émissaire de notre rapport au présent. »
Bibliographie sommaire |
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Un article d’Etienne Klein sur l’idée de progrès : Comment faire progresser l’idée de progrès http://theconversation.com/comment-faire-progresser-lidee-de-progres-51599