La 3D, objet d’étude, objet intermédiaire
Catégorie: 3D, Données, Logiciels, Recherche, Reportages, Utilisateurs
Les représentations de l’espace en 3D ont envahi de nombreuses disciplines scientifiques : archéologie, architecture, urbanisme, géographie, hydraulique, hydrologie… la liste n’est pas exhaustive. Qu’en ont appris les scientifiques ? Certainement beaucoup. Mais quand les spécialistes des sciences de la communication et de la sociologie des techniques s’en mêlent, de nouvelles questions s’accumulent.
Quand on s’intéresse aux ambiances urbaines, la 3D s’avère rapidement incontournable. Les analyses commencées sur des maquettes physiques se poursuivent aujourd’hui à l’écran pour mesurer le rayonnement solaire, la propagation des ombres, les couloirs de vent…. Au CRENAU, centre de recherche nantais sur les architectures urbaines, « cela fait quarante ans que l’on fait de la 3D » rappelle Thomas Leduc, lors du séminaire Information géographique 3D et pratique scientifique organisé début mai à Lyon par le GDR Magis et le Studio IMU (Intelligence des mondes urbains) de l’université de Lyon. Bien des études sont basées sur des analyses de visibilité et de co-visibilité, comme celles sur l’ouverture des paysages, mesurée à partir de la quantité de ciel vu lors d’une balade urbaine. Demain, pourra-t-on développer un système d’aide à la navigation « sensible », capable de vous dire qu’en prenant la rue à gauche, vous aurez une vue imprenable sur les montagnes au loin ou que vous longerez des façades baignées de soleil ? Les chercheurs y travaillent mais ce genre d’approche nécessite des bases de données détaillées et des modèles numériques de terrain irréprochables… Ce qui est encore loin d’être le cas partout.
3D à voir et à penser
Au laboratoire MAP (Modèles et simulations pour l’Architecture et le Patrimoine), de nombreux modèles numériques 3D ont été réalisés. Certains, constitués à partir de relevés photogrammétriques de haute précision (des pixels de quelques millimètres pour le théâtre de Vintimille ou l’odéon de Pompéi) offrent aux archéologues des représentations très précises de leur terrain d’étude. D’autres, élaborés par simulation procédurale générique, peuvent nourrir la réflexion des architectes et fonctionnent comme « des outils à penser » comme l’explique Renato Saleri. Donner vie à l’urbain disparu, titiller l’imaginaire en mettant en volume une simple idée ou générer des structures d’îlots optimisant l’occupation de l’espace tout en maximisant le potentiel solaire, autant de travaux qui s’appuient sur des représentations en 3D.
3D, objet intermédiaire
Même dans ces milieux d’experts, les représentations 3D, pourtant a priori évidentes à comprendre, rencontrent parfois des réticences. Ainsi, « certains archéologues ont une vision stratigraphique, par couche, et se sont précipités pour poser des calques sur des représentations 3D afin de dessiner le contour des cailloux » raconte Renato Saleri à propos de l’expérimentation menée à Vintimille. Alors, quand il s’agit de mobiliser la 3D pour des publics variés (habitants, élus, fonctionnaires territoriaux, spécialistes de l’immobilier…), toutes les formes de représentation n’ont pas les mêmes effets. Si elles permettent aux non-experts de comprendre des problèmes parfois complexes, sans entrer directement dans les hypothèses scientifiques qui les sous-tendent, n’oublions pas qu’elles peuvent aussi bien servir « à illustrer, à informer, à explorer, à persuader, à faire autorité, à rassembler, à confronter les points de vue, qu’à construire des accords et des consensus » comme le rappelle le sociologue Dominique Vinck. À ses yeux, les représentations 3D mériteraient d’être analysées comme des « objets intermédiaires », ou « objets frontières », c’est-à-dire comme des entités circulant entre des acteurs. Ce n’est pas la représentation en tant que telle qu’il faut analyser, mais ce qu’elle raconte, ce qu’elle embarque, ce qu’elle révèle des acteurs qui la produisent, la diffusent, la reçoivent. « L’entrée par les objets frontières est très puissante pour décrire des situations dans lesquelles on agit, complète le professeur. Elle fait tomber l’illusion que l’on a en se concentrant trop sur les objets les plus high-tech. » C’est d’ailleurs cette approche qu’avait retenue Florence Jacquinod dans sa thèse sur les représentations 3D géographiques. La façon dont des représentations 3D d’inondations sont mobilisées et interprétées par des élus locaux, des fonctionnaires de collectivité ou du ministère du Développement durable, des habitants… montre bien que le chercheur ne peut se contenter d’observer la représentation pour en comprendre les effets. C’est donc assez naturellement que la jeune chercheuse s’est impliquée dans le projet Flood AR, qui propose d’analyser l’appropriation de dispositifs de sensibilisation de la population au risque inondation (modèles 3D animés, réalité augmentée sur tablette…) avec l’aide d’un laboratoire spécialisé dans les sciences de la communication.
De la 3D en 1D
Si l’étude des effets et des usages est importante, les chercheurs ne renoncent pas à travailler sur des dispositifs capables de faciliter le dialogue entre des publics variés. C’est par exemple le cas du projet ANR Skyline, qui s’intéresse au concept de silhouette urbaine et à son utilisation dans les débats autour de certains projets d’urbanisme. Beaucoup de tours sont construites dans des villes comme Paris, Lyon ou Londres et les projets donnent souvent lieu à des contestations et des conflits. Mais l’impact visuel de ces projets est souvent absent du débat et jamais « mesuré ». La notion de skyline, ligne à une dimension délimitant l’horizon artificiel reste assez floue car savoir où faire passer cette fameuse ligne, n’a rien d’évident. À partir de plusieurs centaines de réponses à un questionnaire demandant à des personnes d’identifier la skyline de différentes photos, les chercheurs impliqués dans le projet ont construit un logiciel de calcul semi-automatique de cette fameuse ligne, permettant du coup d’intégrer différentes visions. Filtrage de l’image (photo réelle et/ou modélisation du futur bâtiment dans son environnement), identification des points hauts et des contrastes guident l’algorithme avec différents degrés de sensibilité. Ainsi, l’impact visuel d’un projet pourrait être mesuré simplement, comparé à d’autres projets, discuté en prenant en compte le point de vue de divers acteurs sur le paysage urbain. Ce projet va donner lieu à une thèse et les algorithmes seront accessibles sous forme d’une boîte à outils, mobilisable dans un contexte opérationnel.
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