La 3D ne sert que si l’on en use
Catégorie: 3D, Données, Marché, Recherche, Reportages, Utilisateurs
Un petit groupe de chercheurs du GDR Magis a pris l’initiative de rassembler chercheurs et praticiens autour de la question des usages des modélisations 3D géoréférencées dans le cadre de la gestion territoriale. En marge du colloque Sageo, ils ont échangé leurs retours d’expérience et leurs interrogations sur un domaine qui manque d’outils pour aborder la notion même d’usage.
L’avènement de la 3D est pour 2015 ! C’est en tout cas, l’une des prévisions de David Jonglez, en charge du business développement chez Esri France. Mais le même avènement était également annoncé par l’IGN dans son magazine interne en… 1997 ! Malgré des moyens conséquents et des réalisations emblématiques, il faut bien reconnaître que le marché de la 3D peine à décoller. Des produits comme Bâti 3D et Territoire 3D ne sont pas de grandes réussites commerciales. Geoffrey Cornette, de l’État de Genève, qui a constitué des bases riches et variées ne peut s’empêcher de remarquer que « les usages sont nombreux mais l’utilisation concrète et quotidienne reste occasionnelle ». Et si Esri se félicite de l’augmentation de ses ventes depuis l’annonce de sa suite 3D (City Engine), cela concerne surtout le marché des collectivités nord-américaines. Effet conjoncturel lié à la crise économique ? Lourdeur des fichiers peu normalisés ? Interfaces de consultation encore peu intuitives ? Qualité des données pas suffisamment irréprochable ? Toutes ces raisons sont certainement valables. Une analyse approfondie des usages réels, possibles et rêvés de l’information géographie en 3D permet de mettre cette relative atonie du marché en perspective.
Au-delà de l’évidence
« Pourquoi un SIG en 3D ? Parce que notre monde est en 3D » clame David Jonglez. En approchant nos perceptions quotidiennes, les représentations 3D doivent aider les acteurs publics et privés à communiquer autour des territoires, à les mettre en valeur, à créer de l’appétence pour les aménagements présents et futurs. Elles doivent également aider à mieux comprendre les enjeux qui pèsent sur notre environnement, qu’il s’agisse d’évaluer des projets d’architecture, de mesurer des risques d’inondation ou des expositions à la pollution. Elles doivent enfin faciliter la concertation en supprimant cette barrière cognitive qu’est la carte, incitant chacun à intervenir sur un projet aisément approprié. De plus, les notions d’altitude et de profondeur, naturelles en 3D, sont indispensables pour aborder certaines problématiques techniques : dispersion d’ondes, de bruit, gestion des réseaux souterrains, droit à bâtir…
Échos du terrain
Mais sur le terrain, l’expérience est parfois toute autre. Quand Mickaël Brasebin, chercheur au laboratoire COGIT de l’IGN présente e-PLU qui utilise la 3D pour simuler le droit à bâtir : « j’ai un bon retour des collectivités, mais elles m’expliquent ensuite qu’elles n’ont ni le temps ni les moyens de pousser ce genre d’expérimentation ». Pascal Billy de la DREAL Rhône-Alpes, qui a exploré en profondeur le potentiel des représentations 3D dans la présentation des risques d’inondation en conseil municipal, a renoncé à mener ses expérimentations « là où le contexte était trop tendu ». Même en 3D, les enjeux de pouvoir et de compétence sont bien présents. Le très sérieux CSTB a dû investir dans une salle immersive pour présenter ses modélisations de bruit « car la 3D n’était suffisante » explique Bernard Miège du Cerema. Inversement, quand l’agglomération de Rennes a mobilisé sa salle immersive pour présenter des projets d’aménagement urbain en 3D aux habitants, la participation n’était pas au rendez-vous, le public étant dans un état de « sidération totale », comme le rappelle Hélène Bailleul, de l’université de Rennes 2 qui a accompagné cette démarche.
Car les représentations 3D n’ont rien d’immédiat. Elles ne sont que des images, autour desquelles se cristallisent de forts enjeux cognitifs. Les expérimentations les plus réussies sont celles qui font intervenir une forte médiation pour expliquer ce qui est montré, modifier éventuellement les points de vue, les options. Elles questionnent notre rapport au réel. « Elles ne renvoient pas à l’imaginaire du réel, mais à celui du jeu, constate Hélène Bailleul. Si on les met entre les mains des habitants, il faut être prêt à accepter de vrais processus de codécision, qui sont la règle dans les jeux participatifs. Les gens se sentent en droit de contribuer. » Un défi que peu d’élus sont prêts à relever !
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