Valse avec Battir
Catégorie: Cartographie, Formation, Grand public, Recherche, Reportages
Battir, village emblématique d’une Palestine paisible et rurale, a vécu une aventure cartographique hors du commun. Architectes urbanistes, cartographes, géomaticiens, d’ici et de là-bas s’y sont succédé pour dresser l’état des lieux de ce territoire menacé. Une valse humaine et technique que Jasmine Desclaux-Salachas, initiatrice des Cafés Carto présente sans relâche dans les conférences et festivals.
Avec ses cultures en terrasses, ses canaux d’irrigation plusieurs fois centenaires, ses oliviers et ses maisons qui connaissent le prix de l’ombre, Battir ressemble à une carte postale de paysage méditerranéen. Mais derrière l’image d’Épinal se cache le drame d’une vallée, située à quelques kilomètres de Bethléem, menacée d’être coupée en deux par le mur, censé séparer Israéliens et Palestiniens.
Connaître pour faire connaître
Pour faire valoir leurs droits, les habitants de Battir ont misé sur la connaissance. Dès 2007, grâce à des financements de l’UNESCO, ils ont accueilli une équipe de chercheurs, principalement des architectes urbanistes, qui ont « mesuré » le territoire dans toutes ses dimensions. De ce travail de fourmi est sorti un écomusée des paysages, ouvert sur place et une carte topographique couvrant environ 10 km2. En 2011, l’équipe initiale se sépare et Hassan Muamer, le seul Battiri de l’équipe, se charge de l’écomusée. Mais comment faire vivre cette carte ? Continuer à l’enrichir ? Un début de réponse vient grâce à la rencontre avec Jasmine Desclaux-Salachas, sollicitée par des étudiants en école d’architecture pour les aider à mettre au propre le travail des chercheurs. La cartographe parisienne tombe sous le charme du village, où elle se rend au printemps 2012, mais découvre une tâche immense : « Les premiers relevés avaient été faits sans aucune connaissance en cartographie, calés sur une photographie aérienne dont personne ne connaissait réellement la provenance. J’ai mis du temps à comprendre ce que contenait cette carte. » Sous Illustrator, pendant de longues heures, Jasmine Desclaux-Salachas nettoie les courbes de niveaux, harmonise les représentations et aboutit à un document de quelque quatre cents calques.
De la carte au SIG
Mais le document mériterait d’être enrichi, mieux connu, mieux diffusé, exploité directement par les habitants de Battir. La cartographe se rapproche de l’ENSG afin de transformer la carte en système d’information géographique. Hervé Quinquenel et ses élèves se mettent au travail, mais eux aussi se trouvent confrontés à des problèmes de qualité des données, de sources, de précision. L’équipe arrive néanmoins à transformer les données et à les recaler, notamment grâce à une orthophotographie plus récente. « Mais du coup, nous nous sommes rendu compte que plus rien ne collait avec l’ancienne photographie, qui en fait, n’était pas du tout orthorectifiée » se rappelle Hervé Quinquenel. Les élèves reconstituent les axes routiers, créent un minimum de métadonnées… et génèrent une véritable base de données SIG, même imparfaite.
Retour terrain
À l’été 2013, un élève va sur place pour compléter les relevés. Mais il avait prévu d’utiliser un GPS bi-fréquence, strictement interdit dans la région. Du coup, il se concentre sur la modélisation 3D de quelques ouvrages d’irrigation.
À l’été 2014, un nouveau voyage sur place est organisé grâce à la Fondation de France et à Voyageurs du monde. La cartographe et l’enseignant de l’ENSG s’y retrouvent pour quelques semaines. C’est l’occasion de corriger certaines incohérences (des rivières finissaient par couler dans le mauvais sens), de préciser la topographie du centre du village, de relever tout le système d’irrigation. Mais c’est surtout le moyen de « rendre aux habitants de Battir cette cartographie qui leur appartient » comme tient à le souligner Jasmine Desclaux-Salachas. Pour cela, la cartographe mise sur une idée originale : l’organisation de courses d’orientation dans le village.
En juin dernier, Battir a été inscrit au patrimoine mondial par l’UNESCO, une reconnaissance qui lui offre une certaine forme de protection. Mais il ne faut pas baisser la garde pour autant. Carte et données doivent continuer à vivre et à servir la cause du village palestinien. Avis aux amateurs.
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