SIG transfrontaliers : quelles difficultés et quels enjeux ?
Catégorie: Cadastre, Cartographie, Données, Environnement, IDG/IDS, Institutions, Mobilité, Open Data, Reportages, Réseaux/Transports, Secteur public, Utilisateurs
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Mettre en place un système d’information géographique transfrontalier n’est pas une mince affaire. Systèmes de coordonnées, organisation des données, formats, précision… tout doit être mis à plat pour aboutir à des couches d’information harmonisées. Mais les problèmes ne sont pas que techniques, loin de là, comme l’ont montré les échanges autour des géodonnées au service du Grand Genève lors du dernier Forum SITG le 9 novembre 2017.
32 cm ! C’est la différence d’altimétrie qui existe officiellement à la frontière franco-suisse proche de Genève. Pourtant, quelque 580 000 personnes passent la douane chaque jour sans avoir l’impression de monter ou descendre une marche. Et pour cause, la différence n’est que dans les bases de données, liée au système de référence. Et ce n’est pas la seule anomalie qui existe : routes qui butent sur la frontière et deviennent des voies sans issue virtuelles, tracé même de la frontière qui laisse des trous de plusieurs mètres…
Pourtant, même avant que le projet d’agglomération n’émerge, Français et Suisses ont collaboré autour de l’information géographique. Ainsi, en 1999, un premier projet d’assemblage des cartes topographiques au 1/25 000 de l’IGN et de Swisstopo voit le jour. Une photo satellitaire est achetée en commun. En 2008, un premier plan de l’agglomération est produit, puis l’IGN propose une carte globale au 1/50 000 en 2009. Les données sont au moins juxtaposées et une harmonisation sémantique partielle donne une première vue d’ensemble du territoire.
Depuis, le projet d’agglomération, qui regroupe deux pays, 212 communes, deux régions françaises et deux cantons suisses a redonné un coup de pouce à cette collaboration. Fort de son expérience, c’est le SITG (système d’information du territoire genevois) qui est devenu le bras armé de la constitution d’un SIG transfrontalier.
Une langue à part
Mais rien n’est simple quand il faut assembler des données de part et d’autre de la frontière. Elles sont produites par de multiples acteurs : autorités cantonales, agences gouvernementales (IGN, Swisstopo), municipalités, EPCI… À noter par exemple que le cadastre relève de la Direction générale des finances publiques en France, mais d’une direction cantonale en Suisse. De plus, tous ces territoires sont plus ou moins équipés en termes de SIG ou participent à diverses infrastructures de données géographiques : citons la Régie des données de Savoie, l’ASIT-VD pour la partie du canton de Vaud incluse dans le territoire, l’agglomération d’Annemasse, le canton de Genève, etc.
En outre, les objets géographiques portent la marque des politiques publiques qu’ils alimentent. Ainsi, la vision des espaces naturels protégés est assez différente de part et d’autre de la frontière. D’un côté une sanctuarisation de petits espaces, de l’autre, une attention portée à des zones plus larges, avec cohabitation des activités. Bref, avant d’harmoniser des données, il faut s’entendre sur les définitions.
Un socle de géodonnées conséquent et en évolution
Mais cela n’empêche pas les partenaires du projet d’avancer, et de proposer aujourd’hui un ensemble de couches réuni sous l’onglet « Geoagglo » du portail du SITG.
Côté référentiels, une orthophotographie, un modèle numérique de terrain ainsi qu’une photographie nocturne ont été acquis. Cette dernière est exploitée pour constituer la future « trame noire » où la pollution lumineuse est limitée. Des données sur la modélisation des déplacements et la qualité de l’air sont également en cours de constitution.
Parce qu’elle ne part pas d’une feuille blanche, la constitution d’un socle de données détaillées lancée en 2013, baptisée RTGE (référentiel transfrontalier à grande échelle) s’avère, elle aussi, complexe. Sept données de base ont été sélectionnées : les bâtiments, les limites communales, les adresses, le réseau routier, les voies ferrées, le réseau hydrographique et la toponymie (lieux dits). L’analyse détaillée des différentes données à intégrer a montré de nombreuses incohérences : les ronds points ne sont par exemple pas modélisés de la même façon sur la BD Topo et sur les données suisses, les abréviations ne sont les mêmes, les nomenclatures varient, etc. Mais heureusement, FME est là qui vient compléter la plateforme ArcGIS et permet une harmonisation progressive des données, comme l’a expliqué Bénédicte Loisel de la direction de la mensuration officielle au canton de Genève. Restent encore des soucis à la frontière, mais qui devraient se régler prochainement grâce à un accord officiel entre la France et la Suisse. Il faudra également intégrer les données en provenance du canton de Vaud et poursuivre les efforts d’harmonisation sémantique. « C’est un socle en perpétuelle évolution, reconnaît Bénédicte Loisel, c’est pourquoi nous intégrons une notion temporelle pour chaque couche de données. »
Même approche sur les thématiques nature et paysages, elles aussi produites par plusieurs organismes. Depuis 2013, elles font l’objet d’un gros travail de mise en cohérence avec FME, d’identification des sources et de structuration pour servir le nouveau plan paysage, plus détaillé. Là encore, le travail est sur l’établi pour trouver le bon cycle de production/assemblage lié au développement des contrats corridors et du suivi des mesures concrètes mises en œuvre.
Pour constituer une couche sur les émissions de polluants liés au trafic routier, Pierre Kunz, du service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants du Canton de Genève a pu s’appuyer sur un graphe routier désormais étoffé et harmonisé. Même si Français et Suisses ont déjà l’habitude de coopérer en termes de stations de mesures, la modélisation à l’échelle du territoire est délicate. Les vitesses de circulation effectives (donc les bouchons) sont mal connues. Les statistiques sur la composition du parc moyen sont produites à l’échelle globale de chaque pays, et ne prennent pas en compte la perméabilité liée à un territoire transfrontalier. Les coefficients d’émissions associés à chaque type de véhicule, essentiels pour transformer le trafic en pollution dans le modèle, sont différents entre la France et la Suisse. Malgré ces difficultés et avec toutes les précautions d’usages, des couches de la qualité de l’air moyenne à l’échelle de la rue devraient bientôt être intégrées dans le SITG.
Les outils de valorisation
Comment faire mieux connaître ce patrimoine de données ? Comment le mettre au service des habitants, de leurs élus, des associations ? Pour aborder la question, l’IAU est venu présenter Cartoviz, développé par Esri, qui permet à l’équipe de diffuser ses données sous forme de d’applications grand public associant cartes, données, graphiques et textes explicatifs. Mais le Grand Genève entend également exploiter les outils mis à disposition par Esri pour valoriser le projet de territoire. Ainsi, une première Story map est en cours de finalisation centrée sur les grands projets. Le Grand Genève a de plus lancé cette année son premier Geofab, dispositif d’accompagnement des start-up souhaitant exploiter ses données. Après une première édition qui a récompensé TagMyFood, un deuxième appel à candidature a été lancé en septembre 2017 (notre article à ce sujet ici).
La question de la diffusion même des données se pose. Sur ce point, même si la politique du SITG est de favoriser l’open data (qui est désormais presque une condition préalable à l’intégration des données partenaires sur le géoportail), la stratégie ne peut s’appliquer à l’ensemble des données et des partenaires du Grand Genève, qui ont chacun des politiques différentes et parfois difficilement compatibles.
Aller plus loin
Comment acquérir de nouvelles données utiles aux analyses ? Certaines problématiques propres aux espaces transfrontaliers restent en effet difficiles à appréhender, comme l’évolution des prix du foncier. Sur ce sujet, les prix moyens produits par l’observatoire statistique restent à la maille communale. Quid des données acquises par nos smartphones ? Pourraient-elles enrichir le catalogue de géodonnées du Grand Genève ? L’agglomération d’Annemasse a présenté son partenariat avec Waze dans le cadre du programme Connected City. Mais il faut bien reconnaître que dans un premier temps, c’est surtout la collectivité qui fournit les informations sur ses travaux à la filiale de Google, n’ayant pas encore les outils (et les compétences techniques) pour récupérer le flux Waze qui pourrait l’aider à mieux comprendre la circulation réelle sur son réseau. Une autre piste évoquée au cours du débat concerne la récupération des données des opérateurs téléphoniques. « Nous les laissons installer des antennes sur nos territoires, pourquoi ne pas exiger en retour des données sur l’utilisation ? » propose l’un des participants.
Et pourquoi ne pas demander aux habitants de saisir volontairement certaines données ? Sur un territoire qui prône la concertation, la question fait sens. Même si les idées ne manquent pas, le débat a montré que les autorités locales restent frileuses en termes d’intégration du crowdsourcing dans leur process de production et de diffusion des données géographiques.
Soucieux de fournir des informations fiables, de qualité, d’autorité, les partenaires du Grand Genève ont du mal à s’ouvrir à de nouvelles collaborations. Mais, à l’heure où se développe l’internet des objets, il risque d’être dépassé, trop préoccupé par des questions de qualité et enfermé dans des modèles de données manquant de souplesse. Demain, pour surveiller la qualité de l’air et lancer des actions visant à réduire la pollution, les capteurs personnels ne seront-ils pas plus utiles que les modèles conçus à partir de quelques dizaines de points de mesure ?
Problèmes techniques, de définition, d’organisations, de vocabulaire, d’organisation politique, de cultures… c’est conscient de ces nombreuses différences que, des deux côtés de la frontière, les partenaires du Grand Genève avancent ensemble et constituent un système d’information certes perfectible mais déjà bien fourni. « Et ce n’est rien par rapport aux différences qui existent entre les cantons » s’amuse Bruno Beurret, l’artisan de cette journée d’échange.